Tahiti Nui Télévision : Il y a eu plusieurs semaines de mobilisation pour parvenir à ces accords. Les salariés n’ont pas lâché et vous non plus. Ça n’a pas toujours été facile de rester sur le piquet de grève pourtant ?
Avaiki Teuiau, secrétaire générale du syndicat A Ti’a i Mua : « Alors, je ne dirais pas que ça n’a pas été facile, parce qu’une grève n’est jamais facile. Mais en revanche, la détermination de ces grévistes et leur motivation nous ont bien aidés à la table des négociations. Parce que pour que l’on puisse être portés au niveau de ces discussions, il faut qu’on ait une base à l’origine, sinon la grève n’a plus de sens. »
TNTV : Ces accords pourraient être une base à une convention collective dans le secteur. Quelle sera la suite à donner à ces événements ?
Avaiki Teuiau : « Alors, il est prévu dans le protocole de fin de conflit que des négociations continuent, justement pour faire évoluer l’annexe 3 qui porte sur l’activité de la sûreté aéroportuaire. L’annexe 3 qui a été signée dans la foulée avec le protocole de fin de conflit. C’était, il me semble, un souhait de la part des deux directions. Et nous avons adhéré à cette idée, puisque ce sera l’occasion de venir structurer l’activité en question et même voir si tout se passe sous un beau ciel, voir naître une convention collective rien que pour cette activité de sûreté. »
TNTV : Concernant la grève dans les sociétés de sûreté justement, vous avez souligné l’importance d’un médiateur, en l’occurrence Pierre Frébault, le délégué interministériel en charge du dialogue social. Sans cela, le conflit aurait duré plus longtemps selon vous ?
Avaiki Teuiau : « Oui, je pense que le conflit aurait duré plus longtemps au vu de la détermination des grévistes et en même temps par rapport à la position que prenaient déjà les deux directions sur la première revendication, à savoir l’attribution du 13e mois. Le point bloquant était celui-là. Au passage, je souhaite saluer le travail de la direction du Travail et l’intervention de M. Pierre Frébault, délégué interministériel du dialogue social, mais aussi en charge de la protection sociale généralisée, pour s’être intéressé à un moment donné à ce blocage et pour nous avoir permis de pouvoir nous positionner autrement.
Vous savez, quand on demande un 13e mois, je l’ai toujours dit aux grévistes, ce n’est pas n’importe quoi, c’est beaucoup pour une entreprise parce que ce 13e mois, il faut le multiplier par l’effectif de l’entreprise et bien évidemment, ce n’est pas simple pour les dirigeants. C’est du donnant-donnant, il faut trouver un équilibre au niveau de cette revendication et ce qui m’a un peu compliqué la tâche, c’est la pédagogie qui m’a manquée pour pouvoir faire comprendre aux grévistes que sur ce point, il faut savoir lâcher, il faut savoir trouver ce fameux équilibre et celui qui avait la solution, en tout cas celui qui a apporté cette solution, il est clair que c’est bien M. Pierre Frébault, puisque grâce à son intervention, il a eu la pédagogie pour expliquer aux salariés sur le piqué de grève qu’à un moment donné, il faut sortir de ce conflit et il faut savoir aussi regarder avec l’œil de l’autre partenaire qui est la direction. Donc clairement, il est important pour nous que son intervention arrive à ce niveau-là puisque nous étions dans des positions de force, dans des rapports de force, chacun campait sur ses positions puisque nous, on avait une doléance claire de la base qui était de ne rien lâcher. »
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TNTV : Vous pointez aussi du doigt le faible effectif à l’inspection du travail, il n’y a qu’un inspecteur aujourd’hui en Polynésie.
Avaiki Teuiau : « Oui, parce qu’en même temps, moi ça m’a donné l’occasion de pouvoir observer un peu la situation au niveau de l’aéroport. Il est clair que nous n’étions pas signataires du préavis qui avait été déposé à l’aéroport de Tahiti ADT, mais en revanche, sur Tahiti Sûreté et South Pacifique Sécurité, nous étions aussi constitués en inter-syndicales puisque je n’étais pas toute seule, j’étais avec la CSTP-FO et en fait, ces moments passés sur le piqué de grève m’ont donné l’occasion de me rendre compte que si ces grèves ont duré autant de temps, on aurait peut-être pu éviter cela aux familles polynésiennes à ces grévistes, mais c’est bien parce que la raison est celle que vous venez d’évoquer, c’est clairement un manque d’effectifs au niveau de la direction du Travail.
Donc s’il y a un message que je devais lancer à travers cette intervention, il est évident pour moi que le Pays doit doter la direction du Travail de plus de moyens, plus d’inspecteurs du travail, plus d’agents de contrôle, de contrôleurs de travail parce que ces conflits sociaux auraient pu être évités. »
TNTV : Justement, à l’échelle du pays, il y a une certaine récurrence des conflits, ils interviennent aujourd’hui en série. Selon vous, c’est le symptôme d’un dialogue social qui se dégrade ?
Avaiki Teuiau : « Je ne dirais pas forcément d’un dialogue social qui se dégrade, je pense qu’à la base, il faut partir d’une situation qui est clairement difficile aujourd’hui pour les salariés polynésiens. C’est le coût de la vie et c’est le pouvoir d’achat. Nous avons fait la démonstration lors de notre rencontre avec le Pays au mois de mai, dans le cadre du protocole de rencontre du 1er mai, que les salaires ont nettement baissés au niveau du secteur public. Je m’explique, quand je dis « baissés », c’est le pouvoir d’achat des fonctionnaires, même au niveau du secteur public, qui s’est dégradé ces dernières années. Il est évident pour nous qu’au niveau du secteur public, la situation est celle là. On n’ose imaginer au niveau du secteur privé. Même s’il y a des négociations chaque année, au mois de septembre jusqu’au mois de janvier, pour revoir les grilles salariales dans les différentes activités de la Polynésie. »
TNTV : Une dernière question, vous disiez que les signaux sont au rouge dans le syndicalisme polynésien. Est-ce qu’il y a un problème de compréhension entre les organisations syndicales et leur base ? De communication peut-être ?
Avaiki Teuiau : « De communication, j’irais même au-delà d’un problème de compréhension. Je dis que là, on est clairement dans une configuration où vous avez les anciens, et moi j’arrive, je suis à la tête d’une organisation syndicale depuis seulement 2022. Il est évident que les méthodes ne sont pas les mêmes. J’ai pu observer dans les différents préavis qui ont été déposés et j’ai relevé le mécontentement de certains représentants du personnel, de certains délégués syndicaux. Je peux entendre cette position, mais je peux entendre aussi celle des secrétaires généraux.
Vous savez, ce ne sont pas des machines. Je peux vous témoigner de la situation que chaque secrétaire général vit tous les jours et notamment dans une grève comme celle que vient de traverser ADT. Moi, j’ai vu ça comme un appel à l’aide. Quand je discute, quand j’échange avec M. Galenon ou avec M. Cyril Le Gayic, je vois bien que la culture polynésienne est bien ancrée même dans les conflits qu’ils mènent. Ils ont une vision de la solidarité qui ne s’arrête pas à une simple structure. Pour eux, la solidarité, c’est la solidarité de l’ensemble des travailleurs polynésiens. Je pense qu’à travers ces différents préavis de grève, c’est le message qu’ils ont voulu lancer, mais ça n’a pas été compris de cette façon. Il y a peut-être des choses à revoir dans la méthode de faire, mais moi, si je devais lancer un message, c’est qu’aujourd’hui, ils sont là. Ils étaient là aussi par le passé. Il ne faut pas s’arrêter sur ce loupé. Il faut aller au-delà de ça et même rentrer dans vos maisons. Je parle des représentants du personnel et des délégués syndicaux. Prenez de leur expérience et assurez la relève parce qu’ils ont suffisamment œuvré pour pouvoir mettre toute la population, tous les salariés polynésiens, dans un certain confort. Ça, il ne faut pas l’oublier aussi. »