La société américaine SpaceX, fondée par Elon Musk, a lancé depuis la Floride deux astronautes de la Nasa dans l’espace, brisant six décennies de monopole des États pour les vols habités, et offrant à l’Amérique un nouveau moyen de transport spatial après neuf ans d’interruption.
Petit point brûlant s’évanouissant dans le ciel, les astronautes Bob Behnken et Doug Hurley se sont retrouvés propulsés en dix minutes 200 km au-dessus des océans, filant à 20 fois la vitesse du son vers la Station spatiale internationale (ISS) qu’ils devraient rattraper dimanche à 14H29 GMT si tout va bien.
« Félicitations (…) pour ce premier voyage habité pour Falcon 9, c’était incroyable », a dit l’astronaute Doug Hurley, commandant du vaisseau, -alors que Dragon filait déjà à 27 000 km/h, filmé tout le long avec son coéquipier par une caméra à bord.
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Alors que le mauvais temps menaçait de provoquer un nouveau report, la fusée construite par SpaceX près de Los Angeles a décollé sans encombre, dans un ciel finalement majoritairement bleu, à 15H22 (19H22 GMT) du centre spatial Kennedy, sous les yeux de dizaines de milliers de personnes installés le long des plages de la zone, et de Donald Trump, venu assister en personne à ce que la Nasa appelle l’aube d’une nouvelle ère spatiale.
« De vrais génies, personne ne fait cela comme nous », a-t-il estimé depuis une plateforme d’observation, déclarant que les prouesses des États-Unis dans l’espace seraient « l’une des choses les plus importantes que nous ayons jamais faites ».
Le président américain va pouvoir prononcer le discours qu’il avait prévu pour la première tentative, avortée mercredi en raison du risque de foudre. C’est la rare bonne nouvelle de la période, alors que le pays a dépassé les 100 000 morts de la pandémie de Covid-19, et que plusieurs villes ont été secouées par des émeutes la nuit dernière, en réaction à la mort d’un homme noir, George Floyd, suite à son interpellation par la police.
« C’est un rêve devenu réalité, je ne pensais pas que cela arriverait un jour », a dit cette semaine Elon Musk, qui a fondé SpaceX en 2002 en Californie.
Nouveau modèle économique
La mission peut sembler un pas modeste dans l’exploration spatiale : « Bob » et « Doug » n’iront ni sur la Lune ni vers Mars, seulement dans la vieille station spatiale, à 400 km de la Terre, où Russes et Américains et d’autres vont et viennent depuis 1998.
La Nasa, pourtant, y voit une « révolution », car SpaceX va redonner aux États-Unis un accès à l’espace, low-cost, moins cher que ses programmes précédents. Pour trois milliards accordés depuis 2011, SpaceX a entièrement développé un nouveau taxi spatial et promis à sa cliente six allers-retours vers l’ISS.
Ce faisant, elle a battu le géant Boeing, dont la capsule Starliner a raté un vol d’essai à vide l’an dernier.
Ajoutant à la mythologie naissante de la société, le lancement s’est fait depuis le pas 39A d’où décollèrent les missions Apollo d’exploration de la Lune dans les années 1960 et 1970, réaménagé par SpaceX.
« Elon Musk a apporté au programme spatial américain la vision et l’inspiration qui nous manquaient depuis neuf ans, depuis la fin des navettes spatiales. Il est brillant », a loué le patron de la Nasa, Jim Bridenstine, vendredi.
Aux deux jeunes fils des astronautes, Elon Musk avait promis : « Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour que vos papas reviennent. »
Hollywood
La confiance a dû se gagner. Elon Musk ne connaissait rien aux fusées quand il a fondé SpaceX en 2002. Ses trois premiers lancements échouèrent. Une fusée a explosé au sol avec un précieux satellite dans sa coiffe, une autre peu après le lancement avec un ravitaillement pour l’ISS. L’an dernier, la capsule Dragon elle-même a explosé lors d’un test des moteurs au sol. Le programme aurait dû commencer en 2017.
In fine, les responsables de la Nasa ont donné le feu vert pour confier à SpaceX deux de ses astronautes. Ils parlent de ce partenariat dans des termes extrêmement laudateurs : la responsable des vols commerciaux habités a évoqué « les miracles » accomplis par la collaboration des deux équipes.
Samedi dans la mythique salle d’allumage du centre Kennedy, ce n’était pas un homme de la Nasa qui a donné le « go » ultime pour le décollage, mais le directeur de lancement de SpaceX, Michael Taylor, les officiels de l’agence spatiale américaine n’ayant pas de rôle formel dans le compte à rebours.
Crew Dragon est une capsule comme Apollo, mais version XXIe siècle. Des écrans tactiles ont remplacé boutons et manettes. L’intérieur est dominé par le blanc, l’éclairage plus subtil. Un seul cordon « ombilical » relie les combinaisons aux sièges pour fournir air frais et communications aux deux hommes, habillés de combinaisons spatiales ajustées, dessinées avec l’aide d’un costumier d’Hollywood.
Contrairement aux navettes, dont une a explosé en 1986 après le décollage (Challenger), Dragon peut s’éjecter en urgence si la fusée a un problème.
Si elle est certifiée sûre après sa mission dans l’espace, qui pourrait durer jusqu’en août, les Américains ne dépendront plus des Russes pour accéder à l’espace : depuis 2011, les Soyouz étaient les seuls taxis spatiaux disponibles.
Les acheminements depuis la Floride redeviendront réguliers, avec quatre astronautes à bord. SpaceX entend aussi faire voyager des passagers privés en orbite, voire dans l’ISS, peut-être l’an prochain.