TNTV : Vous êtes invitée à vous exprimer lors du colloque sur le nucléaire. Doctorante en histoire, votre travail consiste à documenter les différents types de militants qui se sont intéressés aux essais nucléaires…
Clémence Maillochon, doctorante en histoire : « Mon travail consiste essentiellement à récupérer des archives de militants, et à les croiser avec des archives étatiques. Ce qui a été assez compliqué dans la première année de mon travail parce que la plupart des archives qui parlaient des mouvements militants étaient bloquées. Elles ont été ouvertes il y a quelques mois. Je viens de passer l’hiver en France à consulter tout un tas de cartons sur la surveillance des mouvements militants qui m’ont permis de comprendre de nombreux enjeux que je n’avais pas forcément trouvés au début de mes recherches. Et également à recueillir la parole de militants en métropole et en Polynésie française pour essayer de comprendre de quelles manières ces militants se sont interconnectés, ont créé des liens, et in fine, des systèmes de solidarité parfois étonnants. Par exemple, on retrouve un mouvement de solidarité au Larzac, sur la terre où des paysans avaient failli être expropriés par l’armée. On y retrouve des militants polynésiens et kanaks qui viennent se soutenir les uns les autres. D’ailleurs, des militants du Larzac sont venus protester en 1995. C’est ce genre de solidarité étonnante qui caractérise le mouvement antinucléaire. »
Qui sont ces militants ?
« La définition du militant peut être assez large. On peut avoir des personnes qui se sont impliquées parce qu’elles ont travaillé pour le CEP, des militants qui vont se préoccuper de l’environnement, d’autres des questions identitaires, de la culture polynésienne. Je pense en particulier à Henri Hiro qui est une des grandes figures de ce mouvement et qui a contribué à faire passer son message à travers ses protestations, mais dont la voix était vraiment isolée au début. Quand il a fait ses premières manifestations, on voit que c’est un petit groupe d’une dizaine de personnes, qu’ils étaient ralliés dans les rues et puis, au fur et à mesure, ce mouvement a pris de l’ampleur pour devenir un mouvement de masse. Aujourd’hui, l’ensemble de la société est d’accord pour justement critiquer cette période. C’est vraiment quelque chose qui a pris du temps, ça été difficile. Il ne faut pas oublier que le fait d’être militant a aussi un coût, parfois personnel, professionnel. Ce qui caractérise l’ensemble des personnes que j’ai interrogé, c’est justement cet investissement et ce coût du militantisme. »
Comment se concrétise ce travail sur le terrain ? Vous les rencontrez, vous vous entretenez avec eux ?
« Effectivement, ça été un certain nombre d’entretiens en face à face, parfois à plusieurs. Ça a aussi été de l’observation puisque c’est un militantisme qui s’est transformé, mais qui est toujours vivant aujourd’hui avec le mouvement pour la reconnaissance des multiples conséquences des essais nucléaires. Mais ça a été essentiellement des moments de partage et d’apprentissage. Je tiens à remercier tous les militants qui m’ont accueillie et qui m’ont tellement appris sur l’histoire de la Polynésie et du militantisme. »
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Tahiti, Moorea… vous vous êtes également déplacée dans les îles.
« Oui, tout à fait. Grâce à la Maison des sciences de l’homme du Pacifique, j’ai pu effectuer un terrain de recherches à Tahiti, et à Huahine et Mangareva pour vraiment avoir une comparaison entre ces différentes communautés et essayer de comprendre comment les personnes qui vivaient au plus proche des sites, donc aux Gambier, ont vécu cette période. »
Dans quelle mesure ce travail s’inscrit dans ce colloque ?
« Il s’inscrit dans ce colloque puisqu’il y a eu des militantismes sur toute la période des essais. Je remonte également aux premiers essais en Algérie où on a des grandes opérations de désobéissance civile qui vont prendre place en Algérie, dont peu de militants connaissent l’origine en Polynésie. C’est un conseiller de Martin Luther King qui va mettre cela en place. Et on a ces réseaux militants qui partent de Nouvelle-Zélande et qui vont se déployer en Océanie. On a également des Eglises. L’histoire du militantisme antinucléaire en Polynésie, c’est aussi une partie de l’histoire contemporaine de ce pays. »
Donc celle va permettre aussi de comprendre l’histoire d’aujourd’hui ? De faire le lien entre le passé et aujourd’hui ?
« C’est ça, et également de comprendre quelles ont été les incidences de ce mouvement dans le mouvement environnementaliste. Aujourd’hui, on a des préoccupations climatiques extrêmement fortes, et ça permet aussi de faire passer cette mémoire et de mettre en valeur les différentes figures, ces passeurs de savoirs militants, qui ont forgé l’identité polynésienne aujourd’hui. »