Pour certains, il est une référence et un pilier de l’art oratoire. Pour d’autres, un instructeur averti et bienveillant.
C’est dans l’enceinte de la maison de la culture, lieu où se mêlent modernité et traditions que Hommes de Polynésie part à la rencontre de Teiva Manoi, dit Minos.
UNE ÉDUCATION ANCRÉE DANS LES TRADITIONS
Teiva Manoi naît à Tahiti. Fils d’un père pasteur et d’une mère conteuse, il grandit lové dans la grâce des mots. Au sein du foyer, c’est en tahitien que la famille choisit de s’exprimer. Ce n’est qu’à 21 ans que le jeune homme apprend à maîtriser parfaitement le français.
Par ailleurs, il ne cache pas que son talent, il le tient de ses parents. Pour lui, l’art de la déclamation est un don qui s’hérite. Lorsque nous lui demandons ce que cela implique d’être un ‘ōrero¹, il répond simplement :
« Dire les choses telles qu’elles sont, avec poésie et éloquence. »
C’est après avoir pratiqué trois ans l’art oratoire qu’il décide de se professionnaliser. Devenant un interprète incontournable de la cérémonie du Heiva i Tahiti, il a sû conserver son humilité, restant premièrement dévoué aux siens.
« Je suis avant tout un père de famille. Mon public au Heiva, c’est ma famille.»
UNE VOLONTÉ DE TRANSMISSION
Le ‘ōrero est, à son sens, une entité de la culture. La faculté de l’expression publique, c’est avant tout dépasser ses propres limites, mais également rendre hommage à des temps anciens dans lesquels sont enracinées les coutumes actuelles.
« On ne peut inaugurer un événement sans ‘ōrero. Il faut se souvenir que la langue a été interdite, les Polynésiens ont dû la parler en cachette. »
Il détient le record de la médaille du ‘ōrero du Heiva qu’il a remporté cinq fois, puis ses mots débordent vers le septième art. Nous l’apercevons dans L’Oiseau de Paradis de Paul Manate ou encore aux côtés de Tuhei Adams dans La Dernière Reine de Tahiti de Adeline Darraux. Ses succès sur scène, au grand et au petit écran ne sont cependant pas toujours ses priorités. Car Minos a une autre passion, celle de transmettre son art.
« Pour les deux premiers prix, évidemment j’étais fier. Mais après cela, il était temps de transmettre. Mes parents m’ont donné cet art, je perpétue leur éducation. Donner envie aux jeunes de parler leur langue. »
Cette réalisation lui fait découvrir de nouvelles contrées grâce à un voyage si particulier, celui de l’enseignement. Une mission qui le pousse à nouveau à se dépasser mais surtout, se redécouvrir.
LE DROIT À L’ERREUR
Depuis huit ans, Teiva se plaît à mêler ces deux univers qui, finalement, se complètent : celui de parler et de faire parler.
« Apprendre la langue, c’est la passion et le respect. Respecter les autres et se respecter soi. Le respect de dire ce que tu as à dire comme tu veux le dire et le respect d’autrui lorsqu’il se trompe. »
À travers ces paroles, il nous entraîne vers le point essentiel du devoir de transmission : accepter la faute. Car si le professeur sait que ses élèves sont amenés à se tromper pour réussir, ce sont eux qu’il faut convaincre de cet atout. Sans erreur, il n’y a pas d’amélioration. Cet adage, Teiva tente de l’inculquer aux écoliers qui suivent ses cours au collège du Diadème, où il intervient depuis un an.
« Les jeunes sont gênés du regard et de l’écoute des gens, mais ce n’est pas interdit de se tromper. Il ne faut pas les critiquer mais les accompagner à se corriger. »
Lorsqu’il forme au ‘ōrero en dehors du collège, c’est auprès des particuliers. Des personnes qui souhaiteraient, elles aussi, monter sur les planches de Tō’ata et déclamer en reo Tahiti les légendes qui se dansent au rythme des tō’ere2.
« Pour former quelqu’un, je lui donne une heure. Le reste du travail se fait de son côté. C’est à la personne de trouver l’émotion en elle-même par rapport à ce qu’elle souhaite déclamer. »
L’AMOUR DE SA CULTURE ET DE SA TERRE
Ce qui caractérise ce personnage finalement, ce n’est pas seulement son attachement à son métier mais bien sa dévotion pour le langage qui illustre les singularités de la culture océanienne.
« Je suis passionné par les langues du Pacifique. Je comprends le , cela n’a jamais été une barrière. En Polynésie, il y a aussi un langage corporel qui amène un autre impact. »
Son goût pour la transmission vient avant tout de son éducation, solidement ancrée dans les fondements d’une culture qui doit encore se reconstruire suite à des siècles de colonisation. Un contexte qui invite à se réapproprier son histoire, à la redécouvrir sous un angle nouveau, longtemps voilée par de fausses traductions abdiquant le sens propre des légendes ancestrales. Teiva Manoi fait donc usage de la langue comme outil de reconnexion aux traditions, nous rappelant avec émotion l’importance d’une parole qui nous appartient.
« Utilise cinq mots en Tahitien tous les jours. Le suivant, utilise cinq autres mots. Tu peux parler les deux langues, mais aime ta langue, aime ton Fenua. »
1 Orateur, discoureur.
2 Tambour à lèvres, morceau de bois évidé présentant une fente dans le sens de la longueur et qui est utilisé comme instrument de musique à percussion.
©Photos : Cartouche pour Hommes de Polynésie