« Si nous n’étions pas arrivés, notre église aurait sûrement été la première à brûler ». Niuliki Palenapa, un fidèle de l’église de l’Espérance à Nouméa, se souvient du jour où il a découvert un bûcher formé de bancs et de papier journal prêt à être allumé, dans ce lieu de culte d’un quartier populaire parmi les plus touchés par les émeutes.
« En tant que chrétiens, cela nous a particulièrement touchés. Nous avons décidé de nous organiser pour surveiller notre église », rappelle-t-il.
Depuis, le lieu de culte est surveillé 24 heures sur 24. Une initiative spontanée, sans concertation avec les responsables de l’Église catholique, qui s’est multipliée dans de nombreuses paroisses, comme l’ont confirmé à l’AFP un diacre et des paroissiens engagés dans ces groupes de surveillance.
– PUBLICITE –
Car en quelques semaines, de l’église Notre-Dame-de-l’Assomption sur l’île des Pins partiellement incendiée à l’église de Saint-Louis partie en flammes, cinq édifices religieux ont été ciblés par des incendies volontaires en Nouvelle-Calédonie.
Dans chaque cas, des enquêtes ont été ouvertes et confiées à la gendarmerie, sans que les auteurs de ces actes ne soient traduits en justice.
Sur l’île des Pins, les auteurs ont été identifiés par les autorités coutumières et une rencontre aura lieu avec leur clan pour qu’ils se rendent à la gendarmerie, selon Jérôme Vakume, le président du conseil de district coutumier de l’île.
« Le grand chef a été très touché et condamne fermement », ajoute-t-il : « La religion est un pilier de la vie ici, avec la coutume et la politique ».
« Sortir du déni »
Les Églises chrétiennes, protestantes et catholiques, ont une présence prépondérante en Nouvelle-Calédonie depuis l’arrivée des premiers missionnaires à partir de 1843, dix ans avant la prise de possession de l’archipel par la France.
Les Églises revendiquent près de 150 000 fidèles sur une population globale de 270 000 personnes. Selon le Vice-rectorat de la Nouvelle-Calédonie, les enseignements confessionnels scolarisent un élève sur quatre.
Ces incendies « atteignent la Nouvelle-Calédonie dans ses symboles fondamentaux », explique Yves Dupas, le procureur de la République de Nouméa, qui ajoute à cette série l’acte de vandalisme ayant visé le mausolée du grand chef kanak Ataï le 22 juillet. Pour autant, ajoute-t-il, « il est trop tôt pour affirmer qu’il existe un mobile unique ».
À Saint-Louis, bastion indépendantiste au sud de Nouméa où la première église a brûlé, un suspect interpellé portait une soutane volée et manifestait son opposition à l’organisation de sa tribu, précise le procureur. Mais pour les autres cas, le flou demeure. Pour Marie-Elizabeth Nussbaumer, anthropologue calédonienne, ces actes violents réactivent un vieux débat.
« Les missionnaires sont arrivés avec l’armée (…). Les religions ont contribué à la déstructuration du monde kanak », analyse-t-elle. Tout en précisant qu’avec le temps et l’évangélisation de l’archipel, « même les discours indépendantistes » s’inspirent d’images religieuses.
L’archevêque catholique de Nouméa, Mgr Michel-Marie Calvet, voit les choses autrement. « On a vu une volonté de détruire tout ce qui représente quelque chose d’organisé. Il y a des amalgames sur la question de la colonisation », dénonce-t-il.
« On a contribué à changer le paysage kanak, à le déformer (…) Il faut sortir du déni et reconnaître certaines choses », estime au contraire le pasteur Var Kaemo, président de l’Église protestante de Kanaky Nouvelle-Calédonie (EPKNC, réformée). Si le responsable de la principale Église protestante historique de l’archipel n’a pas de réponse au phénomène, il dit avoir entendu des jeunes, sur des barrages, exprimer leur volonté de « revenir à leur religion d’origine », celle préexistant à l’arrivée des missionnaires chrétiens. Et il pointe l’essor de nouvelles dénominations, notamment évangéliques, qui affaiblissent les confessions chrétiennes historiques.
Une vision partagée par Zénon Wejieme, doctorant en anthropologie travaillant sur le développement de ces nouveaux courants religieux, qui observe un décalage entre les Églises historiques et une jeunesse avec laquelle elles « ont bien du mal à être en phase ».