Gérée collégialement par plusieurs pays du Pacifique depuis sa création en 1968, elle a formé un grand nombre de présidents, Premiers ministres, avocats et enseignants. Mais aujourd’hui, ce modèle de coopération entre différentes nations connaît une profonde crise, et son avenir est incertain.
Accusé d’être corrompu, mal géré et victime d’ingérence politique, cet établissement qui accueille quelque 20 000 étudiants, se retrouve au coeur d’une lutte d’influence.
Les tensions ont atteint leur paroxysme en févier, quand le gouvernement fidjien a expulsé du pays le vice-chancelier canadien de l’université, Pal Ahluwalia, et son épouse Sandra Price.
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Ils sont accusés de « violations continues » de la loi fidjienne, le gouvernement interdisant aux étrangers de porter atteinte à « la paix, la défense, la sécurité publique, l’ordre public, la moralité publique ou à la bonne gouvernance des Fidji ». M. Ahluwalia est également accusé d’avoir fréquenté des parlementaires de l’opposition.
Ceux qui dénoncent cette sanction soutiennent que son seul crime a été de dénoncer la manière dont le gouvernement fidjien contrôle cette institution, devenue le symbole de la coopération dans la région.
L’UPS rassemble 12 nations de cette vaste région océanique de plus de 11 millions de kilomètres carrés, d’une superficie plus grande que celle de la Chine.
Mauvaise gestion
Au sortir de la période coloniale, ses fondateurs entendaient offrir aux étudiants du Pacifique un socle collectif d’apprentissage, afin de créer une identité commune.
« Il a alors été estimé – à juste titre – qu’aucune nation insulaire ne pourrait soutenir à elle seule une telle initiative », explique à l’AFP Brij Lal, un ancien étudiant.
Le principal campus et siège administratif sont situés sur une ancienne base de l’armée de l’air néo-zélandaise à Suva, la capitale fidjienne. Les autres campus sont repartis entre toutes les nations participantes. De nombreux cursus sont offerts aux étudiants (droit, économie, commerce, ingénierie, arts, sciences, océanographie…)
« Cela a très bien fonctionné durant les 40 ou 45 premières années », souligne M. Lal.
Mais aujourd’hui, les Fidji – le plus important contributeur financier de l’université – ne supportent plus le franc parler des dirigeants de cet établissement, sont particulièrement remontées contre le vice-chancelier.
Un an après sa prise de fonction en 2018, M. Ahluwalia a dénoncé dans un rapport une mauvaise gestion et une corruption généralisée sous le mandat de son prédécesseur, Rajesh Chandra, un proche du pouvoir fidjien.
« Le gouvernement fidjien a été autoritaire et s’est ingéré » dans les affaires de l’université, dénonce Vijay Naidu, professeur à l’UPS.
Pour lui, cette expulsion « sans précédent et irréfléchie » est un moyen de dissimuler « la mauvaise gestion sous la précédente administration ».
Le gouvernement fidjien a suspendu tout financement, et la situation est dans une impasse.
Bouleversements géo-politiques
« Les Fidji ne s’arrêteront pas tant qu’elles n’obtiendront pas ce qu’elles veulent », soutient M. Lal, pour qui tout dépend désormais des autres pays membres.
Jusqu’à présent, ils ne semblent pas vouloir obtempérer aux demandes des Fidji.
Les dirigeants du Vanuatu, de l’île de Nauru et des Samoa ont condamné l’expulsion de M. Ahluwalia, et ont proposé de l’accueillir pour exercer ses fonctions de vice-chancelier.
Sa femme et lui ont trouvé refuge sur l’île de Nauru, d’où il entend continuer à travailler, avec le soutien des dirigeants de l’université.
Une telle crise ne pouvait se produire à un pire moment, alors que les nations mélanésiennes, polynésiennes et micronésiennes se déchirent au sujet de la direction du Forum des îles du Pacifique.
Cinq nations micronésiennes ont menacé de quitter ce Forum si le prochain secrétaire général n’était pas issu de leurs rangs, portant ainsi un sérieux coup à l’unité diplomatique jusque-là affichée par cette région où les Etats-Unis et la Chine se disputent leur influence.
Et l’Australie et la Nouvelle-Zélande hésitent à sauver financièrement l’Université, ce qui pourrait rapprocher le gouvernement fidjien de Pékin et conduire à de nouveaux bouleversements géopolitiques.
« Si à terme aucune solution n’est trouvée, les Fidji peuvent dicter leurs conditions, ce qui « réduira son caractère régional », déplore M. Lal.