Véronique Béchu a fait toute sa carrière dans la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants. Après 13 ans à la brigade de protection des mineurs à Paris, elle a pris la tête d’une autre unité devenue l’an dernier, Ofmin (office mineurs de la police judiciaire). « C’est un service qui est là pour identifier, localiser, interpeller et mettre hors d’état de nuire des individus exerçant des violences graves sur les enfants, que ce soit des violences sexuelles, physiques ou psychologiques, et donc a fortiori de pouvoir localiser et mettre en sécurité des enfants, parfois extrêmement jeunes et qui sont victimes de ces violences« , explique l’actuelle cheffe du pôle stratégie de l’Ofmin.
Des violences hors ligne, mais aussi via internet. « Majoritairement ce sont des mineurs qui sont prépubères, donc vraiment en très bas âge, et qui sont victimes de violences sexuelles à la fois hors ligne et à la fois en ligne, c’est-à-dire que le moyen de communication des individus exerçant ces violences passe principalement par l’utilisation de moyens de télécommunication modernes, c’est-à-dire les smartphones, les applications mobiles, les sites internet, les jeux en ligne.«
Car les jeunes sont connectés de plus en plus tôt. Selon une enquête menée en 2021 par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), les enfants s’inscriraient pour la première fois sur un réseau social vers l’âge moyen de 8 ans et demi. Plus de la moitié des jeunes âgés de 10 à 14 ans seraient déjà actifs sur ces plateformes…
Une loi promulguée en juillet 2023 met en place une majorité numérique en France à 15 ans. Mais pour Véronique Béchu, « il faut l’étayer d’un mécanisme de contrôle. C’est ça qui est extrêmement problématique à l’heure actuelle, c’est que de nombreuses plateformes ne mettent pas en place ce contrôle. Alors qu’on sait que les outils existent, que ça fonctionne, puisqu’il y a des sites, par exemple, de paiement en ligne et de paris en ligne, qui utilisent cet outil de contrôle de majorité ».
« Un certain nombre de policiers vont devenir notre relais pour travailler sur la thématique des violences graves et notamment sexuelles en ligne pour les enfants ici«
L’office mineurs intervient sur tout le territoire français, y compris au fenua. Véronique Béchu était d’ailleurs en Polynésie ces derniers jours. Elle a participé aux Assises de l’aide aux victimes. Mais une autre raison l’a amenée au fenua : « on s’est aussi déplacés parce qu’on va créer une antenne de l’office mineurs ici, au sein de la DTPN (Direction territoriale de la police nationale, NDLR), et un certain nombre de policiers vont devenir notre relais de l’office mineur pour travailler sur la thématique des violences graves et notamment sexuelles en ligne pour les enfants ici à Papeete. (…) On a échangé beaucoup avec eux cette semaine, on travaille aussi de concert avec la gendarmerie qu’on a rencontrée, et on va pouvoir leur envoyer des signalements pour qu’ils mènent des enquêtes sur des situations qui concernent à la fois des auteurs en Polynésie française et des victimes en Polynésie française. »
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La lutte contre les violences faites aux mineurs passe aussi par de la sensibilisation. « La plupart des parents ne savent pas mettre en sécurité le profil de l’enfant, c’est-à-dire de manière à ce qu’il ne soit pas exposé à des individus qui vont soit se faire passer pour d’autres enfants pour pouvoir entrer en contact avec eux, ou encore pour des adultes qui vont (…) leur proposer des possibilités de jouer en ligne plus facilement, des codes, parfois même de l’argent ».
Comment alors protéger ses enfants sur la Toile ?
- Véronique Béchu invite les parents à s’intéresser à la configuration du réseau social. « On peut mettre un paramétrage qui ne permet pas à tout individu d’entrer en contact avec son enfant. Par exemple, le profil du réseau social doit être mis en privé et non pas en public. Seuls les amis que l’enfant aura acceptés pourront se connecter et échanger avec cet enfant ».
- N’accepter que des personnes que l’enfant connait : « D’autre part, il ne faut accepter comme amis que des gens que l’on connaît physiquement. Donc, on sait que les personnes qui sont derrière ces profils sont bien des personnes que l’on connaît et sont bien des enfants ou des adultes que l’on connaît, puisque beaucoup d’adultes se font passer pour des enfants de manière à pouvoir approcher plus facilement un autre enfant.«
- « Il faut également déparamétrer la fonction de géolocalisation par défaut. Il faut expliquer aussi à un enfant qu’il ne faut jamais mettre d’éléments personnels le concernant en ligne, c’est-à-dire ne pas expliquer où il va à l’école, où il habite, quel est son numéro de téléphone, quels peuvent être ses autres profils sur d’autres réseaux sociaux, ne pas dire où il fait son sport, où il va à la musique, etc. »
- « Ne jamais envoyer de photos ou mettre en ligne de photos de soi, mais même des photos juste de son visage. Ça, on ne doit pas s’afficher sur les réseaux sociaux quand on est un enfant. Et puis après, je pense que les parents doivent être assez vigilants sur ce que fait leur enfant en ligne et en discuter avec eux. »
« Sharenting » : les images de vos enfants, une « mine d’or » pour les pédophiles
Les parents peuvent aussi agir directement en étant vigilants au contenu qu’ils diffusent. Car le chiffre suivant est à glacer le sang. Selon la commandante de police, 50 % des images de mineurs postées en ligne « atterrissent sur les réseaux qui sont utilisés par les pédocriminels pour communiquer entre eux. Donc, en fait, on a constaté que 50 % des images qui circulent sur ces réseaux sont issues des réseaux sociaux des parents qui, de manière tout à fait innocente, mettent en ligne les images de leurs enfants, souvent habillés en réunion de famille ou pendant des compétitions sportives, etc. Ils sont juste très fiers de leur enfant et ils veulent le mettre en ligne.
Sauf que ce dont ils n’ont pas conscience, c’est que ces images ou ces vidéos sont une mine d’or pour les pédocriminels qui vont soit les utiliser comme ça, sans les modifier, en juste les commentant, en les faisant circuler entre eux. Mais ils peuvent aussi, avec maintenant les outils d’intelligence artificielle, soit modifier complètement l’image (…) en mettant l’enfant tout nu, donc déjà en exposant le visage associé à un corps nu. Ou encore, il y a des outils qui permettent de créer des vidéos à partir juste d’une image tout à fait innocente d’un enfant. Évidemment, des vidéos mettant en scène sexuellement l’enfant en interaction avec un adulte. Clairement, ces images que l’on partage, qui s’appellent « Sharenting » (contraction de « Share », partager en anglais et de « parenting », parentalité, NDLR), c’est quelque chose d’extrêmement impactant pour le respect de la vie privée d’un enfant.«
Des images qui resteront ensuite à vie, sur internet…
Voir aussi – Meta Fenua du 3 septembre : Publier des photos de mineurs sur internet : quels dangers ?
Toujours dans le but de sensibiliser le plus grand nombre, Véronique Béchu a écrit un livre, « Derrière l’écran », qui explique les mécanismes pédocriminels en ligne.
Pour les victimes, une plateforme d’écoute existe, développée par l’association e-Enfance. L’application 3018 permet d’accéder à un chat, d’expliquer la situation, d’être recontacté et de conserver des preuves.