« Qu’est-ce que le peuple polynésien vous a fait pour que vous nous détestiez autant ?« , demandait à l’Etat, jeudi, Moetai Brotherson. Le député venait en effet de découvrir qu’à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, figurait un projet de loi portant diverses mesures sur l’urgence face au covid-19. Dans ce texte : un alinéa qui vient réintroduire le risque négligeable dans l’instruction de l’ensemble des dossiers de demande d’indemnisation des victimes des essais nucléaires. Une manœuvre qui a scandalisé l’élu, d’autant que l’étude de ce « cavalier législatif » à l’Assemblée s’est faite en l’absence des parlementaires Polynésiens. Pour lui, il s’agit d’un acte délibéré : « Ils auraient pu l’inscrire dans les deux semaines qui suivaient à l’Assemblée nationale, pendant que j’étais là-bas, pendant que Maina était là-bas, pendant que quasiment tous les parlementaires polynésiens étaient là-bas, s’insurge-t-il. Qu’est-ce qu’ils ont fait ? Ils ont attendu qu’on soit tous ici, qu’on soit tous revenus, pour l’inscrire« .
Les association de défense des victimes du nucléaire sont elles aussi révoltées.
« Je suis scandalisé, plus qu’outré! Mais cela ne me surprends pas »
Hiro Tefaarere
« Je suis scandalisé, plus qu’outré! Mais cela ne me surprends pas », s’exclame Hiro Tefaarere, président de Moruroa e tatou. « Depuis le début, l’Etat savait. De De Gaulle jusqu’à Macron, tous les présidents de la République qui se sont succédé connaissaient, dans le détail, les effets désastreux des essais nucléaires, surtout aériens, sur l’homme et sur la nature. Egalement sur l’économie, la culture, le social. Ils n’en avaient rien à faire, et jusqu’à aujourd’hui, ils s’en fichent complètement de la Polynésie« !
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Pour le militant : deux questions doivent être posées : « Pourquoi est-ce que depuis le début, l’Etat, qui était compétent, à l’époque, au niveau de la santé publique au fenua, a-t-il refusé de mettre un registre des cancers, digne de ce nom, en Polynésie? Et peuvent-ils nous dire combien de personnes sont réellement décédées des suites des essais nucléaires en Polynésie? A ma connaissance : plusieurs dizaines de milliers de personnes. Beaucoup plus que le Covid en tous cas. Et c’est là que réside le scandale »!
Hiro Tefaarere conclut, quelque peu désabusé : « Par rapport à ce dossier des conditions d’indemnisation des victimes, je me suis suffisamment exprimé là-dessus. Les autorités de l’Etat et monsieur Christnacht, que j’ai rencontré à maintes reprises ici, connaissent la position de Moruroa e tatou et de l’Eglise protestante Maohi. Manifestement, ils s’en fichent complètement ».
Pour Père Auguste Uebe Carlson, président de l’association 193 « On est quand même vaccinés depuis quelques temps contre ces annonces, et on a toujours dénoncé cette politique d’une propagande d’essais propres. On voit bien que ce qu’il va se passer à l’Assemblée nationale est une suite logique de ce qu’ils sont en train de mettre en place dans ce Pays, et notamment à travers le centre de mémoire des essais nucléaires ».
« A partir du moment où l’Etat ne joue pas franc-jeu, toute la machine d’indemnisation des victimes rencontre des obstacles ».
Père Auguste Uebe Carlson
Le Mangarévien considère que les dossiers des victimes sont devenus très compliqués et que les victimes se découragent. « Il y a un seul coupable dans cette histoire, c’est l’Etat. Il ne veut pas accepter les erreurs qu’il a commises avec tous ces essais nucléaires. C’est un crime contre l’Humanité. A partir du moment où l’Etat ne joue pas franc-jeu, toute la machine d’indemnisation des victimes rencontre des obstacles ».
Selon le président de 193 « L’Etat ne reconnaît pas l’impact des essais nucléaires. Ca a toujours été une propagande. Les essais sont propres. Les essais font partie du passé. Les maladies d’aujourd’hui sont liées aux problèmes de malbouffe des Polynésiens, leur style de vie… rien n’est reconnu. A un moment donné, avec les annonces du président François Hollande, on a cru qu’une nouvelle page allait s’écrire : mais rien. Aujourd’hui, le conseil d’Etat, en janvier 2019, reconnaît la validité de tous les dossiers des victimes avant la loi de l’amendement dit Tetuanui, et aujourd’hui, le Sénat, l’Assemblée nationale, donnent raison à cette commission dirigée par une Polynésienne. Normalement, elle est censée être de notre côté. Mais elle est incapable de peser l’impact de cet amendement. Aujourd’hui, c’est une suite logique ».
Concernant le centre de mémoire des essais nucléaires qui doit voir le jour, à Papeete : « Nous avons déjà démissionné de ce projet parce que nous considérons qu’il est mené par des négationnistes. A quoi na servir un centre de mémoire à part dire que tout se passe bien? Et d’ailleurs, l’appareil législatif va dans le sens du tout va bien! Ce sera un musée du passé pour le passé, et on apprendra rien sur l’impact aujourd’hui ».
L’association 193 demande à l’Eglise protestante Maohi et à l’association Moruroa e tatou de se positionner, elles aussi, sur cette question. Et conclut : « Nous ne sommes pas contre. Dieu sait si nous avons besoin d’un centre de mémoire pour apprendre à ce Pays à connaître son histoire. Mais nous ne voulons pas d’un centre négationniste, pensé, guidé par des gens, dont les faits juridiques vont uniquement dans leur sens ».