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Yelhée RAAPOTO tresse comme d’autres chantent

À l’occasion d’une journée polynésienne¹  sur le site du marae Taputapuātea, à Raiatea, Femmes de Polynésie remarque Yelhée, une femme simple et majestueuse qui fait corps avec le décor. Endimanchée dans une robe bleue fleurie, parée de perles, elle fait danser entre ses doigts les palmes de cocotier. Fascinés par ce tableau harmonieux qu’elle offre à notre vue, nous avons voulu connaître son histoire.

Yelhée vit à Fetuna, un district du bout du bout, tout au sud de l’île sacrée. Avec l’homme qui l’accompagne depuis plus de 30 ans, devenu son époux l’an dernier, ils ont créé une famille de sept enfants. Bien que la plus jeune n’ait que 11 ans, Yelhée est l’heureuse grand-mère de sept mo’otua². Le couple se partage les charges du foyer.

« Mon tāne travaille comme agent technique à l’école primaire de Fetuna. Son salaire paye les factures d’eau, d’électricité, les dépenses scolaires… Moi, je m’occupe de tout le reste. Je vis de la vanille, du fa’a’apu et de la pêche. Je ramasse tout ce qu’il y a dans la mer pour nourrir mes enfants. »

Tout en saisissant le panier d’une dame pour l’aider à s’y retrouver dans les feuilles à positionner dessus, dessous, dessus…, Yelhée raconte son coup de cœur avec le niau, la palme de cocotier, et le pae’ore, la feuille de pandanus.

40 ANS DE PRATIQUE

« Je tresse depuis l’âge de 8 ans. J’ai appris toute seule comme si les idées me venaient naturellement. Il y a toujours un truc dans ma tête ! J’ai commencé par des chapeaux et par les toits des fare pōte’e, nos maisons locales. Pour les toitures, on utilise les feuilles marron, pas les vertes, qu’on trempe dans la mer pendant quatre jours. Je fabrique aussi des ha’ape’e, je ne sais pas trop comment on dit en français. C’est une nasse mais c’est aussi un grand panier allongé fait avec une feuille verte de cocotier ; il servait aux ancêtres pour transporter les fruits au fa’a’apu. Je fais quatre genres de paniers et cinq modèles de chapeaux, par exemple le chapeau Pomare. »

Yelhée Raapoto aime le côté créatif du tressage qui lui permet de toujours inventer.

Les couvre-chefs, les couronnes, les motifs purement décoratifs l’amènent en toute logique vers le domaine du costume dans lequel elle s’investit corps et âme.

« Il suffit qu’on me donne le thème et le costume me vient en tête, comme une vision. Si le thème est le marae, j’ai les notions qui vont avec, le sacré, le roi, la reine, etc. Par conséquent, je vais aller vers le rouge, le jaune ou le noir, les couleurs royales. Quand tu ajoutes un élément à un costume, tu ne mets pas n’importe quoi pour faire joli ; tu dois savoir pourquoi, il y a toujours une raison. Moi, je n’ai pas besoin d’étudier, c’est comme si on m’avait donné la connaissance depuis que je suis petite. .  »

« Pas besoin de couteau ou ciseau quand tu vas dans la jungle, il faut juste savoir comment casser et plier les palmes de cocotier « 

TRANSMETTRE BÉNÉVOLEMENT

Si Yelhée se fait rémunérer, à l’occasion, pour la confection d’objets, ou pour la décoration des fare lors des fêtes du Tiurai, son savoir-faire, elle ne le fait pas payer. Régulièrement, elle initie gratuitement les élèves du collège de Faaroa au tressage de roses, de poissons, de couverts, de nattes… Cette maman de 50 ans a également su transmettre la fibre à ses descendants qui sont capables de confectionner nombre d’objets en niau.

« Mes enfants, ils savent tresser mais cela ne les intéresse que le jour du Heiva. Tout au long de l’année, je donne mon savoir aux jeunes. Si jamais je gagne le Heiva du costume, je prends alors l’argent de la récompense. C’est tout ce que je touche, je ne veux rien de plus. Cette année, par l’intermédiaire du groupe Haumaire de Uturoa, j’ai obtenu le premier prix du costume more ainsi que celui du costume végétal.  »

« Partager ce que l’on sait, c’est essentiel »

Yelhée est quelque peu habituée à ces honneurs car, depuis 2007, elle a toujours eu du succès avec ses costumes qui, chaque fois, ont remporté un premier prix. Son talent se remarque aussi à l’occasion des mariages puisqu’elle coiffe les futures épouses et ajoute dans leurs cheveux des roses en kere³ , des Tour Eiffel (!), varo et chevrettes en niau, toutes sortes de motifs locaux et végétaux. Elle se qualifie elle-même de « chaperonne », inventant peut-être un nom de métier à celui de coiffeuse-tresseuse-sculpteuse !

¹  Journée culturelle du 7 octobre 2023 organisée par l’association A Nui Taputapuā

²  Petits-enfants.

³ Matière textile poussant au sommet du cocotier, à la base des feuilles et utilisée dans les costumes polynésiens.

©Photos : Gaëlle Poyade pour Femmes de Polynésie

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