La petite salle d’audience du tribunal correctionnel de Papeete était bondée, ce vendredi, pour un procès peu ordinaire : celui de trois propriétaires de chiens, jugés pour homicide involontaire. Le tribunal leur reprochait leur négligence quand, le 12 mai 2020, leurs animaux avaient sauvagement attaqué et causé la mort d’une octogénaire partie faire sa marche quotidienne au stade JT de Pirae. Trois autres prévenus étaient soupçonnés d’avoir aidé l’un des propriétaires à laver son chien avant de le présenter aux enquêteurs pour l’écarter du dossier.
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Ce 12 mai, au petit matin, à proximité du stade JT de Pirae, une habitante entend des cris et des aboiements. Elle appelle la police. Cinq – ou six chiens selon les versions – attaquent une matahiapo de 87 ans partie faire sa marche. En meute, ils font reculer deux joueurs de tennis, qui tentent de lui porter secours. En vain, même lorsqu’ils s’arment d’une barre de fer. Ce n’est qu’à l’arrivée de la voiture des mutoi que la meute se disperse. Mais le mal est fait. La victime présente des blessures extrêmement graves : des traces de morsure au visage, les membres lacérés, des côtes brisées et les organes exsangues. Les secours constatent son décès à leur arrivée.
L’un des chiens, errant le museau en sang, est repéré dans une servitude, où se rendent les mutoi. Ils le capturent et interrogent les habitants lorsque quatre pitbulls – Fox, Indica, Auhei et Lili – reviennent chez leur propriétaire. Ils présentent tous des traces de sang. Attachés, ils sont identifiés comme appartenant à deux personnes : Auhei et Lili au père de famille, Fox et Indica à sa belle-fille.
Un cinquième chien, Biggy, un puissant mâle de plus de 30 kilos, appartient au fils. L’animal est recherché par les mutoi, mais ne répond pas aux appels de la famille. Et pour cause : le chien s’est caché sous la maison. C’est sur cet animal que porte l’essentiel des débats. Les propriétaires assurent qu’il n’était pas impliqué dans l’attaque.
Pourtant, plusieurs témoins affirment qu’il était tâché de sang. Et surtout, la famille l’a éloigné, puis lavé à la javel, puis isolé à la Presqu’île. Le client de Me Curt est accusé « d’avoir participé au transport de la personne qui est allée laver l’un des chiens. (…) Il reconnaît qu’il a transporté la personne qui a lavé le chien, mais il n’y a pas d’élément intentionnel puisque au moment où il accepte d’accomplir cette mission, il ignore pourquoi on veut laver le chien et il ignore même le drame qui a eu lieu le matin même » , explique l’avocat.
« J’ai passé la matinée à entendre des propriétaires de chiens qui, quand on regarde le dossier, savaient pertinemment que leurs chiens étaient dangereux parce qu’ils avaient déjà mordu à plusieurs reprises des personnes, ils avaient déjà à plusieurs reprises agressé des personnes, déclare l’avocat de la partie civile Me Teremoana Hellec. J’ai entendu des gens qui n’ont pris aucune mesure, ni attaché les chiens, ni clôturé, et qui vous expliquent même que c’est normal qu’un chien aboie, qu’un chien morde. Et ils ont passé leur temps à minimiser un peu leurs responsabilités, à reconnaître du bout des lèvres ce qu’ils ne pouvaient pas contester. Voilà, sauf qu’on est dans un dossier où il ne faut pas oublier qu’il y a une personne qui a été dévorée vivante. »
« J’aurais aimé les voir une dernière fois. J’étais très attachée à eux. Je les ai éduqués. Je les ai aimés «
Une des propriétaires des chiens impliqués
L’attaque des chiens n’est pas contestée, et les propriétaires demandent pardon à la famille de la victime. « Mes chiens sont en cause, admet une des propriétaires. Ils sont clairement fautifs. Je ne veux pas les défendre, mais c’étaient de bons chiens. Je ne dis pas que ce qu’ils ont fait était bien (…) Je viens d’apprendre qu’ils ont été euthanasiés après avoir été mis en cage depuis 2020. J’ai essayé d’avoir des nouvelles depuis qu’on les a pris et je n’ai su que ce matin qu’ils ont été euthanasiés. J’aurais aimé les voir une dernière fois. J’étais très attachée à eux. Je les ai éduqués. Je les ai aimés comme des enfants, comme des humains. Ça m’a fait mal, mais je comprends la décision et je l’accepte. »
« Lorsque le médecin légiste de l’hôpital nous a appelés pour faire une identification, on ne pouvait pas le faire parce que l’attaque était tellement violente.«
Valérie Layoussaint, fille cadette de la victime
Pour Valérie Layoussaint, fille cadette de la victime, la « responsabilité incombe au propriétaire. Si on est un propriétaire d’un chien, on fait en sorte que les chiens restent à l’intérieur. On entend dire qu’il y avait un trou du côté de la rivière, mais apparemment rien n’a été fait. On a entendu dire que le mécanicien et l’ami d’un des membres de la famille ont déjà été mordus, mais bon, c’est pas grave, voilà : continue à vivre, on fait pareil. Sauf que là, on a oublié que c’était notre maman. Maman qui avait fêté 87 ans le samedi, a été mortellement tuée le mardi.
Elle était censée faire sa marche dans un lieu sécurisé, parce qu’on lui a dit : ‘maman ne marche pas au bord de la route’. Et finalement, qu’est-ce qui s’est passé ? Des chiens de l’extérieur, dont les propriétaires, sont irresponsables… Je suis désolée de le dire. Ils n’ont peut-être pas demandé aux chiens d’attaquer notre propre maman, mais ils sont quand même responsables. (…) Lorsque le médecin légiste de l’hôpital nous a appelés pour faire une identification, on ne pouvait pas le faire parce que l’attaque était tellement violente. C’est très difficile. »
Certains propriétaires des chiens sont d’anciens trafiquants d’ice, déjà condamnés. En état de récidive, ils encouraient 10 ans de prison pour homicide involontaire.
Le tribunal a finalement condamné deux d’entre eux à des peines de sursis pour homicide involontaire : 18 mois avec sursis simple pour la belle-fille, 3 ans avec sursis probatoire pour le père. Le propriétaire de Biggy, lui, est relaxé du chef d’homicide involontaire mais condamné à 1 an avec sursis probatoire pour avoir contribué à laver son animal. Son complice – et frère – , qui a récupéré le chien pour l’emmener à Punaauia, est condamné à 4 mois de prison avec sursis. La seconde complice écope d’une peine d’un an de prison avec sursis. Le troisième est relaxé.
Le parquet a fait appel de la décision. Enfin, le dossier a été renvoyé sur intérêt civils, dans une audience fixée au 17 mars 2025. Les coupables devront indemniser les victimes, probablement à hauteur de plusieurs millions de francs.