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Mirna Tuheiava : planter pour permettre aux jeunes de rester

Agricultrice depuis toujours, Mirna Tuheiava est installée sur deux sites domaniaux au sud de Raiatea. Cette femme courageuse, qui travaille seule sur plus de 3 hectares, réfléchit à long terme. En s’équipant d’un laboratoire de transformation, elle prépare l’avenir professionnel de ses quatre enfants sur leur île. Femmes de Polynésie est allé recueillir le témoignage de cette mère volontaire.

Vanille, citrons, bananes fēī et autres arbres fruitiers s’épanouissent dans la vallée de Aratao où Mirna Tuheiava dispose de deux hectares tandis que sa tarodière se développe sur près d’un hectare et 4000 m2 au lieu-dit Maraeroa. De belles surfaces que l’agricultrice ensemence pas à pas, car la production en quantité présente certaines difficultés bien différentes d’un modeste fa’a’apu.

« Maîtriser la production de taro sur une grande surface, c’est dur. L’entretien demande un travail incessant. L’an dernier, j’ai testé le paillage synthétique mais, comme je ne le maîtrisais pas, la production n’a pas atteint les volumes espérés. »

L’aventure du taro a démarré suite à la création de La Compagnie agricole polynésienne (CAP) sur Fa’aroa en 2016. Cette entreprise de transformation agro-alimentaire se basait sur l’achat des produits agricoles locaux afin de les transformer en farines, pains, pâtes… Intéressée par ce nouveau débouché prometteur, Mirna augmente ses surfaces et crée une tarodière. Hélas, la CAP met la clé sous la porte à peine trois ans plus tard, en 2019.

Mirna Tuheiava dans sa tarodière, au sud de Raiatea.

« Avant, je cultivais sans réussir à tout vendre ou à tout manger. Il y avait régulièrement du gaspillage. Ce que je retire de positif de cette expérience avec la CAP, c’est la possibilité de transformer moi-même afin de supprimer les pertes. Aujourd’hui, les agriculteurs sont de plus en plus nombreux à transformer. Ils ont compris qu’ils peuvent davantage gagner s’ils présentent des produits adaptés à la façon actuelle de cuisiner. »

Par conséquent, la cultivatrice de Ōpoa décide de transformer elle-même son taro afin de le vendre épluché, découpé en rondelles, mis sous-vide et congelé. Elle fabrique également de la farine de taro qu’elle préfère sécher au soleil plutôt qu’au déshydrateur. Celle-ci est vendue à un boulanger de Raiatea pour sa gamme Pain du Fenua.

« Je valorise ainsi mes trois variétés de taro, le veo, dont le tubercule est jaune, le mana ura, qu’on appelle rouge et le taro tinito que je réserve à la préparation de chips. Plus tard, j’aimerais proposer des purées de taruā ou encore de fēī. Parce que c’est tellement bon ! »

Les idées de transformation de Mirna Tuheiava sont motivées par le rejet de tout gaspillage agricole.

Pour augmenter l’offre de produits semi-transformés, Mirna a investi dans un laboratoire agroalimentaire à Maraeroa qui est en cours d’équipement. Congélateur, machine à découper, machine sous-vide, déshydrateur et pétrin (pour élaborer le po’e) sont déjà en place, ce notamment grâce à une aide territoriale et le soutien de la Direction de l’agriculture (DAG).

« Le plus long, c’est l’épluchage manuel des taro. Seule, j’arrive à en éplucher environ 100 kilos en une bonne demi-journée. Une machine à éplucher coûterait 600 000 francs. Mais, de toute façon, le résultat ne me convient pas car elle râpe la surface au lieu d’enlever la peau de façon nette. »

Au fur et à mesure de ses essais artisanaux, Mirna valide certains produits qu’elle ambitionne de fabriquer en quantité commerciale comme la farine de ‘uru, de fēī, de banane et de taruā. Grâce à son partenaire boulanger de Avera, elle a goûté aux crêpes 100 % farine de taro et a été conquise par leur goût succulent. Portée par les valeurs de l’agriculture biologique, Mirna cultive suivant le référentiel Noab (1) qui accorde le label Bio Pasifika.

Les produits agricoles bruts de Mirna Tuheiava sont labellisés Bio Pasifika. En revanche, ses taro prêts à cuire et farines ne le sont pas car la transformation bio obéit à des normes supplémentaires compliquées.

Si Mirna travaille seule, la situation n’est pas amenée à durer. Son objectif est d’assurer du travail à ses enfants sur Raiatea. C’est pourquoi, week-ends et vacances, ils sont au fa’a’apu avec elle – trois sur quatre sont majeurs – afin de s’approprier leur futur métier, s’ils en décident ainsi. Quant à son tāne, agent hydraulique de mairie, il vient également en renfort sur son temps libre.

« Je suis la seule aux Raromata’i à avoir mis en route sa propre usine de transformation. Je m’y investis énormément. Même si c’est dur à l’heure actuelle de tout gérer toute seule, je sais que, plus tard, mes efforts seront récompensés car mes enfants pourront revenir.

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1 Norme océanienne d’agriculture biologique

©Photos : Gaëlle Poyade pour Femmes de Polynésie

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