Nouvelle affaire de trafic d’ice, ce lundi, au tribunal correctionnel de Papeete. Fait notable, sur les six prévenus du dossier, quatre membres sont de la même famille. Tous habitent – ou ont habité – Papara, lieu où ils ont également établi leur QG, entre 2019 et 2024.
Dans la famille dealer, il y a le père de 60 ans, les deux fils de 30 et 29 ans, et la fille de 24 ans. Une cinquième, la sœur cadette, a été déferrée ce dimanche, en vue de son jugement pour des faits similaires. Le patriarche a été condamné à six reprises entre 1990 et 2009 pour du trafic de paka, qu’il nie malgré un surnom de dealer sous lequel deux de ses clients réguliers affirment le connaître depuis longtemps : « Comboy » , nom qui refait également surface dans les échanges SMS entre consommateurs et enfants de la famille.
Le sexagénaire travaille depuis plus de vingt ans à la mairie de Papara. Il assure qu’il n’a rien à voir non plus avec le trafic d’ice, qu’il n’a consommé que deux fois dans sa vie. « Je leur ai dit de ne pas trafiquer, mais ils ne m’ont pas écouté » , dit-il de ses enfants. Ces derniers ont chacun leur histoire. Le grand frère, 30 ans, est parti en 2018 pour l’armée en métropole. Placé en arrêt de travail suite à des missions qu’il dit avoir mal vécues à l’étranger, il revient au fenua en décembre 2023. Peu de temps après son retour, il prend sa première dose d’ice, et devient un consommateur régulier. De la drogue qu’il dit se procurer « en boîte de nuit » , plus discrètement que le paka : il déclare qu’il fume du cannabis »depuis son enfance » , et que les dizaines de plants de paka découverts chez lui sont les siens. Quand le tribunal lui demande comment ce cannabis s’est retrouvé dans une boîte prise en photo et envoyée par message, il déclare que cela pourrait être « du thé » .
Son petit frère consomme lui aussi de l’ice et du paka. Père d’une petite fille de 6 ans, sans emploi, il dit qu’il a commencé à dealer du cannabis à la fin de ses années lycée. Dès 2018, il découvre l’ice : il en consommera – et vendra – pendant des mois selon un modus operandi simple. Il s’approvisionne à raison d’un ou deux grammes par semaine sur Papeete, achetés environ 100 000 francs, qu’il divise en une quinzaine de sachets. Il les écoule au bouche-à-oreille, à 10 000 ou 20 000 francs le sachet, et en laisse une partie à son frère et à son père. Une routine détaillée telle quelle aux enquêteurs, sur laquelle il se rétracte à la barre. Il dit que c’est son grand frère qui avait « tous les contacts » et gérait le trafic depuis la métropole, puis sur place à son retour, lui effectuant des allers-retours vers Taha’a pour aller voir sa compagne.
La petite sœur, enfin, joue les intermédiaires entre les clients et ses frères, qui lui empruntent son téléphone. Elle apporte la drogue (« vert » pour paka, « plastique » pour ice) stockée dans la maison où elle dort, à l’arrière du terrain familial, au point de vente : la maison principale, où le père et les frères, selon la disponibilité des uns et des autres, supervise le reste. Plus rarement, elle livre le client, le tout contre une rémunération de quelques dizaines de milliers de francs par mois. Sa compagne, qui participe également indirectement au trafic, est aussi mise en cause.
« Je croyais que j’allais mourir »
Un des clients réguliers de la famille, prévenu
« C’est un dossier inquiétant, parce qu’il synthétise tout ce qu’on a l’habitude de dire sur les dossiers de stupéfiants » , résume le procureur en ouverture de son réquisitoire. « Ces enfants ont grandi au milieu des plants de paka » et, devenus grands, « diversifient l’activité » du père pour aller chercher d’autres « segments de marché » , plus « lucratifs et toxiques » , souligne-t-il.
Inquiétant aussi au vu du profil d’un des clients de l’entreprise familiale, seul prévenu parmi la trentaine identifiée par les enquêteurs, car aussi suspecté de trafic. Cadre de la mairie de Papara, ancien DJS par intérim, cet homme de 45 ans a longtemps été considéré comme un fonctionnaire et un sportif « exemplaire » . Il gagne plus de 500 000 francs par mois, a deux enfants de 6 et 13 ans. Pourtant, sa vie bascule en 2021. Il contracte un Covid long, pour lequel il est hospitalisé à domicile pendant deux mois, les lits manquant au CHPF. Son couple bat de l’aile et son état ne s’améliore pas vraiment. « Je croyais que j’allais mourir » , affirme-t-il. Il tombe en dépression. Au fond du trou, il consomme sa première dose d’ice, seul, le 31 décembre 2023. Il devient accro. « Une fois que j’avais ma dose, je rentrais chez moi et je consommais seul. J’avais honte de ce que je faisais (…) J’ai voulu mettre fin à mes jours plusieurs fois » , souffle-t-il. Il est incapable de dire combien il a dépensé dans l’ice. Suffisamment, semble-t-il, pour s’endetter : il retire 4 millions de francs quelques mois, peine à payer ses factures, et demande un crédit bancaire. Celui-ci servira notamment à l’achat d’un scooter de 600 000 francs à la petite sœur, qui lui a « sauvé la vie » en le dissuadant de se suicider.
Le tribunal a uniquement condamné le quadragénaire pour usage de stupéfiants, et l’a relaxé des autres poursuites. Il devra s’acquitter d’une amende de 100 000 francs, poursuivre son suivi par un psychiatre, et continuer le traitement de son addiction.
Les quatre membres de la famille ont, eux, tous été condamnés à de la prison ferme. Une peine mixte de 18 mois de prison dont 12 avec sursis probatoire pour la fille plus 100 000 francs d’amende – sa compagne écope seulement de 6 mois avec sursis – , deux ans dont 10 mois avec sursis probatoire plus 200 000 francs d’amende pour le grand frère, trois ans dont 18 mois avec sursis probatoire plus 200 000 francs d’amende pour le petit frère. Le père, en état de récidive légale, écope de 30 mois de prison ferme plus 300 000 francs d’amende.