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Johann Kwang-Liu : le cœur sur la main, le break dans la peau

Johann Kwang, breakdancer (Crédit photo : Tahiti Nui Télévision)

Né à Papeete en 1986, Johann et ses 2 frères passent une partie de leur enfance en familles d’accueil avant de retourner chez leur mère. Là, le jeune garçon rêve d’acrobaties : « À la télé, je regardais les Jeux Olympiques, et je regardais surtout la gymnastique. Je voulais apprendre un mouvement qui ça s’appelait le ‘Thomas' ». Mais à l’époque, il n’existe pas encore de gymnase au fenua ou de cours où il peut apprendre cette figure. Johann se tourne alors vers le football, le bodyboard et le skate. Jusqu’au jour où : « il y avait un concert à To’ata, le Sun Splash Reggae Festival. Ceux qui avaient de l’argent payaient pour aller voir le concert, et les autres, comme moi, restaient dehors. Il y avait l’ambiance avec les jeunes, etc. Il y avait un cercle, et des gens au milieu qui faisaient le Thomas. C’était incroyable de voir ça en vrai. Pour moi, c’était surhumain. Et je me suis dit que j’avais envie d’apprendre ça ». Si le breakdance est arrivé en France dans les années 80, c’est dans les années 2000 qu’il fait timidement son apparition au fenua.

« Le skate, le bodyboard… au final, ça coute cher. Quand tu fais du break, tu n’as besoin de rien »

Johann Kwang-Liu

Faute de moyens pour aller en école de danse, Johann s’achète un DVD de breakdance aussi appelé breaking ou encore b-boying, et apprend tout seul, dans le garage familial. « Le skate, le bodyboard… au final, ça coûte cher, car il faut acheter des planches. Quand tu fais du break, tu n’as besoin de rien, et puis plutôt que de trainer en ville les après-midis à ne rien faire, eh bien, je pouvais faire ça. Tu peux même en faire pieds nus. Le reste, c’est du bonus, que ce soit les vêtements, les baskets, la casquette… Tout ça, c’est du style. Mais ce n’est pas essentiel ». Il fait alors la rencontre d’Alain, qui lui aussi apprend tout seul, et danse en ville : « Il en avait fait quelques années en France avec son grand-frère. C’est comme ça qu’il avait appris. Ensuite, il est venu à Tahiti. Avec Alain, on a commencé à s’entraîner ensemble. Moi, en parallèle, je regardais le DVD ».

« Peace, love, unity, having fun »

Il a alors 16 ans, et se donne à fond dans la danse. « Le truc supplémentaire qui m’a fait accrocher au break, c’est la culture hip-hop. Il y a l’entraide, le partage. Ensuite, il y a la reconnaissance. Tu vois quelqu’un qui arrive, tu sais comment il a galéré parce que toi-même t’as galéré. Et il y a le respect. Parce que tu sais que tel danseur est à tel niveau, qu’il arrive à faire telle technique, qu’il a gagné tel concours. Tu le respectes. Quand tu fais des battles, il y a un genre de code, c’est un peu comme le code de la rue. Il y a des codes qu’il n’y a pas forcément ailleurs. C’est un peu comme un code d’honneur. Il y a le respect de l’adversaire. Il y a aussi ce côté fun, délirant. Les valeurs de la culture hip-hop, c’est Peace, love, unity, having fun. »

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Une « danse » qui a surtout permis à Johann de gagner en confiance : « Quand tu danses, les gens te regardent. Il y a une reconnaissance. Et moi, j’étais quelqu’un qui n’avait pas trop confiance en soi. Cela m’a aussi permis de m’imposer. Cela m’a montré que je pouvais être bon dans quelque chose, qu’avec rien, on pouvait réussir de grandes choses. Je me battais beaucoup à l’école, j’étais petit, chinois, maigre… Le break m’a permis de réaliser que je pouvais réussir des choses si je le voulais vraiment, si je m’en donnais les moyens. Et j’ai rencontré ma femme, qui m’a aidé aussi à évoluer. Je lui en suis reconnaissant ».

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Son baccalauréat en poche, le jeune homme qui se définit comme un « élève moyen » se cherche, il enchaine les petits boulots, rate son BTS Assistant direction, il étudie ensuite l’anglais à l’UPF et redouble sa première année de licence. Il décide de prendre 6 mois pour réfléchir à son avenir, et trouve une école de commerce international qui lui plait bien, basée en France : « Ma maman a pu faire un prêt pour m’aider à payer mes études ». Déterminé, le B-boy qui jusqu’à présent voyageait dans sa tête avec le break, s’envole cette fois pour de vrai. Une école à Montpellier lui permet de réaliser plusieurs stages, notamment en Russie, en Chine, en Nouvelle-Zélande ou encore aux États-Unis. En parallèle de ses études, Johann continue de danser et de multiplier les rencontres avec les danseurs du monde entier : « On ne parlait pas la même langue, on n’avait pas la même culture, mais on dansait la même danse ».

Johann se lance à fond dans les études. Il finit major de sa promo avec les félicitations du jury : « Moi qui étais moyen à l’école, qui faisais que de me battre et tout. Quand je repense à tout ça, je m’estime chanceux ».

« Je veux contribuer au développement de mon Pays »

Son master en affaires internationales en poche, le breakdancer revient directement au fenua : « J’avais des opportunités pour travailler aux États-Unis et en France, mais notre objectif avec ma femme, c’était de revenir à Tahiti, pour faire profiter aux autres ce qu’on avait appris ailleurs. Je voulais faire partie de ceux qui améliorent la vie du fenua. Je veux contribuer au développement de mon Pays ».

Mais quand il revient en 2009, l’âge de gloire du break au fenua n’est plus, tous les danseurs de la première génération sont entrés dans la vie active ou partis pour les études : « Il n’y avait plus personne qui en faisait. C’était limite l’extinction du break. J’avais monté des événements exprès en 2011, 2012, 2013 avec des amis, notamment les X-Boys. C’était ‘Yes We Dance’. On faisait une fois par an un événement gratuit sur la promotion de la culture hip-hop, notamment du break. « L’âge de gloire du breakdance en Polynésie, c’était 2003-2006, je dirais, poursuit-il, on était des milliers, car il y avait même des danseurs dans les îles. C’était un effet de mode » précise Johann. « Et puis il y a eu la Tecktonik et d’autres styles de danse. Du coup, ceux qui en avaient fait pour la mode, ils ont arrêté. Et ceux qui avaient vraiment voulu continuer, comme nous, ont continué. Mais on était plus que 2 ou 3 groupes, et on était partis à l’étranger faire des études ou on travaillait à côté. Avec le break, on ne gagnait pas d’argent. Il fallait à un moment passer à l’âge adulte. Quand je dis l’âge adulte, c’est travailler pour gagner de l’argent. Mais moi j’ai décidé de grandir et de garder le break, parce que ça m’avait tellement apporté que je ne voulais pas faire disparaître le break de la Polynésie ».

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Entre 2013 et 2019, le breaking est en pause chez les danseurs de Polynésie, « entre le boulot, la famille à fonder etc. ». Johann continue de danser, chez lui, tout seul : « Ce qui me permettait de rester motivé, c’était de regarder comment ça se passait à l’international. Je regardais à chaque fois des battles internationaux, des documentaires sur l’international. Je me suis dit que si j’arrêtais le break, ça allait disparaître au fenua. Et moi, je ne voulais pas que ça disparaisse, parce qu’on avait tellement galéré à apprendre de rien, et ça m’a apporté tellement de choses. Il fallait que je le transmette. C’était presque comme une obligation. Je ne voulais pas que ça s’arrête ». Durant cette période, Johann enseigne le breakdance dans quelques écoles de danse à Tahiti avant de se lancer à part : « Les jeunes payaient très cher pour danser dans ces écoles, et c’était à peu près une heure par semaine en période scolaire, ce n’était pas suffisant pour progresser. Je voyais qu’ils n’étaient pas plus passionnés que ça, c’était plus une activité extra-scolaire pour eux, et ce n’étaient pas des jeunes de quartiers ».

Celui qui a été plusieurs fois champion de Polynésie, crée alors Breaking Motion avec son ami de longue date Warren : « C’est notre compagnie avec laquelle on essaie de transmettre notre passion ». Ils sont une petite vingtaine à danser, tous niveaux confondus, le plus jeune de ses élèves a 7 ans. « Avec Breaking Motion, les gens font du breaking deux à quatre heures par semaine. Et les tarifs sont plus abordables qu’une école de danse classique ». Des cours qui ont lieu dans le garage de sa mère, où il s’entrainait déjà adolescent : « On a mis des miroirs, des tatamis, des trampolines, des ventilateurs… On a tout équipé. Parfois, on va aussi danser à Vaiete ou dans les rues, car il faut savoir d’où vient le break. Les gens ont appris dans la rue, dans le Bronx. C’était au bord de la route avec juste un bout de carton. C’est bien aussi de savoir qu’il y a eu une évolution. Aujourd’hui, on a de la chance de s’entrainer dans de bonnes conditions ».

Deux B-Boy des Outre-mer aux JO 2024

Les danseurs de Breaking Motion sont les seuls de Polynésie française à être spécialisés en breakdance : « En hip-hop, il y a plusieurs groupes par contre. Le break, c’est vraiment une danse à part. C’est la partie plutôt acrobatique. Et c’est cette deuxième catégorie de danse qui est aux Jeux Olympiques. Ce n’est pas toute la danse hip-hop qui est aux JO ». Une consécration pour Johann : « On est allé dans toutes les communes de Tahiti pour former les jeunes des quartiers qui étaient intéressés par le breakdance. On leur disait ce que c’était, on leur faisait une démo et on les formait. Ensuite, on prenait les meilleurs de chaque commune pour faire un groupe. On était 47 à faire un spectacle pour la journée olympique. On a aussi fait un tournoi et on a emmené les vainqueurs à Teahupo’o avec nous faire des spectacles, pour les JO ».
Du côté des hommes, les deux à représenter la France à Paris 2024 sont originaires des Outre-mer : B-boy Dany Dann de Guyanne (qui a gagné la médaille d’argent ce samedi, Ndlr) et B-boy Lagaet de Martinique. C’est d’ailleurs en Martinique que Johann s’est rendu en 2023 pour représenter le fenua lors d’un championnat : « J’ai rencontré les meilleurs de chaque territoire, c’était vraiment génial » se souvient-il. Et il a surtout rencontré le professeur de danse de son DVD acheté dans sa jeunesse et avec lequel il avait appris ses premières figures…

(Crédit photo : TNTV)

Johann, 37 ans aujourd’hui, est conseiller économique au Contrat de ville : « Notre objectif, c’est développer la vie dans les quartiers prioritaires ». Il est également formateur et consultant : « J’ai remarqué que c’est souvent la même catégorie de personnes qui bénéficient des subventions car c’est eux qui savaient faire les dossiers. Ils ont fait des études, ils ont les moyens. Les autres, je pense notamment aux gens des îles, aux Tuamotu, les pêcheurs… ceux qui veulent se lancer dans leur activité, ben eux, ils ne savent pas. Parce que c’est de la paperasse administrative, on va leur dire fais une étude de marché, c’est quoi tes prévisions financières, fais-moi un compte de résultat. Mais ils ne savent pas faire tout ça, et moi je veux les aider ».

La danse fait bien sûr toujours partie intégrante de sa vie via Breaking Motion : « Je me vois plutôt comme un coach. C’est un partage de passion, c’est du bonus, je ne peux pas en vivre ». Ses projets : « faire encore plus de spectacles, se produire au Grand Théâtre, dans les communes de Tahiti, et même dans les îles, faire des spectacles dans des salles de théâtre dans des salles Omnisport. Et qu’on donne toujours des cours, mais que ce soit des cours abordables pour ceux qui ont les moyens, et pour ceux qui n’ont pas les moyens, qu’on offre les cours, que ce soit du bénévolat ».
Car le breaking, c’est avant tout ça, du partage et de l’entraide, tout en s’amusant.

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