Lucille CHAUVEAU, une taote spécialisée dans l’ethnologie médicale

Lucille Chauveau poursuit sa jeune carrière de médecin en France et a entre-temps exercé en Polynésie. Dans le but d’assurer une meilleure prise en charge, elle s’est spécialisée dans l’ethnologie médicale en menant des études sur le comportement des patients polynésiens. Elle s’est également intéressée à la prévention du cancer du sein. La taote se confie à Femmes de Polynésie sur l’importance de bien connaitre la culture polynésienne afin de mieux soigner les polynésiens.

MIEUX COMPRENDRE LE COMPORTEMENT DES POLYNÉSIENS POUR UNE MEILLEURE

Médecin généraliste spécialisée à la base dans la médecine aérospatiale, Lucille Chauveau exerce actuellement  en France et a aussi travaillé pendant quelques années en Polynésie Française. C’est ici qu’elle s’intéresse à l’ethnologie médicale. Cela consiste à comprendre les spécificités culturelles d’un peuple afin de mieux prendre en charge les patients.  Elle étudie donc dans le but de comprendre le comportement des patients locaux durant les soins médicaux.

« La première problématique à laquelle je me suis intéressée porte sur les matahiapo. Je voyais un peu comment ils vivaient leur santé dans les îles éloignées. Quand les taote arrivent de l’hexagone, ils sont parfois pris au dépourvu. On ne se comprend pas vraiment entre soignants. J’ai donc beaucoup travaillé sur ce sujet. »

LA CRAINTE DE LA PERTE D’AUTONOMIE DES MATAHIAPO

Taote Lucille Chauveau analyse le comportement des matahiapo lors de ses prises en charge médicales.

« Quand on leur demande par exemple ce que veut dire « être en bonne santé » pour eux, ils ne répondent jamais que c’est le fait de ne pas être malade. Ils disent toujours qu’ils sont en bonne santé quand ils peuvent travailler. Quand on leur demande d’arrêter de travailler pour se reposer, ils pensent que c’est fini pour eux. Ils se disent qu’ils sont vieux et qu’ils sont dépendants. Il faut donc faire attention aux mots qu’on leur dit. »

FORTE RÉTICENCE DES VAHINE AU DÉPISTAGE DU CANCER DU SEIN

Le cancer du sein est aussi une problématique sur laquelle s’est penchée Lucille Chauveau.

« J’ai fait récemment une grosse étude sur ce sujet. Il y a une évolution assez défavorable du cancer du sein en Polynésie. Le problème est que les femmes atteintes sont souvent traitées de manière tardive. On pense qu’il n’y a pas assez de dépistage, mais le problème n’est pas là.  Quand les mamans sentent qu’elles ont une boule dans le sein, elles n’en parlent pas et gardent cela pour elles pendant plusieurs mois voire un an pour certaines. On a plus de mal à les soigner après. Cela m’intéressait donc de savoir pourquoi on n’en parle pas et comment faire pour que cette pathologie soit mieux prise en charge. »

L’IMPORTANCE DE LA COMMUNICATION DANS LA RELATION AVEC LE PATIENT

L’une des principales recommandations serait d’adapter le message adressé aux patients.

« En Polynésie, les mots que l’on pose ont une importance. On ne veut pas parler du cancer. Si on prononce le mot « cancer », on pense que cela le fait arriver. Il faut donc que l’on adapte nos messages puisque l’on connaît la culture et qu’on comprend comment ça se passe. Pour les jeunes par exemple, on ne va pas leur parler de cancer. On va juste leur dire : « Quand tu sens une boule, il faut que tu voies le taote pour qu’on sache ce que c’est. Ça ne sera pas un cancer la majorité du temps, juste un fibrome. » Ce sont les bons comportements de santé qu’il faut bien apprendre en fait. On n’est pas obligé de dire le mot « cancer ». Il y a des choses comme cela qui ressortent de l’étude. »

LES RÉSULTATS DES ÉTUDES DISPONIBLES AU PUBLIC

Les résultats des différentes études menées par taote Lucille Chauveau sont accessibles au public à la Maison des Sciences de l’Homme du Pacifique. Ils permettent notamment aux organismes de lutte contre le cancer, comme l’association Amazon Pacifique ou l’Institut du Cancer de Polynésie Française, de mener des actions de prévention plus efficaces.

« Le but dans une étude est de pouvoir dire que dans tel groupe, les jeunes vont avoir tendance à faire cela et qu’il faut donc faire plus attention. Quand on est prévenu sur les difficultés, la peur d’un patient par exemple, on saura comment adapter nos interventions.  Autre exemple : les femmes demandent ce qu’elles ont le droit de manger après une consultation médicale. Il s’agit de leur part d’adapter la nourriture aux soins. C’est un bon comportement de santé qui est très ancré dans la culture polynésienne. Comme ce n’est pas une chose à laquelle sont formés les médecins, ils ne savent pas y répondre. On en parle dans les études de médecine mais combien y a-t-il de cultures différentes ? Quand on va travailler dans un nouvel endroit, il faut donc rester ouvert et s’adapter à la manière dont ça se passe. »

UN MÉTIER À VIE ET PASSIONNANT

Aujourd’hui, taote Lucille Chauveau est une femme épanouie dans l’exercice de sa profession.

« J’aime beaucoup mon métier. Tu n’arrêtes jamais d’être médecin, même en dehors du travail. Un jour, lors d’un voyage en train, j’ai dû prendre en charge un monsieur qui a fait une crise cardiaque. C’est quelque chose qui fait partie de moi. Ce qui me rend profondément heureuse, c’est le fait d’essayer de comprendre les gens et de faire en sorte qu’ils sachent pourquoi je fais telle chose, pourquoi je vais donner tel médicament, …  J’aime les gens et du coup, je m’épanouis dans mon métier. »

Pour conclure, elle voudrait adresser un message à la population polynésienne, en particulier à la jeunesse :

« Je pense que les jeunes ne sont pas forcément au courant de tout et par peur, n’osent pas demander. Ils ne savent pas pourquoi le médecin fait telle ou telle chose. Je voudrais leur dire qu’il ne faut pas avoir peur. Il faut toujours se dire : pourquoi pas ? Il faut oser ! »

©Photos : Lucille Chauveau pour Femmes de Polynésie

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