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Starlink : le flou des autorisations d’importation du matériel

Starlink : le flou autour des autorisations d'importation du matériel

Le Pays est clair : « aucune autorisation » n’a été délivrée à la société américaine pour fournir ses services d’internet par satellite au fenua.

Mais, ce n’est un secret pour personne, ils sont pourtant nombreux à posséder des antennes sur le territoire. Si certains les ont fait entrer illégalement, d’autres ont bénéficié d’une AAI, une autorisation administrative d’importation délivrée par l’antenne locale de l’agence nationale des fréquences (ANFR).

L’ANFR qui stipule pourtant sur son site internet que concernant ce type d’équipement, c’est vers le Pays et donc la DGEN qu’il faut se tourner. Et pour cause, c’est la loi…

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Le Code des postes et télécommunications stipule par ailleurs que « l’opérateur public (Onati, NDLR) assure l’exécution du service public des télécommunications extérieures de la Polynésie française. Il est autorisé à confier l’exécution de tout ou partie de ce service public à des tiers »…

L’ANFR aurait récemment arrêté de délivrer des AAI pour le matériel Starlink. Du côté des détenteurs d’antennes, on se pose beaucoup de questions.

Un habitant d’un archipel éloigné que nous avons contacté par téléphone confie posséder du matériel Starlink depuis décembre 2023. « J’ai fait ma demande d’AAI. L’ANFR m’a produit une autorisation. J’ai pu importer en toute légalité le matériel puisque la douane me l’a autorisé », explique-t-il. Cette personne nous a envoyé pour preuve une copie de son AAI. Il s’étonne que l’ANFR refuse désormais d’en délivrer d’autres et que le Pays n’autorise pas l’utilisation du matériel. « Qu’on nous dise aujourd’hui que Starlink est interdit d’utilisation en Polynésie… On aurait peut-être dû nous le dire avant qu’on nous autorise à importer ».

L’île où cette personne réside est « raccordée ». « On peut avoir internet à 72k/s en down et 128 en up. C’est une connexion qui, en 2024, est obsolète. On ne peut plus rien faire avec une telle connexion. On ne peut pas faire de streaming, pas regarder de vidéo. Au niveau des mails, on est absolument restreints puisqu’on ne peut pas envoyer de mails avec une pièce jointe supérieure à 500 Ko. C’est-à-dire que ce n’est même pas une photo basse résolution ».

« nous sommes isolés administrativement parlant, le domaine du tourisme est isolé, la santé. »

Un habitant des iles

Si ces personnes savent qu’elles risquent de se faire confisquer leurs antennes, elles évoquent un réel besoin d’être connecté, en particulier dans les iles. « La connectivité est un aspect important dans les iles. C’est d’autant plus important que nous sommes isolés administrativement parlant, le domaine du tourisme est isolé, la santé. Starlink va nous apporter une connectivité pour l’administration, la santé, ‘éducation, c’est très important, et aussi pour le tourisme. On parle de développement, de connecter les iliens qui sont loin, de faire de la télémédecine. On entend ça depuis des années et concrètement il n’y a rien du tout. »

Les iliens ne sont pas les seuls concernés. Un habitant de Tahiti admet lui aussi avoir investi dans une antenne, qu’il n’a pas encore réussi à faire venir sur le territoire. « Je suis malheureusement dans une zone non éligible à la fibre. Le programme Fiber to the home me passe bien loin, sans perspective. Ce dont j’ai besoin, c’est d’une solution à court terme. On infantilise les Tahitiens à ne pas les laisser choisir quel est le moyen le plus adapté », estime-t-il.

Contactée, et malgré plusieurs relances, la DGEN n’a pas répondu à nos demandes d’interview.

Conséquence du flou autour de Starlink, de nombreuses antennes sont aujourd’hui en vente au marché noir à Tahiti…

Pour améliorer la connectivité notamment dans les iles, le Pays envisageait de devenir client de OneWeb le concurrent européen de Starlink dont plusieurs antennes sont installées sur un site du Pays à Papenoo. Mais pour l’heure, rien de concret n’a encore été annoncé.

En revanche, un projet de loi pourrait bien faire évoluer la situation. Le Cesec a examiné début mai un texte portant modification du Code des postes et télécommunications. Une demande urgente du Pays qui serait en lien avec l’arrivée prochaine de Google. Le texte doit permettre à de nouveaux opérateurs extérieurs de se raccorder à la Polynésie. Le Cesec a fait plusieurs recommandations. Parmi elles, que « les infrastructures locales soient exploitées de manière plus efficiente, mais aussi d’autoriser « l’importation et l’utilisation de matériel de connexion satellitaire en faveur des archipels éloignés et des zones non connectées ».

Lire aussi – Internet : le président promet du haut débit partout en Polynésie en 2024

En octobre 2023, le président du Pays Moetai Brotherson avait déclaré à l’assemblée vouloir faire de 2024 « l’année de la couverture intégrale en haut-débit de notre fenua. Ce qui aura un impact considérable à la fois en terme de télémedecine, téléenseignement et e-administration. Aujourd’hui, on est limités par les débits, limités dans des territoires très éloignés comme Rapa et, on l’a vu pendant le congrès des maires, même Teahupoo. Tout ça ne sera je pense qu’un souvenir l’année prochaine. » Il reste encore 6 mois au Pays pour faire de cette annonce une réalité.

La réaction du président du Pays, en charge du Numérique

TNTV : Monsieur le président, que vous inspire cette progression des connexions illicites, finalement, à Starlink, et le besoin grandissant des Polynésiens à plus de connectivité, et surtout, quand est-ce que OneWeb pourrait intervenir ?
Moetai Brotherson, président du Pays : « OneWeb, techniquement, peut déjà intervenir. Il y a des démonstrations qui sont prévues lors des Jeux olympiques. Ensuite, la discussion aujourd’hui est commerciale.
Moi, je veux que les Polynésiens réalisent bien une chose. Starlink est une société qui, aujourd’hui, ne paye aucune taxe en Polynésie et qui donc ne contribue pas au maintien du service public. Je suis conscient qu’il y a des besoins de connectivité qui ne sont pas couverts aujourd’hui.
Nous espérons pouvoir les couvrir d’ici peu avec OneWeb, dans le cas, on va dire, le plus favorable, puisque là, c’est une société qui s’intègre dans le schéma économique polynésien, qui contribue au maintien du service public, ce que n’est pas Starlink aujourd’hui. Mais si demain, on laissait Starlink sans aucune obligation fiscale, finalement, qu’est-ce qu’on aurait comme résultat ? On n’aurait plus de bureaux de poste dans nos archipels. Est-ce que c’est ça que les Polynésiens veulent ? Pour certains Polynésiens, le bureau de poste, c’est le seul lien qu’ils ont avec tout un ensemble de services.
Donc il faut faire très attention à ces questions. Il y a une réflexion commune qui est menée entre la Calédonie -en ce moment, la Calédonie, toutes les choses sont un peu suspendues- et la Polynésie, sur comment est-ce qu’on peut intégrer Starlink au schéma fiscal de nos collectivités. Si on arrive, parce que la réglementation sur les télécoms, c’est quelque chose de très compliqué, le texte qui a été évoqué et qui a été présenté devant Cézec ne concerne pas du tout Starlink. C’est un texte qui concerne spécifiquement les câbles sous-marins. Donc il ne faut pas tout mélanger non plus.
Je n’ai pas moi d’opposition technologique à Starlink. Je suis un geek, invétéré. Donc c’est des sujets que je regarde depuis très longtemps.
Mais encore une fois, s’il s’agit de faire venir Starlink pour que demain, il n’y ait plus de bureau de poste, on n’aura rien gagné. »

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