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Affaire radio Tefana : des réquisitions très proches du premier procès et des avocats indignés

Oscar Temaru ne risque pas l'inéligibilité dans cette affaire - Photo : Mike Leyral

L’avocate générale a été bien seule, tout au long du procès, face à Oscar Temaru, ses avocats et celui de Te reo o Tefana, mais aussi une salle d’audience dévouée au leader indépendantiste.

C’est d’ailleurs Stanley Cross, l’avocat de la radio, qui s’exprime en premier, en tant que représentant des parties civiles. Il explique s’être réinscrit au barreau de Papeete pour ne pas « être le spectateur d’un assassinat politique ». Car pour lui, il s’agit bien d’un procès politique : « Aujourd’hui, c’est Monsieur Oscar Temaru que l’on veut sacrifier sur l’autel de la raison d’Etat. La raison d’Etat, c’est de ne pas permettre à notre Pays, Maohi Nui, d’avoir sa pleine souveraineté. »

Me Cross affirme que les procureurs successifs ont protégé les autonomistes, même lorsqu’ils étaient corrompus. « Cette corruption était le fait de l’Etat », avant d’asséner : « L’Etat a fauté dans cette affaire, le parquet a fauté dans cette affaire ». Au contraire, Oscar Temaru est selon Stanley Cross « un homme honnête, intègre, qui a le souci de la dépense publique »

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« Est-ce que la raison d’Etat n’est pas devenue en Polynésie une règle juridique qui viendrait chapeauter toutes les autres ? », s’interroge-t-il. « Est-ce que ce n’est pas la raison d’Etat qui a conduit le procureur Hervé Leroy à se satisfaire d’une enquête incomplète, tendancieuse et bâclée, pour poursuivre Oscar Temaru ? » Stanley Cross souligne aussi que le Tavini était loin d’être le seul parti indépendantiste et anti-nucléaire : c’était aussi le cas du Ia Mana te nuna’a, de Heiura les Verts ou du Ta’ata Tahiti Ti’a mai. Autrement dit, l’idéologie indépendantiste et anti-nucléaire de la radio n’en fait pas la voix unique d’un parti.

En conclusion, Me Cross réaffirme que « ce dossier vise à faire condamner le leader indépendantiste, celui qui a permis l’inscription de la Polynésie sur la liste des pays à décoloniser. » Et termine avec ce cri du cœur : « L’Histoire s’écrit en ce moment. Ne jugez pas au nom de la raison d’Etat, jugez au nom du peuple français ».

Oscar Temaru et sa fille Ahuura, avec ses avocats, Antony Géros et Vito Maamaatuaiahutapu – Photo : Mike Leyral

L’avocate générale, Céline Charloux, s’emploie au contraire à démontrer la culpabilité d’Oscar Temaru et à rejeter les accusations de procès politique. « Des attaques sans fondement ont été formulées contre l’Etat français et le parquet qui serait son bras armé » commence-t-elle, avant d’affirmer qu’« il n’y a aucune animosité de [son] côté à l’égard de M. Temaru, mais au contraire un respect pour son parcours politique ».

Des réquisitions proches des peines de première instance

« Nous n’avons reçu aucune consigne, aucune instruction de Paris » a-t-elle assuré. Pour elle, inspirée par Jean de La Fontaine, « l’égalité de tous les citoyens devant la Justice ne s’arrête pas aux portes du tribunal, selon que vous soyez puissant ou misérable » : elle a donc appelé à juger Oscar Temaru comme tout autre justiciable, fustigeant ceux qui ont fait de l’audience « une tribune politique ».

Selon le parquet, Oscar Temaru s’est bien rendu coupable de prise illégale d’intérêts, même si ces intérêts se résument à un bénéfice moral ou politique.

« En octroyant ou en faisant octroyer à la radio des fonds, des employés, des locaux, il a commis une prise illégale d’intérêts ». Elle lit ainsi le témoignage d’un employé de la commune, dont le contrat l’affecte à la voirie de Faa’a, mais qui travaillait exclusivement à la radio.

« Peu importe que M. Temaru ait cru bien faire, pour son parti ou pour les jeunes : la fin ne justifie pas les moyens » a asséné Mme Charloux. « Il savait parfaitement que ses agents travaillaient à la radio et non au service de la voirie » et il a agi « en dépit des avertissements de la Chambre Territoriales des Comptes et du CTA » (le représentant local du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel).

« Vous n’avez pas d’autre choix que de reconnaître M. Temaru coupable de prise illégale d’intérêts » a-t-elle lancé à la Cour. Elle a requis des peines très proches des condamnations de première instance : six mois d’emprisonnement avec sursis et cinq millions de francs d’amende contre Oscar Temaru ; trois mois avec sursis et un million d’amende contre Vito Maamaatuaiahutapu ; un mois avec sursis et 200 000 francs d’amende contre Heinui Lecaill.

Te reo o Tefana menacée de disparition

L’avocate générale n’a pas requis de peine d’inéligibilité : même si la Cour d’appel suit son réquisitoire, Oscar Temaru pourra toujours se présenter aux élections. En revanche, elle requiert la même amende qu’en première instance pour Te reo o Tefana : 100 millions de francs Pacifique.

Vient enfin le temps des plaidoiries des avocats des trois prévenus.

Très en verve, Me Vincent Dubois, l’avocat de Vito Maamaatuaiahutapu, rappelle que tous les procureurs n’ont pas eu la même vision de l’affaire : « Si un homme comme M. Thorel estime qu’il n’y a pas d’élément infractionnel dans cette affaire, c’est qu’il n’y en a pas ».

Pour lui aussi, le procès est d’abord politique : « Ce sont les avocats qui sont les plus défiants envers la justice et le rôle du parquet » déclare-t-il avant de dire que les justiciables polynésiens, eux, ont confiance en la Justice, comme Pouvanaa avant d’être condamné. Selon Me Dubois, des instructions peuvent toujours être données par Paris pour « dézinguer ou rentrer dans le chou » d’une personnalité locale.

« C’est une radio qui diffuse de la musique, à 80%, qui diffuse de l’information d’ici et du monde, qui invite des personnalités de tous les partis » souligne-t-il, renversant l’accusation contre le parquet et l’Etat français : « Vous aviez le temps, Madame l’avocate générale, de faire des enregistrements de la radio… mais il n’y en a pas, parce qu’il n’y a pas de propagande : ce dossier, c’est un dossier de vindicte politique ». Il demande donc d’innocenter Oscar Temaru et l’ensemble des prévenus.

Heinui Lecaill, toujours président de Te reo o Tefana, est dévasté par les réquisitions : il sait que 100 millions d’amende, c’est la mort de la radio. Son avocat, Dominique Antz, insiste lui aussi sur la dimension politique du procès. « Cette affaire n’existe que parce que c’est Oscar Temaru, parce qu’il a demandé et obtenu la réinscription de la Polynésie sur la liste des Pays à décoloniser, puis déposé plainte contre la France pour crimes contre l’humanité ». S’exprimant peu sur son client, il affirme : « L’idée, c’est qu’il y ait une tâche et que M. Temaru ne soit plus immaculé lorsqu’il se présente devant l’ONU ».

Oscar Temaru à son arrivée au tribunal de Papeete, au côté d’Ella Tokoragi – Photo : Mike Leyral

« J’ai l’honneur de prendre la parole en premier dans la défense de celui qui incarne l’indépendance en Polynésie » commence le premier avocat d’Oscar Temaru, Me Thibaud Millet. Il dénonce la « garde-à-vue déloyale » de son client, « les rapports cachés », « un procureur qui vient violer le secret de la défense » : lui aussi choisit, pour défendre, de contre-attaquer face à l’Etat et à la Justice française.

Il veut démontrer qu’Oscar Temaru n’a tiré aucun avantage politique, ni idéologique, ni affectif de cette radio, et qu’il n’y a donc aucune prise illégale d’intérêts.

« La fiction de l’accusation, c’est que la radio est focalisée sur l’indépendance et la lutte contre le nucléaire. Une prise illégale d’intérêt idéologique est-elle possible ? Mais alors, si je fais un combat politique de la lutte contre la drogue, suis-je en situation de prise illégale d’intérêt si je finance ensuite des campagnes contre la drogue ? ». Non, répond l’avocat, « Il n’y a pas d’intérêt personnel lorsqu’il y a un intérêt universel ».

Me Thibaud Millet, avocat d’Oscar Temaru – Photo : Mike Leyral

« Depuis dix ans, l’ONU enjoint la France d’informer les Polynésiens sur leur droit à l’autodétermination : non seulement elle ne le fait pas, mais elle vient poursuivre à travers le ministère public une radio qu’elle soupçonne de le faire à sa place ! » s’indigne Me Millet.

Il considère enfin qu’une condamnation serait une atteinte à la liberté d’expression, puisqu’elle condamnerait la radio à fermer. Et conclut en retournant une nouvelle fois l’accusation contre la France : « Est-ce que l’Etat français va être relaxé dans ce dossier ? Ce que je sais, c’est que l’Etat est coupable d’avoir fait exploser 193 essais nucléaires en Polynésie. L’Etat est coupable d’avoir menti pendant 50 ans à la population. L’Etat est coupable de ne pas indemniser dignement les victimes des essais. L’Etat est coupable de manipuler la Justice, du moins le ministère public. »

Derrière Me David Koubbi, les militants du Tavini, dont les trois députés, sont venus nombreux soutenir Oscar Temaru au tribunal – Photo : Mike Leyral

« Ce dossier est un dossier de fantasmes » dénonce le ténor du barreau parisien, Me David Koubbi, fustigeant pêle-mêle « une citation bancale, un dossier d’un vide abyssal entouré d’une mauvaise foi caractérisée ».

Comme tous ses confrères, il estime que la ligne éditoriale indépendantiste et anti-nucléaire de la radio ne peut être condamnée : « Ce que l’ONU reproche à la France de ne pas faire, le ministère public reproche à Radio Tefana de l’avoir fait ».

Lorsqu’il attaque le dossier, l’avocat ne s’interdit pas quelques punchlines : « Si c’est une infraction dissimulée, il faut prendre un rendez-vous chez un ophtalmologiste : c’est contrôlé, publié sur le site de la mairie, envoyé au CTA, envoyé au CSA… on va offrir des lunettes »

Il s’interroge encore sur l’absence d’enregistrements radiophoniques qui auraient pu démontrer l’existence d’une propagande sur Te reo o Tefana « Soit les enregistrements n’existent pas, parce que le parquet était tellement sûr de son fait, qu’il n’a pas pris la peine d’aller vérifier. Soit le procureur Leroy a fait réaliser ces enregistrements et n’y a rien trouvé. Il n’y a pas de troisième option ».

Il termine en attaquant la « déloyauté » du parquet général. Ce procès aura plus été celui de l’Etat et de sa Justice que celui d’Oscar Temaru, Vito Maamaatuaiahutapu et Heinui Lecaill. Mais ce sont bien eux qui seront condamnés, ou non, le 24 mai à 8 heures.

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