Le principal prévenu, un homme de 42 ans, a créé ces dernières années trois sociétés : de fabrication de bungalows et jardins miniatures, de conseil en entreprises, et de livraison de plats. Des entités pour lesquelles il a recruté à chaque fois un petit nombre d’employés, dont plusieurs proches, à qui il proposait des salaires plus qu’alléchants : 480 000 francs mensuels pour un chef d’équipe, 400 000 francs pour un simple employé, et pour un contrat de 24 heures par semaine, ou encore 1,5 million de francs pour sa compagne, nommée « directrice marketing ». Des rémunérations sans commune mesure avec les maigres bénéfices desdites sociétés.
Et ses salariés étaient curieusement bien souvent absents de leurs postes, du moins sur le papier. 258 jours sur les 668 censés être travaillés pour l’un, 331 jours sur 730 pour un autre. Si à la barre, certains des employés ont assuré avoir réellement rencontré des soucis de santé, d’autres, en revanche, ont livré une version bien différente aux enquêteurs.
« Il -le principal prévenu, Ndlr- m’a dit qu’il allait m’augmenter à 480 000 francs et que je devais garder 200 000 pour moi et que les 280 000 restants étaient à lui. Il m’a dit que je devais aller voir un docteur pour avoir des arrêts maladie. Je suis asthmatique, donc je me plaignais de douleurs au dos (..) Je retirai ensuite l’argent et lui remettais (…) C’étaient des vrais arrêts maladie mais je n’étais pas malade. Je continuais à aller au boulot ».
En consultant le profil Facebook de son épouse, elle aussi très souvent en arrêt, les enquêteurs ont également trouvé des photos d’elle au travail, ou en vacances, aux dates où elle était censée être alitée.
Ces manœuvres se sont reproduites dans toutes les sociétés appartenant au quadragénaire. Et plus encore, il avait incité trois de ses employés ou connaissances à créer leurs propres microentreprises pour qu’ils embauchent à leur tour. Un système de poupées russes. Car c’est lui qui, en réalité, étaient aux commandes des sociétés et pouvait donc multiplier les escroqueries du même type.
La CPS versait, en effet, rubis sur ongle les indemnités journalières de ces employés censés être malades et pour des montants importants, puisque leurs salaires étaient élevés. Au total, la Caisse aurait ainsi déboursé quelque 23 millions de francs.
Le principal prévenu, ancien agent…de la CPS
Il faut dire que le principal prévenu est un fin connaisseur des rouages de l’assurance maladie. L’homme avait été un employé, de 2002 à 2013, à…la CPS où il officiait comme agent de bureau, au service gérant justement les arrêts de travail. « Il avait donc de solides connaissances dans ce domaine », a relevé le président du tribunal.
Et le couple menait grand train. Les enquêteurs ont recensé 16 millions de francs de dépenses dans des hôtels de Tahiti et des îles, en un peu plus de deux ans. Il aurait eu, en outre, d’autres projets d’escroquerie de la CPS. Lors de la perquisition de leur domicile, des documents laissant penser qu’il envisageait le même stratagème avec des retraités avaient en effet été mis au jour.
A la barre, malgré le feu nourri des questions du président et de la procureure, le couple s’est évertué à rester flou. Mais il a contesté toute escroquerie. « Je faisais les ventes qu’il fallait pour arriver à payer tout le monde (…). Et les arrêts maladie, ce sont des choses qui arrivent », a déclaré, sans ciller, le quadragénaire. « Il y a des choses où je ne suis pas d’accord (…) Ce n’était pas notre intention -d’escroquer, Ndlr », a dit son épouse, également mise en examen dans un autre dossier du même type.
Dans la foulée, les deux avocats de la défense ont plaidé la relaxe, considérant que « les manœuvres frauduleuses » n’étaient « pas démontrées ». « La prévention leur reproche d’avoir bénéficié d’arrêts maladie non justifiés mais les médecins qui les ont délivrés n’ont pas été entendus, jusqu’à preuve du contraire. Il n’est pas avéré qu’ils n’étaient pas malades à ce moment-là », a fait valoir Me Loris Peytavit, en marge de l’audience.
« Je crains qu’il recommence »
La représentante du parquet a, elle, estimé que le quadragénaire, « l’expert de l’indemnité journalière en Polynésie », est bien le « cerveau » qui a tout orchestré. « Le projet économique n’était pas de vendre des bungalows miniatures mais de gruger la CPS. Economiquement, ce n’était pas viable. C’était de l’habillage », a tonné la magistrate en relevant que le chiffre d’affaires de cette société était deux fois moins important que sa masse salariale. « Ce qui me semble le plus grave, c’est le déni dans lequel il se positionne (…). Il est éminemment intelligent en la matière et s’il ne voit pas le problème, je crains qu’il recommence », a-t-elle ajouté.
Un avis partagé par le tribunal qui, dans son jugement, a été au-delà des réquisitions du parquet. Il a condamné le quadragénaire à 3 ans de prison ferme et à une interdiction définitive de gérer une entreprise. Son épouse a écopé de 2 ans ferme et ne pourra plus, elle non plus, diriger une société. Des peines de 6 à 18 mois avec sursis ont été prononcées contres les autres prévenus, de même que deux relaxes.
Seul absent au procès, un représentant de la CPS, alors que la Caisse avait été informée de sa tenue par le parquet. « Quand c’est l’argent des autres… », a soufflé, laconique, la procureure, visiblement irritée.