A force de faire un esclandre sur les marches du centre de sécurité, installé d’urgence dans les locaux d’une grosse société immobilière, Mme Kalton finit par se voir répondre que les gendarmes arrivent.
Quelques instants plus tôt, la ministre des Outre-mer Annick Girardin descendait les mêmes marches, après avoir assuré à la presse que « la sécurité est désormais assurée » sur l’île.
Mais le fossé qui sépare l’urgence gouvernementale de celle de la rue pose des problèmes de définition.
« Les gendarmes ont vu les tentatives de pillage sur notre magasin. Ils sont parfois à 50 mètres, mais ils ne font rien », rapporte Philippe Kalton, 57 ans, dont sept à Saint-Martin. « Ils m’ont dit que la sécurité civile prime, que le reste ce n’est que du matériel et ce n’est pas important. »
Sauf que pour le couple Kalton, les deux magasins de prêt-à-porter qu’ils détiennent rue de la Liberté, « c’est tout ce qui nous reste ». Avant Irma, ils jouissaient d’une vie ensoleillée dans une villa en bord de plage, à Baie Nettlé.
Depuis Marigot et les marches du centre de sécurité où ils se tiennent, on aperçoit leur maison blanche à quelques mètres du sable, dévastée comme les autres par l’ouragan.
Tendu, le couple surveille ses magasins dès qu’il peut. Il a aussi confié cette mission à un voisin. Lors de la dernière tentative d’effraction, il a sorti une machette pour disperser les pilleurs.
« Ils lui ont dit: +si tu restes encore là, on va revenir, on va te flinguer et on prendra ce qu’on veut+ », assure M. Kalton, l’oeil noir.
Un autre homme se lance dans une vive explication avec les pouvoirs publics. « Ils nous volent tout, il n’y a aucun respect! Qu’est-ce que vous attendez pour réagir? », lance ce Polonais en anglais. « Dans mon pays, ça fait longtemps que l’Armée aurait nettoyé tout ça! »
« Désolé monsieur, mais ici on est en France et on ne tire pas sur les gens comme ça », rétorque poliment une officielle.
En centre-ville, les façades des commerces en disent long sur la psychose ambiante. Rideau métallique baissé pour chaque boutique. Ici et là, certaines ont été forcées au pied de biche.
Au coin d’une rue, un magasin de vêtements est ouvert aux quatres vents, sa vitrine brisée. Les mannequins sont nus et les ceintres vides.
Dans la zone commerciale de Bellevue, au sud de la ville, deux gendarmes patrouillent entre les hangars. « Je vire un pilleur d’ici toutes les 10 minutes », explique un des militaires.
Passé la porte, le fatras est indescriptible. Au milieu des cartons éventrés, un pot de nutella traîne sur d’immenses rangées d’étagères vides. Consommé sur place, il est encore à moitié plein. L’une des chambres froides est toujours à moitié remplie de produits laitiers éclatés par les pilleurs.
« Tout ce gâchis alors que le propriétaire proposait de tout distribuer aux habitants », raconte le gendarme. « Je suis Antillais et le comportement des gens sur cette île m’écoeure. Tant qu’ils ne se calmeront pas, c’est difficile de distribuer des vivres. »
Autour, les magasins de jouets et d’électroménager ont également été dévalisés. « A quoi ça sert d’embarquer un gigantesque nounours en peluche quand tu galères à trouver à manger »?, peste Elena Baudry, une habitante du quartier. « Maintenant que les magasins sont vides, ils vont cambrioler les maisons », craint-elle.