Les baleines sautent de l’autre côté de la barrière de corail. Thierry Zysman est tous les jours à l’eau pour les observer et apprendre d’elles. Ce naturaliste a dédié son temps à l’observation du milieu polynésien. Il nous raconte son odyssée à travers les mers du Sud.
« J’étais porteur d’îles, émotionnellement »
Lié familialement au Sud de la France, Thierry Zysman a appris à nager, puis à plonger sur les plages de la Méditerranée. Quand il sort de son école de commerce parisienne, l’étudiant décide de prendre la tangente et d’embrasser sa passion : le monde sous-marin. À cette époque, il écrit déjà des articles sur la plongée car il est correspondant pour L’Aventure Sous-marine [1] et la revue Le Monde de la Mer. Déjà, il a envie d’îles et d’aventure.
« J’étais porteur d’îles, émotionnellement. Je ne voulais pas rentrer dans le “système”, alors je suis parti à Tahiti. Je suis arrivée un beau matin de 1982 à Faa’a, accompagné de Chloé. »
Diplômé d’un monitorat de plongée, Thierry trouve rapidement du travail dans ce domaine sur Tahiti, avant d’accepter un poste de cadre au sein d’une petite entreprise.
« J’avais négocié une clause assez particulière de mon contrat : je pouvais aller au boulot… en short. »
Et puis, « le démon » l’a repris et le désir d’aventures a resurgi : Thierry et sa compagne partent alors en Nouvelle-Calédonie en 1984. Pris au milieu des « évènements » sanglants de l’époque, ils se voient contraints de rentrer précipitamment dans l’Hexagone. Il retrouve de fait son Sud natal, où il travaille au Festival mondial de l’image sous-marine d’Antibes.
« Je suis resté une année en France et toujours, ce démon… Je voulais repartir et revenir à Tahiti. J’ai alors monté “l’expédition Motu” : le but était de recenser les plus beaux sites de plongée de Polynésie afin de faire un guide qui était inexistant. En 1986, je repartais. »
Tout à faire !
Thierry Zysman entreprend donc de créer le premier Guide des plongées de Tahiti et ses îles.
« À l’époque, il n’y avait quasiment pas de centres dans les îles. J’ai lancé le projet sans grands moyens, avec mon éditeur (Les Editions du Pacifique) et quelques sponsors locaux. J’arrivais dans les îles, sur le quai, avec mon Zodiac sur remorque, rempli de matériels, mais sans voiture pour le tracter… L’aventurier a tout à découvrir ! Je me lançais à l’eau. Huahine, par exemple, je l’ai fait seul : pratiquement tous les 500 m, j’envoyais l’ancre et je descendais le long du bout pour voir si l’endroit valait le coup… Il n’y avait pas d’info, de carte, ni même de structures sur lesquelles s’appuyer, il fallait chercher un à un tous les meilleurs spots ! »
Ce guide des plongées paraît en 1991 : c’est un accomplissement pour le plongeur qui est ravi d’avoir «mouillé la chemise», mais aussi d’avoir pris du plaisir tout en apportant quelque chose au pays. Cette parution a, sans conteste, contribué à positionner Tahiti comme une «destination plongée» alors totalement ignorée de la diaspora des plongeurs étrangers.
Suite à cela, Thierry s’embarque dans de nouvelles aventures au goût salé : il crée d’abord sa maison d’édition Téthys Editions et les carnets de plongée régionalisés « TAHITI ». D’autres destinations viendront rapidement enrichir le catalogue de l’entreprise. Ensuite, avec Yves Lefèvre et Philippe Bacchet, il rédige le Guide des poissons de Tahiti et ses îles.
« À l’époque, il n’y avait qu’un vieil ouvrage, de référence certes, mais très incomplet et largement dépassé sur le plan scientifique. Avec ce nouveau projet, on souhaitait répertorier de façon la plus exhaustive possible les espèces des cinq archipels de la Polynésie. On faisait le recensement, la photo, l’identification actualisée (parfois en collaboration avec des scientifiques mondialement réputés) et la rédaction des textes… un labeur titanesque de plus de cinq années ! »
Thierry, qui s’est occupé notamment du recensement des poissons, mais aussi de la partie consacrée aux noms vernaculaires[2], se définit comme « naturaliste ».
« Pour reconnaître, identifier, appréhender les comportements, il faut savoir observer quand on va à l’eau, “buller utile” en quelque sorte. Je scrute, je fais des recoupements, rassemble des données. Je ne suis pas scientifique, je suis naturaliste. Mais l’observation naturaliste, lorsqu’elle est bien faite, apporte de la data précieuse aux scientifiques. »
La particularité de ce guide consiste notamment en sa partie vernaculaire : en effet, il précise les noms des poissons dans les archipels et les îles, ce qui permet de conserver le patrimoine de Polynésie.
« Je peux dire un grand merci à ma femme. Sans son soutien, je n’aurais jamais pu porter tous ces projets. Elle était toujours là dans ces aventures et je lui en suis très reconnaissant. »
Côtoyer les baleines
Après avoir observé les poissons et les oiseaux[3], Thierry rencontre les baleines.
« Depuis qu’elles sont arrivées en Polynésie au début des années 90, elles me fascinent. Quand j’ai vu mon premier bébé en 1991 à la Presqu’île, je me suis dit “si elles s’installent, c’est fabuleux”. Lorsque l’on côtoie de près ces animaux très intelligents, on passe à une autre étape que celle des poissons, on est dans un autre monde. Je ne les ai plus quittées depuis trente et une saisons… »
Thierry étudie leur comportement pour savoir comment elles évoluent et interagissent. Il développe ainsi la base des techniques d’approche qu’il a pu partager avec de nombreux moniteurs du fenua afin de respecter ces cétacées. Surtout, Thierry s’est pris de passion pour les « black belly » .
« Ce sont des baleines à bosse avec le ventre noir. C’est une caractéristique plutôt de l’hémisphère Nord, mais il y en a de plus en plus dans notre région. Ces animaux ont un comportement tout à fait particulier, très joueur, parfois même inquisiteur. Ils viennent beaucoup plus volontiers au contact. Très souvent, ce sont eux qui sont en sortie plongeurs. »
De cette passion naît le dernier ouvrage de Thierry, Tohora, baleines de Polynésie. Lors de notre rencontre, notre homme de Polynésie n’avait qu’une hâte : retourner à l’eau, profiter de la saison des baleines.
« Il faut que j’y aille tous les jours ou presque. Il faut en profiter car elles ne sont là que quelques mois. Elles me manquent trop quand elles repartent vers le grand sud. La mer parait alors bien vide… »
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[1] Magazine de référence dans le domaine de la plongée dans les années 80.
[2] Propre au pays, à ses habitants.
[3] Oiseaux du fenua : Tahiti et ses îles, Thierry Zysman et Anne Gouni ; avec la contribution de Jean-Marc Salducci, Taravao (Tahiti), Téthys éditions, 2007
©Photos : Marie Lecrosnier–Wittkowsky pour Hommes de Polynésie ; M. Begue; Marie Legendre.