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Vendre son corps pour vivre en Polynésie, une réalité racontée par une ex-prostituée

(crédit photo : Tahiti Nui Télévision / Evaina Teinaore)

Cristalline* a seulement 15 ans lorsque ses parents la renient, elle qui s’identifie alors en tant que raerae. Elle est ensuite hébergée chez une amie. Et pour subvenir à ses besoins, elle commence à vendre ses charmes : « j’allais toujours à l’école, du coup, elle m’a prise en charge. J’habitais à Mahina mais tout en venant me prostituer [à Papeete, NDLR], parce que c’était mon gagne-pain en ces temps-là. Il fallait payer le bus pour aller à l’école, le casse-croute pour pouvoir aussi se nourrir. […] Il fallait se nourrir pour pouvoir bien travailler à l’école. C’est comme ça que j’ai commencé à me prostituer ».

C’était il y a plus de 15 ans : Cristalline se fait une place parmi les raerae, les femmes mais aussi les hommes qui vendent leur corps le soir dans les rues de Papeete : « chacun avait son emplacement respectif. On ne se mélangeait pas. C’était juste pour cramer un joint, discuter ou se dire ‘ah oui, ce soir on est parti avec le même client !’. Je pouvais gagner par jour 35 000 à 40 000 Fcfp. C’est un salaire de ministre si je peux me permettre. […] Si tu étais au top, si pour le client tu étais tape à l’œil, tu pouvais rafler 7 à 8 clients. […] La prestation, ça venait dedans aussi. Donc il [le client] payait la chambre, la chambre ça nous revenait, donc grâce au premier client, on pouvait se faire d’autres clients parce que cette chambre-là, on la ramenait soit le lendemain, soit le soir. Même la journée, ça marchait ».

« Il y a même des gens haut placés qui viennent nous voir »

– Cristalline, ex-prostituée

Depuis, Cristalline vit dans la rue mais ne se prostitue plus. Avec l’aide de l’association Te Torea, elle a créé sa patente en 2020 et trouvé un travail au sein d’une société de nettoyage. À 32 ans, elle constate que la situation des prostituées n’a pas bougé : « je peux le dire, même pendant le covid, il y en avait. J’en vois. […] Je suis dans la rue, j’en vois tous les jours. Même quand ça ne marchait pas le soir, on venait le matin. […] Il y a même des gens haut placés qui viennent. Moi j’en connais deux, même un qui m’appelle souvent ». 

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(crédit photo : Tahiti Nui Télévision / Evaina Teinaore)

Même si elle ne vend plus son corps, Cristalline souhaite que le Pays légalise la prostitution afin d’encadrer cette pratique et de protéger celles et ceux qui s’y adonnent. Pour cette ancienne prostituée, « il faut arrêter de se voiler la face. Il y en a qui n’aiment pas aller travailler, qui n’aiment pas aller récurer les toilettes, qui préfèrent se vendre, vendre leurs charmes pour pouvoir gagner de l’argent. […] La prostitution, ça existe depuis des années. […] Avant, les raerae, on se faisait agresser. On était obligées de s’hormoner à fond pour pouvoir être belles et pour pouvoir venir se prostituer. Il y avait des voyous, à la rigueur s’ils te voyaient de loin, tu as l’air d’une fille, ça allait. Mais s’ils voyaient que tu étais un mec, tu passais un mauvais quart d’heure ».

« Ma vie aujourd’hui elle est dans la rue, elle est choisie« 

Cristalline, ex-prostituée

Depuis son arrivée dans la rue, Cristalline a pu recontacter sa famille. Pour autant, elle ne souhaite pas rentrer à la maison. « Ma vie aujourd’hui elle est dans la rue, elle est choisie. Pourquoi ? J’ai quitté la rue au mois de février cette année, j’ai eu mon propre appartement, j’ai vu comment il fallait payer ses propres charges. C’est lourd quand même. Alors j’ai vu que je pouvais économiser, je suis à l’aise dans la rue. J’ai un boulot. J’arrive à dormir, j’arrive à survivre, je dors dans un carton. Je ne suis pas morte ».

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Pour vivre dehors, Cristalline confie qu’il lui faut environ 7 000 Fcfp par jour. Une vie qui lui convient même si elle reconnaît qu’elle n’est pas de tout repos. « Dans la rue, tu es obligée de surveiller tes affaires ou sinon tu te les fais voler. Ça ne sert à rien d’acheter des trucs chers si tu vas te faire voler le lendemain. […] Avec 7 000 Fcfp, je mange. Sans oublier nos addictions, comme la cigarette, et de temps en temps aussi, du bonbon [NDLR : du cannabis]. Consommer de la drogue, ça me calme ».

Aujourd’hui, Cristalline aspire à un idéal : « aider les SDF », victimes à tort de préjugés.

*Nom d’emprunt

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