À l’abri de la lumière, les réserves du British Museum cachent depuis plus d’un siècle des trésors du passé polynésien. Des pièces qui n’ont jamais été exposées faute de place. Quelque 8 millions d’artefacts occupent en effet déjà les vitrines.
C’est ici que Mililani Ganivet, doctorante en histoire de l’art, étudie les fameux Tao’a Faufa’a Tupuna collectés par la London Missionnary Society au début du 19e siècle. Des objets sacrés qui permettaient de matérialiser le divin et de personnifier les dieux polynésiens. Equipés de gants, les conservateurs du musée posent délicatement les différentes pièces sur la table. Mililani attire notre attention sur un petit Ti’i et un to’o, sorte d’armature recouverte de tressage fin de cordelettes.
Des pièces offertes par le roi Pōmare en 1816 à la London Missionnary Society trois ans avant son baptême en 1819. Les objets intègrent alors le musée de la LMS inauguré à Londres en 1814. Et leur succès permet de sauver des flammes des centaines d’autres « trophées de conversion » dans toute la Polynésie, mais aussi aux îles Cook, en Afrique, ou en Chine. « A partir de là, les directeurs de la LMS voyant la popularité des Tau’a de Pomare, ils vont redéfinir leur politique de collecte et vont essayer, pour chaque lieu évangélisé, de collecter le maximum de preuves de conversions », indique Mililani Ganivet. « Le musée de la LMS devient très populaire dès les années 1840-1850. Après, ça devient de plus en plus difficile pour les directeurs de la LMS de l’entretenir ».
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La LMS est alors approchée par des « keepers », soit des conservateurs du British Museum à l’instar du célèbre Augustus Franks. D’abord prêtés en 1890, ces objets sont finalement vendus les uns après les autres. D’où la taille de la collection aujourd’hui. Des objets de fabrication très élaborée qui témoigne des différentes manifestations du sacré sur la forme matérielle et surtout du niveau d’ingéniosité de nos tupuna.
« Un aspect qui m’a vraiment marquée en passant du temps avec les Tau’a de cette collection, c’est de voir que notre typologie du sacré est assez restreinte. En fait, cette collection nous apprend à avoir une plus grande ouverture d’esprit quant à la matérialité du sacré chez nous », souligne Mililani Ganivet, impressionnée par « la créativité dans le savoir-faire de nos tupuna ».
Des preuves de conversion collectées par des pasteurs polynésiens
Mais si la collection est signée de la LMS, paradoxalement, une grande partie de ces objets ont été collectés par des pasteurs polynésiens. « Je pense notamment à une figure en particulier, Papeiha, un pasteur de Raiatea qui a été envoyé pour évangéliser les îles Cook à partir de 1821. Il existe donc une liste des Tau’a faufa’a tupuna qu’il a collectés » explique la doctorante. « C’est peut-être l’aspect le plus marquant, c’est qu’on pense connaître une partie de cette histoire-là, mais en fait il y a encore beaucoup de choses à découvrir et beaucoup de nuances à apporter finalement. »
Formée en analyse oculaire au Smithsonian Museum, une institution américaine de recherche scientifique, Mililani scrute, dessine, annote et documente quotidiennement ces précieux artefacts. Un travail qui demande forcément beaucoup d’interaction avec les conservateurs, afin de comprendre les techniques de conception. « Une grande partie de mon travail est de permettre d’apporter un éclairage sur cette période historique qui est très importante, mais dont on connaît peu de choses finalement. Une grande partie de cette collection demeure encore largement méconnue », poursuit la jeune femme.
Mais si ces objets n’ont jamais été exposés, ça ne veut pas dire qu’ils n’ont jamais été vus. « Nous essayons d’accueillir un maximum de visiteurs pour venir voir ces collections et en particulier les communautés du Pacifique. Nous le faisons régulièrement et nous aimons le faire. C’est la meilleure partie de notre travail », rappelle la conservatrice du British Museum, Julie Adams.
Dans les souterrains du musée, ces pièces sont soigneusement conservées dans des salles climatisées. Ici, elles sont choyées par des spécialistes en conservation des métaux et des matières organiques, comme le bois, les plumes ou le papier. Une expertise que le British Museum assure partager avec le prêt de célèbres pièces de collection restaurées, à l’instar du costume du deuilleur.
« Le British Museum prête constamment des pièces de sa collection à des institutions du monde entier »
« Le British Museum prête constamment des pièces de sa collection à des institutions du monde entier. Ces dernières années, nous avons travaillé dur pour effectuer des prêts à long terme à Aotearoa, à Hawaï, à l’Australie et en 2023, nous avons envoyé des Tao’a très importants au Musée de Tahiti. Ces pièces seront là pour trois ans et nous espérons qu’elles resteront plus longtemps. Il est donc tout à fait possible que des trésors de la collection soient prêtés à Tahiti et nous serions ravis de le faire », assure Julie Adams.
Bien qu’absorbée par ses recherches, Mililani Ganivet garde un point d’ancrage au fenua où elle séjourne régulièrement. « C’est difficile pour moi de faire un travail dans les réserves sans rentrer, (…) à chaque fois que je travaille avec certains Tao’a, j’ai des personnes, des artisans qui me viennent en tête. » Des allers-retours qui lui permettent de réfléchir à la documentation de ces collections et à la meilleure manière de les rendre accessibles à la population polynésienne.