Site icon TNTV Tahiti Nui Télévision

L’Epic Vanille de Tahiti menacé de fermeture

Parfum crépusculaire au sein de l’Établissement public à caractère industriel et commercial Vanille de Tahiti (EPIC Vanille), objet d’un rapport accablant de la Chambre Territoriale des Comptes, publié ce lundi.

Créé en 2003 par la Polynésie française, l’Établissement Public Industriel et Commercial (EPIC) Vanille de Tahiti (EVT) avait pour mission de relancer la production et l’exportation de vanille locale, après des décennies de déclin. L’objectif était de retrouver les niveaux historiques d’exportation, qui atteignaient entre 100 et 200 tonnes annuelles dans la première moitié du XXe siècle, rappelle la Chambre en guise d’introduction.

Vingt ans plus tard, le bilan est visiblement plus que mitigé. En 2020, la production n’a atteint que 40 tonnes, des résultats « bien maigres » , loin des 100 tonnes fixées comme objectif initial dans les schémas directeurs de l’agriculture que le Pays a formalisé à partir de 2011. Pourtant, l’EVT a bénéficié de subventions « massives » pour développer la filière. Entre 2019 et 2022, près de 950 millions de francs ont été mobilisés pour financer jusqu’à 70 % des équipements nécessaires aux producteurs, notamment les ombrières censées améliorer le rendement des plants de vanille.

– PUBLICITE –

Malgré ces efforts, les exportations restent marginales. En 2022, seules 12,57 tonnes de vanille polynésienne ont été exportées. À titre de comparaison, en 1963, la Polynésie exportait 194 tonnes. Depuis les années 1970, la moyenne annuelle stagne autour de 10 tonnes.

Pas de gouvernance, pas de label officiel

Le rapport met en évidence une gouvernance inefficace, marquée par un manque de coordination et une absence de vision stratégique. L’EVT est censé tenir à jour un registre précis des producteurs, préparateurs et exportateurs de vanille en Polynésie française. Pourtant, il s’avère incapable de fournir des chiffres fiables.

« La direction n’a pas été en mesure de communiquer avec certitude les effectifs par spécialité (producteur, préparateur, exportateur) » , relèvent les magistrats. L’outil de suivi numérique Vanille.cloud, censé centraliser ces données, est obsolète et contient des erreurs. Certaines antennes locales de l’EVT gèrent même leurs propres fichiers de manière indépendante, sans connexion avec la base de données centrale.

Ce manque de suivi se traduit également par des difficultés à contrôler la qualité des produits. « L’EVT a éprouvé des difficultés à justifier de campagnes de contrôles qualité sur site des acteurs de la filière » , précise le rapport. Pourtant, une certification de qualité aurait pu aider la vanille de Tahiti à se démarquer sur le marché mondial. L’obtention d’un label officiel (AOP ou IGP) est en discussion depuis 2003, mais n’a toujours pas abouti.

Modèle économique insoutenable

L’EVT fonctionne avec près de 40 salariés et un budget annuel moyen de 354 millions de francs CFP, entièrement financé par des fonds publics. Or, en tant qu’EPIC, il devrait être capable d’atteindre une certaine autonomie financière, rappelle la Chambre.

Pour tenter de générer des revenus, l’établissement s’est lui-même lancé dans la commercialisation de vanille à l’export. En 2023, il a vendu l’équivalent de 63 % des exportations polynésiennes, une situation jugée problématique. « Ce scénario, s’il venait à prospérer, ne pourrait que déstabiliser par son ampleur le marché local, en venant en concurrence directe avec les professionnels » , avertit la Chambre.

L’EVT justifie son rôle d’acteur commercial en soulignant que ses ventes ne représentent que 29% des exportations. Mais même avec ce chiffre plus bas, le modèle économique de l’établissement reste incohérent. « Il vient en contradiction de son cœur de métier, le soutien à la filière » , souligne le rapport.

Climat social délétère

L’EVT souffre également d’importants problèmes internes, qui nuisent à son efficacité. La gestion des ressources humaines est jugée « déficiente » , avec un absentéisme important et des rémunérations marquées par « un degré certain d’opacité » .

Le rapport mentionne aussi de « profondes tensions internes » , qui ont conduit à un climat social dégradé. La direction du travail a même lancé un contrôle spécifique en 2023, preuve que les dysfonctionnements sont devenus préoccupants.

Lire aussi – Soupçons de harcèlement moral à l’EPIC Vanille de Tahiti

En parallèle, l’EVT a perdu certaines de ses prérogatives. En 2018, la gestion des aides financières aux producteurs lui a été retirée, preuve d’un manque de confiance des autorités.

Mise à mort annoncée

Face à ce constat accablant, la Chambre territoriale des comptes ne formule qu’une seule recommandation : la fermeture pure et simple de l’EVT. « Le modèle même de l’EVT apparaît difficilement viable » , tranche le rapport.

Le schéma directeur de l’agriculture 2021-2030 prévoit de transférer certaines de ses missions à un nouvel organisme, l’Office de Développement des Économies Agroécologiques (ODEA). Ce projet, censé voir le jour en 2022, est pourtant resté lettre morte.

Pour l’instant, l’EVT continue donc d’exister, sans réelle perspective d’amélioration. « La cessation d’activité de l’établissement suppose toutefois de la part du Pays qu’il s’assure au préalable d’un redéploiement adapté des compétences avérées » , prévient la Chambre.

Quitter la version mobile