Wilfrid Sidolle : miser sur la culture mā’ohi pour éduquer nos enfants

Professeur d’histoire-géographie à Raiatea, Wilfrid Sidolle se consacre au changement du modèle éducatif local. Pierre après pierre, voyage après voyage, ce « demi » natif de Tahiti s’est réapproprié sa culture, qu’il promeut via l’association ’A Nui Taputapuātea. Hommes de Polynésie s’est penché sur le cheminement d’un homme qui continue à apprendre de ses pairs dans l’objectif d’élever la génération future.   

Wilfrid Sidolle grandit à Papeete, coincé entre deux origines, Taha’a du côté maternel, Marseille du côté paternel. Aussi s’envole-t-il à 20 ans vers l’Hexagone, avec l’espoir de se trouver une patrie.

« L’année passée à Montpellier et l’influence de ma compagne Titaua Raapoto ont été révélatrices ; elles ont déclenché mon sentiment d’appartenance à la Polynésie. Par d’infimes sensations trahissant le mal du pays, par certains souvenirs comme l’odeur du feu de bourre de coco en fin de journée sur la plage, la caresse du soleil, la présence du vent… Titaua m’a fait prendre conscience qu’on était d’ici. »

Wilfrid Sidolle et son épouse Titaua Raapoto.

Quand le couple revient, lui nanti d’une licence en histoire-géographie, elle d’une maitrise en lettres modernes, ils recherchent du travail comme professeurs mais sur les îles, loin de la capitale. Après une année de pur bonheur à Huahine, le couple est affecté, en 2002, au collège de Faaroa, à Raiatea, que Wilfrid ne quittera qu’en 2022 pour rejoindre le lycée professionnel de Uturoa.  

« À Vaiaau, loin de la ville, on se met à cultiver la terre, je découvre la pêche avec mon beau-père qui attrape varo (1) et fe’e (2) à la main. Je demande à Titaua de parler en tahitien à nos deux garçons dès leur plus jeune âge afin qu’ils soient immergés dans cette langue tandis que, de mon côté, je l’apprends discrètement mais de façon déterminée. »

Wilfrid et Titaua en tenue de représentation du projet Te Ara Mo’a, devant le Toomaru, à Faaroa, Raiatea. Le couple tient un tokotoko, un bâton d’orateur offert en cadeau par un sage maori.

Un monde s’ouvre à eux, passionnant, émouvant, historique. Suite à la rencontre décisive avec Chantal Richerd, qui devient leur mentor, les jeunes professeurs décident de placer la culture au cœur du processus instructif. En 2014, le trio lance les classes Patrimoine au collège de Faaroa. Celles-ci s’inspirent de deux modèles, les écoles néo-zélandaises en langue māori, ayant émergé dans les années 2000, et les classes Patitifa du collège du Taaone, à Pirae, qui ouvrent à l’international océanien.

Atelier culturel organisé en 2023 par l’association ’A Nui Taputapuātea.

« À Faaroa, les matières d’éveil étaient la musique, les arts plastiques, tout ce qui pouvait être mis dans les mains des élèves. Nous avons fait fabriquer des vivo (3) et créé un orchestre avec des jeunes qui n’avaient jamais touché d’instrument. Aujourd’hui, certains jouent au Heiva ! Nous avons beaucoup tressé, cuisiné, par exemple le po’i à base de ‘uru, fait venir des porteurs de mémoire des Marquises, des Australes… Ayant tissé des liens avec des archéologues pour participer à des fouilles préventives, les classes Patrimoine se sont souvent rendu aux marae de Tainu,  de Taputapuātea ou encore de Apatoa. Pour montrer à nos jeunes comment on préserve sa culture et sa langue, nous avons voyagé jusqu’en Nouvelle-Zélande. »

L’âge d’or des classes Patrimoine, de 2015 à 2019, n’a pas duré, le nombre d’heures alloué, douze heures hebdomadaires, ayant été drastiquement réduit à six, voire moins. Certes, en parallèle, de nouveaux dispositifs ont été mis en place par le ministère de l’Éducation, comme l’éveil aux langues polynésiennes en primaire à raison de 2h30 par semaine, l’option tahitien au collège-lycée ou encore, récemment, Ecolpom, ReoC3 et le bilinguisme à parité horaire. Autant de bonnes initiatives à condition que la culture polynésienne ne soit pas « ajoutée » au programme comme une discipline lambda de plus…

En 2021, Wilfrid Sidolle et d’autres convaincus s’émancipent du cadre scolaire et créent l’association ’A Nui Taputapuātea, ouverte à tout public. Elle leur permet d’organiser plus librement des conférences, des ateliers artisanaux et diverses célébrations comme Matari’i i ni’a.

Accueil d’une délégation māori au marae Taputapuātea en 2023.

L’objectif 2025 est un projet d’école immersive mā’ohi à Raiatea sur le modèle des établissements māori, publics et gratuits, dont certains cumulent jusqu’à 500 élèves.

« En 2010, lors d’un voyage scolaire à Auckland et Rotorua, je découvre le Kapa Haka, moments de rassemblements autour des arts māori, chants, danse, ’ōrero (4)… donnant lieu à des performances. J’ai été très impressionné par l’auto-discipline et le respect qui régnaient dans cette école. Allant de la maternelle au lycée, les établissements māori s’appuient sur la coopération, les grands servant de tuteurs aux plus jeunes. »

Cours d’histoire en plein air lors de la sortie sur Taha’a, en 2015, d’élèves de 6e en classe Patrimoine au collège de Faaroa.

Subjugué, Wilfrid renouvelle les voyages et visite une dizaine d’écoles néo-zélandaises.

« Les Néo-Zélandais ont mis l’accent sur le développement personnel des jeunes, ce dont on a terriblement besoin ici ! Malgré tous les discours qui parlent d’“école polynésienne”, nos enfants ne sont pas au centre du système éducatif car celui-ci n’est qu’un copié-collé de ce qui existe en Métropole. On est à des années-lumière de nos codes culturels. J’aimerais proposer une alternative au système actuel. Qu’on ait le choix. »

©Photos : Gaëlle Poyade et Wilfrid Sidolle pour Hommes de Polynésie

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