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Projet d’hôpital sans tabac : « il faut aider les professionnels de santé qui fument »

Crédit : Tahiti Nui Télévision

Projet d'hôpital sans tabac : "il faut aider les professionnels de santé qui fument"

Tahiti Nui Télévision : Vous êtes donc le chef du service de pneumologie de l’hôpital de Taaone. En plus de votre métier, on le sait, vous œuvrez beaucoup dans la lutte contre le tabac, mais aussi depuis plusieurs années pour l’intégration de la médecine traditionnelle polynésienne dans les soins aux patients. Avant d’évoquer la situation au CHPF, j’aimerais que l’on parle de cette nouvelle loi Tabac II qui veut notamment à nouveau mettre en place une nouvelle hausse du prix du tabac. Est-ce que ces hausses successives sont la solution, selon vous ?
Dr Eric Parrat, chef du service de pneumologie du CHPF :
« C’est une partie de la solution, mais ce n’est pas la solution. C’est une politique qui en échec un petit peu partout dans le monde, et en particulier en Polynésie. On sait que c’est quelque chose d’obligatoire, mais ce n’est pas comme ça que ça marche. Il faut chercher autre chose, une autre voie. Et cette voie est intéressante puisque notre ministre s’est rendu très récemment en Nouvelle-Zélande, parce qu’en Nouvelle-Zélande, en 10 ans, ils ont réussi à faire baisser le tabagisme de 50%. Donc c’est spectaculaire et c’est unique au monde. »

TNTV : Avec quelles solutions alors ?
Dr Parrat :
« Alors les solutions, on ne les connaît pas très bien justement, c’est pour ça qu’on est partis là-bas, pour un peu se renseigner. Mais la solution, elle est culturelle. Ils ont eu une attitude très communautaire auprès de populations maori qui fumaient à hauteur de 40%, comme en Polynésie, et qui aujourd’hui sont à 19%. Donc, on ne sait pas trop comment ils ont œuvré. Oui, le prix, les interdictions, bien entendu, c’est obligatoire, mais on sait que le tabac, si on stigmatise les fumeurs, ça ne marche pas. »

TNTV : Un meilleur accompagnement peut-être ?
Dr Parrat :
« Tout à fait. Et puis une démarche vraiment sociétale. C’est très important. On parle à une société. C’est un mal sociétal. On vient de le voir dans le reportage, nos professionnels de santé. L’hôpital sans tabac, c’est obligatoire. Il faut que nous, les professionnels de santé, nous donnions l’exemple. »

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TNTV : Nous allons y venir tout à l’heure. Les derniers chiffres en Polynésie font état de 70 000 fumeurs. C’était en 2022. Vous, aujourd’hui, en tant que professionnel de santé, quel est l’état des lieux que vous faites en 2025 ?
Dr Parrat :
« Oh, il est catastrophique. Toutes les maladies. L’hôpital est sursaturé en grande partie par des maladies liées au mode de vie. Le tabagisme rentre après avec l’obésité. Ça fait mauvais ménage, ça dépasse l’inimaginable. Les cancers, les maladies cardiovasculaires, les maladies respiratoires, les maladies rénales, énormément de maladies. Ça génère des coûts de santé absolument monstrueux. On sait qu’aujourd’hui, ça ne rapporte plus en taxes ce que l’on dépense en dépense de santé. »

TNTV : On sait également que les femmes fument plus que les hommes selon des études récentes, mais surtout les jeunes commencent de plus en plus tôt l’expérience du tabac. Est-ce que vous, vous avez affaire à des patients plus jeunes au sein de votre service ?
Dr Parrat :
« De plus en plus jeunes, malheureusement, des cancers du poumon de plus en plus jeunes qui nous arrivent à des stades très tardifs. C’est pour ça qu’il faut qu’on parle à la jeunesse. Et nous professionnels de santé, on n’a pas de crédibilité vis-à-vis de la jeunesse. C’est un problème sociétal. Il faut s’adresser aux jeunes. On l’a vu tout le week-end, des compétitions sportives, un beau corps, faire du sport, ne pas s’intoxiquer avec différents produits, mieux manger. C’est ça, l’enjeu sociétal de demain. Donc, on a réfléchi à l’hôpital sans tabac avec notre direction et avec le ministère sur comment faire autrement. »

TNTV : Alors, on parle justement de cet hôpital sans tabac. Comment est-ce que vous comptez vous y prendre concrètement ?
Dr Parrat :
« Il faut aider les professionnels de santé qui fument. Diminuer le stress à l’hôpital, ça ne va pas être simple, bien entendu. Mais il faut les aider avec des substituts nicotiniques, voire d’autres méthodes, bien entendu. Et puis surtout, il faut une aide psychosociale. Donc prochainement, on a le service d’addictologie qui va s’installer dans les nouveaux locaux. On va mettre en place un programme ensemble pour aider nos professionnels de santé, pour que nous, professionnels de santé, nous donnions la bonne image. Quand on parle avec un tabagique en consultation qui souffre du tabac, et j’en ai dans des situations absolument catastrophiques, et qui sort de l’hôpital et qui voit toutes les blouses blanches en train de fumer, on n’a pas de crédibilité. Donc il faut vraiment qu’on fasse quelque chose. »

TNTV : Alors, vous parliez de substituts nicotiniques tout à l’heure. Dans son nouveau train de mesure, le Pays annonce également vouloir s’attaquer au vapotage. Moetai Brotherson, le président du Pays, parle du vapotage en disant que c’est un tueur silencieux et invisible. Est-ce que c’est votre avis ?
Dr Parrat :
« Oui, tout à fait, bien entendu. On a déplacé le problème du tabagisme, où on dit on vend moins de tabac, donc il y a moins de fumeurs. Ce n’est pas vrai du tout. Le taux de fumeur autour de 42%, il ne change pas. Et surtout, chez les femmes, c’est particulièrement important. Les femmes sont beaucoup plus sensibles au tabac, puis il y a la grossesse. »

TNTV : Pourtant, on parle beaucoup du vapotage comme étant une alternative à l’arrêt du tabac.
Dr Parrat : « Non, ce n’est pas une alternative. La seule alternative à l’arrêt du tabac, c’est de ne jamais commencer le tabac. C’est pour ça que les projets, les programmes doivent commencer chez notre jeunesse, avec l’appui de la jeunesse. »

TNTV : Cela veut dire qu’il n’y a plus d’espoir pour les personnes fumeuses, fumeurs.
Dr Parrat :
« Bien entendu, on va parler jusque-là, mais vraiment, il faut agir au niveau communautaire, dans nos communes. C’est le projet Va’a Ora qu’on mène avec le ministère et avec Yves Doudoute et l’association Haururu pour redonner cette dimension culturelle de proximité. »

TNTV : Vous œuvrez justement depuis plus de 20 ans à l’intégration de la médecine traditionnelle polynésienne auprès des patients de l’hôpital. C’est donc votre initiative. Cette médecine peut donc aider à l’arrêt du tabac. Elle peut aider les fumeurs en quoi exactement ?
Dr Parrat :
« Bien entendu, parce que c’est un métier unique au monde. On vous en reparlera. Il n’existe nulle part ailleurs que chez nous. On a créé un nouveau métier de la santé. Ce sont nos néo tradi-praticiens. Ils sont entre deux mondes. Ils comprennent notre monde. Ils comprennent le monde de la médecine traditionnelle. Ils font le pont entre tout le monde. C’est vraiment des acteurs de proximité très intéressants parce qu’ils ont un savoir-faire qui est unique. Tout le monde nous a mis au défi de réussir. On a réussi. On a réussi à créer des lois entre nous pour travailler correctement ensemble. »

TNTV : La prévention est aussi un moyen de lutte contre ces addictions. En 2021, en Polynésie, elle représentait seulement 3% des dépenses de santé. C’est très peu. On doit faire plus d’efforts aussi de ce côté-là ?
Dr Parrat :
« La prévention, c’est majeur. Et là, il faut vraiment voir les choses autrement. Il ne faut pas aller chercher ailleurs ce qu’on a chez nous. On a des méthodes très originales en Polynésie, sachons enfin les mettre en avant ensemble. Et donc, c’est le travail qu’on mène avec le ministère à tous les niveaux parce que, bien entendu, le tabac, c’est une addiction forte. On ne le dit pas assez. La nicotine, c’est une drogue extrêmement puissante. C’est pour ça qu’il ne faut pas stigmatiser les fumeurs. C’est très difficile d’arrêter de fumer. Quand on a commencé, c’est très difficile. Donc, il faut avoir une vision globale sur cette prévention de toutes les addictions.« 

Reportage : Salariés du CHPF et fumeurs, ils luttent pour arrêter

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