« Il n’y a que quatre ou cinq filles à l’aise à Teahupo’o quand c’est gros, et Vahine Fierro en fait partie », estime Raimana Van Bastolaer.
En 2023, à 23 ans, la jeune femme éclabousse de son talent l’épreuve annuelle du circuit pro sur la vague tahitienne. Dans des conditions engagées, elle vient à bout de l’Hawaiienne Carissa Moore, cinq fois championne du monde, avant de s’octroyer la troisième place.
Pour Jérémy Florès, entraîneur de l’équipe de France de surf, « beaucoup ont peur de se lancer alors qu’elle y va la tête en bas, il faut en avoir une ‘sacrée paire’ pour faire ça : elle a ce côté guerrier ».
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Et son lien avec la vague tahitienne n’est pas seulement sportif, mais remonte à ses racines. « Elle connaît les vieilles histoires de Teahupo’o, il y a un côté ‘énergie’ spirituel », assure-t-il.
– Enfance aux Raromatai –
Vahine Fierro naît quelques jours avant l’an 2000, à Raiatea, et grandit sur l’île voisine, Huahine. Quelques semaines après sa naissance, elle observe déjà son père sur les vagues, depuis le petit bateau familial.
Andrew Fierro est un surfeur américain aguerri. Il a d’ailleurs rencontré son épouse, Fanny, une institutrice de Huahine, lors d’un ‘surf trip’ en Polynésie.
La petite Vahine apprend très tôt à nager et veut prendre ses premières vagues dès l’âge de cinq ans, sur un bodyboard.
« Elle a carrément kiffé dès le début, elle avait son petit gilet, elle mettait sa main sur ma tête », se souvient son père, qui fabrique des dizaines de planches de surf pour ses filles : Vahine, puis ses petites sœurs Heimiti et Kohai.
Toute la famille surfe chaque jour après l’école. Et, dès l’âge de huit ans, sans ses parents qui n’ont pas les moyens de l’accompagner, Vahine part disputer une compétition en Nouvelle-Zélande. Puis décide à 15 ans de vivre en internat sur Tahiti, car le lycée de Papara propose une section surf.
« Grâce à elle et ses sœurs, cette filière a été mieux reconnue et le lycée a eu plus de subventions pour maintenir la section ! » s’amuse son père. Car les deux petites sœurs, elles aussi, sont promises à un bel avenir dans le surf. A 19 ans, Heimiti dispute le circuit junior européen, et la cadette Kohai a été vice-championne du monde U18 en 2023. « Quand j’étais petite, je me rappelle que Vahine avait peur des grosses vagues, j’avais moins peur qu’elle » se souvient Heimiti. « Maintenant ça s’est arrangé et c’est elle qui prend les plus grosses vagues à Teahupo’o » reconnaît-elle.
Vahine a déjà défié Teahupo’o dans des vagues de six mètres, tractée par un jet-ski (tow-in).
– Aux portes de l’élite –
À 18 ans, elle devient championne du monde junior. Son grand drame, c’est d’avoir échoué à plusieurs reprises aux portes du WCT, le tour mondial qui rassemble les 17 meilleures surfeuses de la planète.
« L’an dernier, elle l’a manqué de quatre places, les deux années précédentes, elle était à une place de passer », regrette son père. Une seule série mal négociée en compétition sonne le glas d’une année d’espoirs. « Le surf, c’est un ‘roller coaster’, il y a toujours des hauts et des bas », dit Andrew.
La surfeuse s’accroche alors à ses proches, mais aussi à son éducation chrétienne, selon sa mère : « la foi joue dans sa personnalité et on a basé notre éducation sur un principe : terminer les choses commencées ».
Elle peut aussi s’appuyer sur son compagnon Heimoana De Longeaux : « Je lui dis de ne pas baisser les bras, que la roue va tourner et cette année sera la bonne : elle va faire mal au WCT comme aux JO ! » assure celui qui l’accompagne dans toutes ses activités nautiques, du surf au foil en passant par le va’a.
Ses proches lui reconnaissent une seule faiblesse, son manque de confiance en elle. « Ce qu’elle pourrait corriger, c’est d’être plus agressive dans l’eau, d’être moins gentille avec les autres », analyse sa sœur Heimiti, qui juge toutefois qu’elle a progressé sur ce plan.
Et, dans les périodes de doute, la jeune femme se rassure avec une organisation sans faille. « Vahine est très prévoyante, posée, limite maniaque, très préparée », observe le coach olympique Hira Teriinatoofa, également tahitien. « Elle est très structurée, très organisée et ‘healthy’ : c’est une machine au niveau nutrition », ajoute Jérémy Florès, qui est aussi l’un de ses meilleurs amis.
L’autre atout de Vahine Fierro, c’est le soutien de Kauli Vaast. « Ils se connaissent très bien et voyagent souvent ensemble ; ils ont disputé la même compétition pour les JO au Salvador et ont été les deux premiers athlètes à se qualifier alors qu’ils n’étaient pas numéro 1, ni l’un ni l’autre, c’était énorme » se souvient son père, Gaël Vaast.
Les femmes polynésiennes veulent en finir avec le mythe de la vahine, cliché diffusé par les premiers colons. Mais si Vahine Fierro conquiert une médaille d’or sur la mythique vague tahitienne, elle fera de son prénom une légende, bien au-delà de Huahine.