Tane WILLIAMS, une vie dédiée à la pêche

À 77 ans, Tane Williams est un pêcheur chevronné de Moorea. Il fait quotidiennement le bonheur de la population en lui proposant  du poisson frais sur le bord de route entre Paopao et Vaihere. Il se confie à Hommes de Polynésie pour retracer son parcours et nous partager sa passion de la pêche. 

PÊCHEUR À L‘ÂGE DE 14 ANS

Les habitants de Moorea ont certainement aperçu ce pêcheur vendre son poisson sur le bord de route entre Paopao et Vaihere. Beaucoup d’entre eux sont des clients fidèles. Originaire de Arue, Tane Williams est issu d’une grande famille de pêcheurs ce qui le prédestinait à exercer cette profession. Dès son enfance, il reçoit les enseignements de ses parents et de ses grands-parents avant de lancer, adolescent, sa propre activité.

« Lorsque j’étais enfant, j’allais à l’école la semaine et le samedi soir, j’allais pêcher du mārara (poisson volant) avec mon père. On faisait à cette époque du rama (1) avec le  » mori gaz  » (lampe à gaz). On utilisait encore un peu du nī’au (palme de cocotier) pour ce type de pêche.  J’ai quitté l‘école à l’âge de 14 ans pour me consacrer pleinement à la pêche. J’ai commencé à pêcher du mārara avec mon copain Deane. Je me suis ensuite mis à pêcher d’autres poissons comme le ’auhopu (bonite), le ‘ā’ahi (thon), le ha’urā (espadon), le mahimahi (coryphène), etc… »

ABONDANCE DE POISSONS PENDANT SA JEUNESSE

Williams se souvient de l’abondance des poissons à cette époque.

« Il y avait beaucoup de poissons en ce temps-là. On était plusieurs pêcheurs, issus de plusieurs communes, à pêcher du mārara pendant la nuit. On pêchait de Arue à Paea. Ça m’est même arrivé d’aller jusqu’à Pueu. Avant une heure du matin, on pouvait avoir jusqu’à 200 ou 300 tui (filoches de poissons) alors qu’on ne peut en avoir que 40 à 100 aujourd’hui. On allait ensuite les vendre au marché de Papeete à quatre heures du matin. Je pense qu’on trouve moins de poissons aujourd’hui à cause de la pollution. »

PÊCHER POUR LE BIEN DE SES ENFANTS

Le pêcheur se marie en 1965 puis fonde sa famille. En 1983, il s’installe à Moorea sur un terrain familial situé dans le district de Vaihere. Estimant que la clientèle de l’île sœur est suffisante pour absorber le fruit de sa pêche, il décide de vendre son poisson à Paopao et à Vaihere. Il s’épanouit pleinement dans son activité et continue à enseigner les techniques de pêche à ses enfants et à ses petits-enfants. Il reconnait toutefois que cette profession est très exigeante.

« C’est un métier fatigant car on revient de la pêche à une heure du matin. On a juste le temps de dormir un peu avant d’aller vendre nos poissons très tôt le matin. Il faut les nettoyer et préparer nos tui. Quelquefois, je ne dors pas la nuit. C’est la vie que je mène depuis l’âge de 14 ans. J’ai toujours été fort mentalement car il a fallu aller à la pêche pour prendre soin de mes enfants, les nourrir et faire en sorte qu’ils suivent leur scolarité dans de bonnes conditions.  »

DES CONNAISSANCES DANS LE DOMAINE DE LA PÊCHE

Pour expliquer sa longévité, Williams nous explique avoir engrangé, tout au long de ces années de pratique, des connaissances sur les techniques de pêche, le matériel adapté ainsi que les particularités des différentes espèces de poissons. Il traque notamment au large les groupes de petits poissons qui attirent les plus grandes espèces. 

« Je vais pêcher du lundi au dimanche. Je regarde dans quel sens se dirigent la houle et le courant maritime. Je repère ensuite les petits poissons qui sont chassés par les prédateurs. Ce sont ces derniers que je pêche. Par exemple, les prédateurs du īna’a sont le  ‘ōrare (Selar Crumenophtalmus ), le pā’aihere (carangue bleue) ou le ‘o’eo (bec de cane). Mes parents m’ont également appris comment préparer le bon matériel ainsi que la confection d’un filet. J’ai retenu tous ces enseignements. »

ARTISAN DE LA MISE EN PLACE DU PGEM DE MOOREA

Il fait partie d’une équipe de pêcheurs respectés qui ont mis en place la règlementation du lagon de Papetoai ainsi que de la baie d’Opunohu.

« Le PGEM a été mis en place afin de préserver nos ressources pour les générations futures. C’est notamment pour cela qu’on a fixé la taille minimum à pêcher pour chaque espèce de poissons. On s’est aperçu que certains pêcheurs vendaient des poissons de petites tailles sur le bord de route. Il y avait aussi des pêcheurs de Tahiti qui venaient à Moorea du jeudi soir au samedi soir pour massacrer nos poissons, nos bénitiers, nos burgots … Ils venaient chez nous pour se faire du business alors que les habitants de Papetoai pêchent avant tout pour nourrir leur famille. C’est grâce à la réglementation mise en place qu’ils ne sont plus revenus.  »

PRÉOCCUPÉ PAR LE NOMBRE DE BATEAUX DANS LA BAIE D’OPUNOHU

Il est toutefois préoccupé par le trop grand nombre de bateaux et de voiliers qui accostent dans la baie d’Opunohu et qui posent problème aux pêcheurs du district. 

 « Les zones ont bien été délimitées pour les pêcheurs, les bateaux et les baleines mais les bateaux sont aujourd’hui ancrés un peu partout dans la baie. La réglementation n’est plus respectée. Le fait d’avoir trop de lumières de bateaux éparpille les poissons comme les ature, les ‘ōrāre ou les ‘aramea. Ils ne se regroupent plus dans une zone. Les pêcheurs n’arrivent désormais plus à attraper autant de poissons qu’auparavant.»

ENCOURAGEMENT POUR LES JEUNES PÊCHEURS

Pour conclure, Williams aimerait adresser un message d’encouragement aux jeunes Polynésiens qui se sont lancés dans la pêche.

« Je les félicite car ce métier n’est pas facile. Il est déjà difficile de s’acheter un poti marara. Il faut qu’ils se renseignent sur les aides existantes sur le territoire. La pêche est aussi une activité fatigante. Certains n’arrivent pas à avoir du poisson. Je dis que c’est un manque de formation. Je leur conseille de se rapprocher des personnes âgées pour apprendre leurs secrets. C’est de cette manière qu’ils vont apprendre les techniques de pêches spécifiques à la capture des différentes espèces de poissons. »

1)  Séance de pêche à bord d’une pirogue pendant laquelle on utilisait des feuilles de palmiers brulées ou (plus récemment) une lampe à gaz pour l’éclairage.

©Photos : Toatane Rurua et Tane Williams pour Hommes de Polynésie

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