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« Mezze du fenua » : de pilote de ligne à traiteur

(Crédit photo : Thomas Chabrol / TNTV)

Le parcours de Manatea est aussi varié que sa cuisine. Originaire de Nouvelle-Calédonie, le pilote de ligne a pas mal vadrouillé avant de faire escale au fenua : « J’ai toujours voulu être pilote de ligne. Mais on me disait toujours que c’était trop dur, que je ne pouvais pas réussir car je n’étais pas le meilleur à l’école. Du coup, pour me rapprocher du cockpit, j’ai d’abord fait steward ».

Manatea travaille pour la compagnie locale, Air Calin, pendant plusieurs mois : « Mais je ne faisais jamais le service, j’étais toujours dans le cockpit à poser des questions au pilote ». Il finit par démissionner et s’envole en métropole faire ses études à l’école supérieure des métiers de l’aéronautique à Montpellier, dont une partie de la formation est en Belgique. Des études onéreuses : « Cela m’a couté environ 15 millions de Fcfp. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui avaient les moyens qui m’ont tout payé. Cinq mois après avoir terminé mes études, j’ai décroché mon premier job en Italie en tant que pilote de ligne sur un Airbus A320 pour la compagnie Meridiana fly. Mais mon rêve à l’époque était de travailler pour Air Calin ». Manatea vole un peu partout en Europe et en Afrique. Le pilote s’envole vivre au Bahreïn pendant deux ans avant de partir au Qatar : « J’allais là où il y avait les postes. Et Air Calin, c’est un peu comme Air Tahiti Nui, les postes, il n’y en a pas beaucoup. Et je voulais faire mon expérience à l’international. J’ai découvert plein de pays ».

Manatea continue son périple en passant par la Géorgie et le Sri Lanka où il restera trois ans et où il devient papa. Puis il part à Hong Kong où il pilote des Airbus A330 et A350 de plus de 300 passagers : « Partout où j’allais, c’était vraiment une culture différente. J’ai appris à connaître les différentes cultures et c’était bien. Cela m’a enrichi ». Au gré de ses voyages, Manatea nourrit également son goût pour la cuisine, déjà présent dans son enfance avec une maman souvent aux fourneaux : « Au Sri Lanka, j’ai appris à cuisiner tout ce qui est indien. À Bahreïn, c’était tout ce qui est houmous, tzatziki… c’est ce que je mangeais le plus. Et tous mes collègues d’origine arabe, quand j’allais chez eux, c’est ce qu’ils me préparaient ». Après ses années passées à Hong Kong, Manatea ressent un manque de cette cuisine : « J’ai essayé de reproduire les recettes. Je les faisais goûter à des amis tahitiens et ils ont bien aimé. J’ai donc décidé que j’allais me spécialiser dedans. Mais aussi parce que c’est 100% végétarien, et cela attire une nouvelle clientèle. (…) J’ai eu un coup de cœur pour cette cuisine que je ne connaissais pas avant d’arriver à Bahreïn. À New York, les gens proposent dans la rue des hot-dogs, et là ce sont les pains avec le houmous ».

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Arrivée de la Covid et départ pour Tahiti

C’est en octobre 2020 que la Calédonien débarque de Hong Kong à Tahiti : « Il y a un an, la compagnie aérienne pour laquelle je travaillais a commencé à ne plus aller très bien. J’avais un mois de travail, un mois sans, un mois de travail, un mois sans… et avec une perte de salaire évidemment. La vie à Hong Kong étant très chère, je ne pouvais pas y rester avec ma famille. Rien que l’école des enfants, je payais 350 000 Fcfp par mois, et mon loyer était de 800 000 Fcfp… ». Les frontières calédoniennes étant fermées, Manatea ne pouvait pas y rentrer puisque travaillant un mois sur deux à Hong Kong : « Je ne pouvais pas rentrer et sortir etc. Car une fois que tu rentres en Nouvelle-Calédonie, tu restes sur place. Alors que Tahiti, c’était plus ouvert à tout le monde, c’est pour ça que je suis venu ». Et le fenua ne lui était pas inconnu étant déjà venu en escale et ayant croisé pas mal de Polynésiens sur ses routes : « La mer me manquait trop. J’avais deux choix : soit la France soit Tahiti. Tous les autres pays étaient fermés aux étrangers en raison du Covid ». Ne pouvant aller en Calédonie, et ayant plus de connaissances à Tahiti, il opte donc pour le fenua.

À Tahiti, Manatea se rend un mois sur deux à Hong Kong avant de perdre son emploi en septembre dernier. Après six ans à Hong Kong, c’est un chapitre qui se termine et un autre qui s’ouvre. Le passionné d’aéronautique qui est également un passionné de cuisine décide d’embarquer cette fois ces passagers dans un vol culinaire : « Ma vie à Tahiti, c’est un bonheur, ça m’avait manqué, le fait de revenir près de la mer, de voir mes enfants aller à la plage… ».

Embarquement immédiat pour « Mezze du fenua »

Ayant perdu son emploi, le jeune homme rebondit vite et décide de lancer « Mezze du fenua ». Lui qui tenait déjà la page Cuisine calédonienne sur Facebook suivie par plus de 70 000 personnes, opte cette fois pour une cuisine aux saveurs de ses voyages. Au départ, il faisait des plats calédoniens qu’il vendaient via sa page Facebook : « Cela devenait compliqué, il fallait un laboratoire… alors que pour la cuisine végétarienne, pas besoin. Les conditions sont plus souples. On peut cuisiner de chez soi. (…) Je ne voulais pas faire du végétarien qu’on trouve ici, je voulais faire quelque chose que l’on ne trouve pas ».

(Crédit photo : Thomas Chabrol / TNTV)

Il se lance en septembre et le succès est fulgurant, étant le seul sur Tahiti (il existe un autre traiteur libanais, mais à Moorea) : « Je ne m’attendais pas à ce que ça décolle aussi vite ! Surtout que les gens mangent plus du poisson cru, des steaks frites….Mais je me dis que j’allais quand même tester, car le changement ça plait aussi. J’ai mis un message Facebook, et là, les messages ne cessaient d’arriver, j’étais complet tous les jours ». Aujourd’hui, celui qui s’est reconverti traiteur est ravi : « J’adore ce que je fais et je pense que ça se ressent dans ma cuisine. Je fais tous mes plats avec amour. (…) Tous les légumes sont locaux, et pour les épices, les huiles d’olives, la pate de sésame… c’est un importateur de produits libanais ici ». Manatea propose des plateaux d’assortiments (d’où le nom « Mezze ») de houmous de pois chiches, de betteraves, de poivrons… du tzatziki ou encore de la salade grecque.

Des plats à partager, des plats faits avec amour : « Le métier de pilote est très carré, tu emmènes des passagers de A à B, et tous les gestes sont pareils et écrits : ce qu’il faut faire pour décoller un avion, le faire atterrir, la météo… il n’y a pas de créativité. Les passagers sont contents, ils arrivent en vacances et voilà. Merci au revoir. Alors que la cuisine, tu inventes, tu recrées, et si les gens aiment, cela veut dire qu’ils aiment ce que j’ai fait. Ce que j’aime bien, c’est que les gens sont reconnaissants envers ma cuisine et ma façon de faire, alors que pilote, ce n’est pas ma façon de faire, c’est juste un bouquin que je suis« .

Pour autant, Manatea ne compte pas abandonner son métier de pilote et aimerait retourner vivre en Europe : « Mon rêve, c’est toujours d’être pilote. Si Air Tahiti Nui me propose une place, bien-sûr que je ne dirai pas non, mais je sais que ça ne se fera pas, car il y a beaucoup de Tahitiens qui ont perdu leur travail et qui sont qualifiés sur les avions qu’ils ont, et moi je suis plus qualifié sur un autre type d’avion. Je sais que ma vie à Tahiti est temporaire. Je suis trop jeune pour abandonner le métier de pilote, je n’ai pas fait toutes ces études pour arrêter, et cela a coûté cher. J’adore mon métier de pilote. J’aimerai piloter et avec l’argent que je gagne, ouvrir mon restaurant et le faire gérer par quelqu’un ».

Bientôt un restaurant libanais à Tahiti

En effet, le pilote et traiteur a pour projet d’ouvrir un restaurant à Tahiti. Ses grands-parents tenaient d’ailleurs des restaurants. Mais pas question pour Manatea d’ouvrir un restaurant sur le Caillou : « En Nouvelle-Calédonie, il y a déjà 5-6 restaurants tenus par des vrais libanais ». Alors qu’à Tahiti, il n’y en a pas…

« Mon rêve ultime, c’est d’être pilote de ligne et d’avoir mon restaurant. »

Manatea Kiaora

En tous les cas, ce n’est pas la crise liée à la Covid qui va freiner Manatea : « C’est un vrai projet, la crise ne m’effraie pas. J’ai déjà l’argent qu’il faut pour l’ouvrir. J’ai tous mes plans, j’ai beaucoup travaillé dessus, mais j’attends d’abord de retrouver mon travail de pilote et ensuite je me lancerai. Mais je n’aimerai pas le faire tout seul, il faut que je trouve quelqu’un encore ». Car pour le moment, il fait tout tout seul : « J’espère peut-être, un jour, avoir des employés ».

Et si Manatea a un conseil à ceux qui souhaiteraient se lancer, c’est de foncer : « il ne faut pas hésiter à se lancer, mais il ne faut pas qu’ils fassent la même cuisine que moi » plaisante-t-il.

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