Le 14 mai 2024, l’agglomération de Nouméa se réveillait en état de sidération au lendemain d’une nuit de violences et de pillages. Près de 9.000 personnes avaient participé aux exactions, estiment les autorités locales calédoniennes.
Cet épisode dramatique a coïncidé avec l’adoption par l’Assemblée nationale, le même jour, d’un projet de réforme constitutionnelle visant à ouvrir le corps électoral pour les élections provinciales, gelé depuis 2007.
Cette réforme, à laquelle les indépendantistes étaient farouchement opposés car l’ouverture aux nouveaux arrivants diluerait leur poids électoral, avait donné lieu à de très importantes mobilisations — loyalistes comme indépendantistes — dans les rues de Nouméa les semaines précédant le 13 mai.
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L’incapacité à ramener l’ordre a conduit l’Etat à instaurer l’état d’urgence dès le 14 mai — il était levé le 28 — et à envoyer des renforts: jusqu’à 6.000 membres des forces de l’ordre seront déployés dans le Pacifique sud.
Emmanuel Macron, lui, s’est envolé le 22 mai sur place pour tenter de relancer le dialogue. Sans succès bien qu’après cette visite, la cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), outil de mobilisation de l’Union calédonienne, principal parti indépendantiste calédonien, a amorcé une désescalade.
L’arrestation des principaux responsables de la CCAT, mi-juin, accusés d’être les commanditaires des exactions, a relancé un temps des violences.
Le contexte était toujours tendu quand l’Assemblée nationale a été dissoute. Le 7 juillet, à l’issue d’une campagne difficile, le loyaliste Nicolas Metzdorf emportait la première circonscription quand Emmanuel Tjibaou, candidat de l’UC, devenait le premier député calédonien indépendantiste en près de 40 ans.
Autre fait politique majeur: malgré un corps électoral totalement ouvert, les voix en faveur des indépendantistes, qui ont transformé la campagne en un scrutin pour ou contre l’indépendance, ont dépassé celles des loyalistes (83.123 contre 72.897).
Au bord de l’effondrement
Un retour à la normale s’est esquissé début septembre quand le FLNKS (Front de libération national kanak et socialiste) a décidé de lever la mobilisation pour permettre la reprise des négociations.
Lors de ce congrès, Christian Tein, leader de la CCAT incarcéré en métropole, a été désigné président du FLNKS, une décision-choc accentuant les divisions entre branches indépendantistes.
Certaines zones sont longtemps demeurées sous tension, notamment la tribu de Saint-Louis, près de Nouméa, où les autorités ont maintenu des restrictions de circulation pour contenir les nombreuses agressions et vols de voitures. La mort de deux jeunes lors d’affrontements, le 18 septembre, a semblé accélérer les négociations, permettant un retour progressif au calme.
L’apaisement a permis de commencer à traiter l’urgence économique et financière à laquelle fait face le « Caillou ». Selon le gouvernement local, les troubles ont causé plus de 2,2 milliards d’euros de dégâts. Les emplois perdus se comptent en milliers, les pertes fiscales des collectivités sont énormes et les services publics au bord de l’effondrement.
Pierre-Christophe Pantz, docteur en géopolitique basé à Nouméa, reste toutefois « pessimiste » quant à l’avenir institutionnel. « Tant que l’on ne trouvera pas de solutions à la situation financière, il sera difficile de reprendre les discussions« , estime-t-il à la veille de la mission des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, visant à faciliter la reprise du dialogue.
Amorcée dans le discours de politique générale de Michel Barnier le 1er octobre, cette mission marque aussi la rupture revendiquée par le nouveau gouvernement dans la gestion du dossier calédonien.
Mais les négociations demanderont « de l’humilité et du courage« , insiste M. Pantz. A l’heure où les positions se sont radicalisées, les responsables indépendantistes comme loyalistes, « devront faire accepter des compromis à leurs bases alors que l’observe une défiance de la population à leur égard« .
Pour Gérald Cortot, ancien directeur de cabinet du leader kanak Jean-Marie Tjibaou, la reprise des discussions implique avant tout de « restaurer la confiance » entre partenaires.
Un préalable qui nécessiterait de la part de l’État « d’écouter les gens, de faire preuve d’une grande honnêteté et de dire ce qui l’intéresse vraiment dans cette partie du monde« .