Dès que nous franchissons l’entrée du fa’a’apu¹ Bio – Logique Tahiti, aux portes de Faaone, nous sentons un vent de liberté nous envahir. Alexandre Ynam reçoit la rédaction d’Hommes de Polynésie dans sa maison familiale. Sur une parcelle d’environ 12 000 m², Alexandre cultive le bonheur depuis plus d’un an, et nous explique comment il a fait de la nature son terrain de jeu.
Ce défenseur de l’environnement et de l’humain a su écouter l’appel qu’il a eu très jeune, et s’est lancé corps et âme dans l’agriculture bio.
« La nature me passionne. Petit, j’allais déjà attraper les abeilles, je me promenais seul dans la brousse, j’étais émerveillé par la végétation. »
L’ENVIE D’INDÉPENDANCE ET D’AUTOSUFFISANCE ALIMENTAIRE
Pour arriver à ses fins, s’installer sur la parcelle de son grand-père agriculteur, Alexandre a dû passer par quelques étapes. Son parcours ne l’a pas directement amené ici, c’est même plutôt le contraire. Comme beaucoup, à 20 ans, il est parti en France durant 6 années, à Brest, pour poursuivre son cursus STAPS. Il s’est vite rendu compte que ceci ne lui correspondait pas. Il a ensuite accepté des missions d’intérim, il a erré malgré lui dans quelques boites agroalimentaires, avant de réaliser que « ce n’était pas une vie ».
De retour au Fenua, il s’est lancé dans le marketing de réseau, mais il avait une seule idée en tête : être son propre patron, et si possible dans son élément, le terroir. Nous pouvons donc dire qu’Alexandre est un homme qui ose, qui essaye, qui teste. Et cela a payé.
Il nous raconte l’importance de sa rencontre avec Jean-Baptiste Tavanae, qui lui a fourni les premiers enseignements de l’agriculture bio.
Toujours dans une volonté d’autonomie, il s’est beaucoup formé en autodidacte sur internet, par le biais de conférences et d’entretiens.
Initialement, son terrain n’était pas du tout aménagé pour la culture, il était marécageux et retenait l’eau. Grâce aux aides financières et à l’ICRA (Insertion par la Création ou la Reprise d’Activité), Alexandre a pu permettre à sa terre d’accueillir la vie.
« Je ne pensais pas que j’allais faire de l’agriculture. À cette époque, je ne savais pas planter, je faisais un peu n’importe quoi, mais j’aimais ça. Je pense que c’est quelque chose d’inné. »
UNE TECHNIQUE EN ADÉQUATION AVEC LE FONCTIONNEMENT NATUREL
C’est avec passion et dans un souhait de transmission qu’Alexandre nous explique le fonctionnement de la nature, qu’il considère comme la maison de chaque espèce vivante. Il souhaite préserver le plus possible l’équilibre de l’écosystème en pratiquant le maraichage sur sol vivant (MSV), qui consiste à nourrir le sol en prenant en compte une ration pour les êtres vivants qu’il abrite. Il utilise aussi des semences reproductibles pour l’adaptation des variétés. Contrairement à l’agriculture intensive, il nous concède que ce processus prend du temps, et que c’est un travail de chaque instant, mais avec le temps justement, la terre s’améliore en porosité et en fertilité. Il n’utilise aucun produit à part sa fermentation maison, et il désire réadapter les pratiques d’antan grâce au savoir accumulé.
« La nature ne fait que du bio, elle sait très bien faire les choses seule. Elle fait largement mieux que nous, alors je ne veux pas m’inventer chimiste, je la laisse faire. »
Il se rappelle avoir commencé par les concombres et les taros, et n’a pas peur maintenant de faire des associations de cultures, car ensemble, nous dit-il, elles vont s’aider et repousser certains ravageurs.
Et finalement, il n’y a pas que le sol qui s’enrichit : par ses erreurs, ses expérimentations et ses apprentissages, Alexandre a avancé et a assimilé. Il mesure le chemin parcouru. C’est une activité dont les rendements ne sont pas immédiats, mais il a été patient et persévérant, et aujourd’hui son fa’a’apu prend de l’ampleur. On y trouve entre autres tomates, concombres, maïs, poivrons, pastèques, navets, etc. Bref, il y en a pour tous les goûts.
C’est pour cela qu’il tient absolument à passer un message aux jeunes agriculteurs :
« Il faut continuer, ne pas avoir peur d’échouer. Un jour ça va payer, même si au début c’est difficile. Je ne regrette rien, je regrette juste d’avoir pensé à abandonner. C’est ma fille qui m’a donné l’envie de persévérer, je voulais lui offrir une vie comme ça. »
UN TRAVAIL À PLEIN TEMPS ET DE NOMBREUX PROJETS
Même si Alexandre expérimentait à petite échelle depuis des années, il a obtenu la carte agricole en mai 2022. Il organise son emploi du temps en fonction de ses priorités et de ce que la nature lui donne ; et il réserve son weekend aux plantations moins énergivores.
Il a à cœur de privilégier la vente en direct pour fidéliser et proposer des produits à moindres coûts, quand il sait que son produit est qualitatif. Il s’est constitué une bonne clientèle qui se rend chez lui, ou qu’il livre lorsque c’est nécessaire ; même s’il avoue qu’il serait plus simple de commercialiser en grande surface.
Son prochain projet est d’acquérir un terrain domanial de 2 hectares, car il espère mélanger les plantations maraîchères et vivrières avec la forêt, en incluant des arbres fruitiers (agroforesterie).
Même si cette activité peut sembler au demeurant solitaire, notre agriculteur souhaite partager ses connaissances et son expérience avec des stagiaires, qu’il a accepté de former sur plusieurs mois, en collaboration avec le SEFI.
Alexandre aime se diversifier, il est donc aussi membre auditeur de Bio Fetia, et a obtenu le Label Bio Pasifika.
« Je suis en apprentissage constant, mais j’ai encore du chemin à faire. Je souhaite diffuser ma manière de faire, car je suis un des seuls qui fait du maraichage sur sol vivant. Aussi, depuis que je partage mon savoir-faire, les gens viennent beaucoup plus vers moi. »
Nous serons touchés par Alexandre à la fin de l’interview, lorsqu’il évoquera les stéréotypes qui concernent les fa’a’apu : « si tu ne travailles pas bien à l’école, tu iras dans les fa’a’apu ». Il souhaite se battre contre ces mauvaises images et inverser la tendance, car selon lui, l’agriculture est « le métier le plus important du monde ».
Il privilégie la qualité à la quantité, et il nous résume son activité de la plus belle des façons : « j’ai peu de moyens, mais je mange des produits de luxe ».
¹ fa’a’apu : la culture de pleine terre
©Photos : Julia Urso pour Hommes de Polynésie