Emélie, happée par l’aventure de la gendarmerie motorisée

Première femme tahitienne à avoir intégré la brigade motorisée locale, Emélie nous ouvre les portes de la gendarmerie de Faa’a. Dans son uniforme bleu, la rédaction de Femmes de Polynésie découvre une femme droite, ambitieuse et téméraire, qui n’oublie pas d’où elle vient. Déjà dans son regard, et ensuite dans ses paroles, nous sentons l’entière dévotion qu’elle porte à son métier. Pendant plus de deux heures, Emélie se révèle, et se souvient avec nous de la grande épopée qui l’a menée jusqu’ici.

Emélie a 40 ans, elle est motocycliste rattachée à la brigade de Faa’a, et essentiellement sur la route pour des missions de contrôles ou de préventions. Être gendarme n’était pourtant pas son premier souhait, mais au gré de ses péripéties et de ses remises en question, elle a su s’écouter, et oser.

Née à Tahiti, originaire de Pirae, elle a grandi avec l’envie de partir à l’aventure, de vivre à l’étranger, de faire d’autres expériences.

Après de nombreuses années en France, Emélie est aujourd’hui de retour sur sa terre, une terre qu’elle a eu du mal à se réapproprier.

«  J’ai toujours été attirée par le milieu militaire et son cadre rassurant, qui respecte des principes et des valeurs anciennes. Je suis longtemps partie, mais il fallait revenir. C’est l’appel de la Terre, le manque de la famille. »

L’ENVIE DE NOUVEAUX HORIZONS

Emélie n’a jamais eu peur de quitter le Fenua. Incitée par ses parents, elle prend rapidement son indépendance, et commence des études de médecine à Montpellier.

Studieuse et déterminée, elle fera quatre années, qui auront eu raison d’elle. Elle n’en voit pas le bout : la difficulté du cursus, l’éloignement, et la galère permanente la poussent à abandonner, au grand dam de son papa.

Elle ne poursuit pas ses études, mais découvre le milieu agricole, se débrouille, et décide de faire plusieurs saisons dans les fruits et légumes pour subvenir à ses besoins.

«  J’ai totalement coupé avec la médecine, la santé ; je ne voulais plus en entendre parler. J’étouffais, j’avais besoin de voir autre chose, de partir de Montpellier. J’avais gardé l’immense déception de ne pas être allée au bout de mes études. Mon père était en colère, très déçu, mais je ne le remercierai jamais assez. »

En 2010, une amie l’incite à prendre un billet d’avion pour la rejoindre en Australie ; ce qu’elle fait. Elle s’émerveille chaque jour, se sent libre, y reste un an et demi, et migre ensuite vers l’Asie et ses paysages contrastés. Elle vit un rêve éveillé loin de tout.

Elle ne pouvait continuer son périple sans passer par chez elle, et revient donc en Polynésie, sans filet ni projet particulier.

«  Noël approchait. Je voulais revenir chez moi, me poser, ressentir la terre, me ressourcer ; ma mère était la plus heureuse. Mais j’ai vite compris que j’allais m’ennuyer, je devais faire quelque chose, ne pas être une charge pour mes parents. »

Sans trop savoir où aller, Emélie démarre une formation professionnelle dans l’assistance informatique, un moyen pour elle de rester en Polynésie. Néanmoins, elle se rend compte qu’il est trop tôt pour se réinstaller au Fenua ; elle a encore soif de découvertes, d’expéditions.

C’est alors qu’elle s’interroge sur les différents concours de la fonction publique qui lui permettraient de repartir en France, le pays le plus accessible selon elle.

En 2013, elle prend une décision radicale : elle passe celui de la gendarmerie, à Papeete, et le réussit. Elle n’a cependant pas encore de date d’intégration, ce qui la pousse à prendre un visa d’un an pour la Nouvelle-Zélande.

« J’aimais la variété des métiers qu’offrait la gendarmerie, et j’avais la possibilité de travailler dans des territoires ultra-marins, mais aussi en zones de conflits, de guerres, dans les ambassades à l’étranger, etc. Ce n’est pourtant pas un métier répandu dans la famille, mais en tout cas il m’a attirée. »

LA GENDARMERIE, UNE AUTRE PARTIE DE SA VIE

Emélie quitte la Nouvelle-Zélande, car elle est appelée pour intégrer l’école de gendarmerie en juin 2014, à Montluçon, et c’est une autre partie de sa vie qui commence.

« Je n’avais pas peur, mais j’avais une petite appréhension sur cette vie militaire, même si c’était aussi quelque chose que j’avais toujours recherché. Je m’étais un peu informée avant, mais c’était l’inconnu. »

Pendant 10 mois, elle apprend le métier de gendarme, la vie militaire, et à la sortie, elle choisit son lieu d’affectation ; ce sera près de Vichy, en Auvergne. Elle reste un an et demi en brigade, avec des missions diverses : elle vient en aide aux populations, mais recueille aussi les plaintes. Elle est confrontée à la violence, aux vols, aux agressions ; elle est prise sur tous les fronts.

Au cours de l’entretien, Emélie prend le temps de nous expliquer la vie en brigade, les différents grades, et les échelons de la gendarmerie.

Nous lui découvrons bientôt une autre facette, une autre passion : la moto. Nous comprenons alors que l’envie d’évasion et de liberté a toujours été présente chez elle.

C’est en 2016 qu’elle répond à un appel à volontaires pour intégrer la brigade motorisée, et elle se projette rapidement dans son nouveau rôle. Elle n’a pas de qualifications, mais le désir profond d’être à moto. Elle est sélectionnée, et rejoint la BMO1 à Yzeure, dans l’Allier. 

« J’ai toujours eu envie de passer mon permis moto. Lorsque j’ai répondu à l’appel à volontaires pour être motocycliste, le dernier jour d’ailleurs, j’ai bien réfléchi : je voulais le faire sérieusement, et ne pas faire ça pour fuir la brigade ; alors je me suis mis en tête que ma vie allait changer, que j’allais être sur une moto tous les jours. »

Être gendarme à moto est un métier exigeant. Emélie effectue donc un stage intensif de plusieurs mois à Fontainebleau, où elle apprend à conduire sous toutes les conditions, à rouler de façon dynamique, mais en sécurité dans le sable, la terre, etc. Elle chute, mais se relève toujours !

« La moto demande beaucoup physiquement. Il y a des jours où je peux être fatiguée, pas assez à l’aise. Je sens que l’accident peut arriver. Mais j’y vais quand même, je redouble d’attention. La moto me manquerait, je ne pourrais pas m’en passer. J’ai celle de la gendarmerie qui m’est attribuée, ainsi que deux autres chez moi. »

Après plusieurs années dans l’hexagone, et des habitudes métropolitaines bien ancrées, Emélie fait des demandes de mutation outre-mer. Elle sent que quelque chose l’attend chez elle, mais elle sait aussi qu’il faudra du temps pour réapprendre sa terre, se réhabituer.

« Quand j’ai su que j’avais l’agrément pour revenir, j’ai pleuré, je n’y croyais pas. J’avais besoin de ce retour aux sources. Néanmoins, je ne me sentais chez moi nulle part. Ni en France ni à Tahiti. Après tout ce temps passé loin d’ici, il a fallu défaire, désapprendre certaines choses. Après deux ans, je commence tout juste à me sentir de nouveau chez moi. »

EMÉLIE, LA VOIX DES FEMMES

Emélie revient au Fenua en 2021, en étant la première femme polynésienne motocycliste du territoire.

Elle sait pourquoi elle fait ce métier et connait l’importance de son rôle dans ce milieu d’hommes : mettre en valeur la femme, et valoriser sa place.

« C’est une fierté d’avoir réussi ce stage, et d’être la première femme à cette place-là. On a besoin de nous, d’une autre approche, d’une autre sensibilité. Quand on voit une équipe arriver et qu’une femme en fait partie, ça peut adoucir. C’est l’image de la mère. Je ne profite pas de ce statut de femme au sein de la gendarmerie, mais j’en reste une, j’ai parfois plus de difficultés physiques ! »

Au quotidien, elle est aussi motivée par de nombreuses causes : responsabiliser les jeunes, mener des actions de prévention, sillonner les routes de Polynésie pour les rendre plus sûres. Elle a encore de multiples projets, et a demandé des années supplémentaires sur le territoire afin de les conduire à terme.

Nous ne pouvions pas finir cet entretien sans photographier Emélie en tenue de cérémonie, près de cette moto qui ne la quitte pas. Un ange de la route, qui porte avec elle la voix des femmes.

« S’il faut représenter un symbole, je le ferai, pour porter une parole féminine dans un monde encore trop masculin. Ma voix compte et elle est considérée. Les gens m’approchent et me félicitent d’être motarde, même quand je les verbalise ! J’ai un rôle à jouer, je souhaite faire évoluer les mentalités et adoucir les humeurs des gens. La femme devrait être présente dans tous les combats. »

1 Brigade motorisée

©Photos : Julia Urso pour Femmes de Polynésie

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