La thèse d’un « écocide » sur l’île de Pâques vacille

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Deux études récentes remettent en question la thèse selon laquelle la population de l'île de Pâques se serait effondrée au 17e siècle à la suite d'une surexploitation des ressources, souvent présentée comme un des premiers "écocides" de l'Histoire.

Publié le 11/09/2024 à 10:53 - Mise à jour le 11/09/2024 à 15:10

Deux études récentes remettent en question la thèse selon laquelle la population de l'île de Pâques se serait effondrée au 17e siècle à la suite d'une surexploitation des ressources, souvent présentée comme un des premiers "écocides" de l'Histoire.

L’île de Pâques, située dans le Pacifique à 3 700 km des côtes chiliennes, est célèbre dans le monde entier pour les statues monumentales sculptées par les Rapanui, les énigmatiques « Moaï ».

Une hypothèse répandue, basée notamment sur des données paléoenvironnementales, avance que les Rapanui auraient déforesté l’île, dont il est établi qu’elle était autrefois couverte de palmiers, pour maintenir une culture florissante et une population d’environ 15 000 individus à son apogée. 

La raréfaction des ressources aurait conduit à une période de famine et de guerre allant jusqu’au cannibalisme et se serait soldée par un effondrement démographique et culturel, mettant fin à la sculpture des statues au début du XVIIe siècle. 

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Au moment de leur arrivée en 1722, les Européens estimaient la population de l’île à seulement 3 000 individus.

Avec le récit de ce « suicide écologique », aussi qualifié d' »écocide », l’histoire des Rapanui « a été présentée comme un avertissement contre la surexploitation des ressources par l’humanité », rappellent les auteurs d’une étude publiée mercredi dans la revue Nature.

Cette équipe internationale de spécialistes en génétique des populations est partie à la recherche des traces de cet effondrement, grâce à HapNe-LD, un outil statistique avancé qui permet de reconstruire l’histoire démographique d’une population en se basant sur la structure génétique des individus actuels ou anciens.

Ils ont analysé le génome de 15 Rapanui ayant vécu entre 1670 et 1950 et n’ont trouvé aucune signature génétique d’un tel effondrement, comme une chute soudaine de la diversité génétique. 

« Notre analyse génétique montre une population en croissance stable du 13e siècle jusqu’au contact avec les Européens au 18e siècle. Cette stabilité est cruciale, car elle contredit directement l’idée d’un effondrement dramatique avant l’arrivée des Européens », explique dans un communiqué Bárbara Sousa da Mota, première autrice et chercheuse à la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne.

L’étude, réalisée en étroite liaison avec la communauté Rapanui, a également permis de mettre en évidence des contacts entre la population de l’île et les Amérindiens antérieurs à l’arrivée de Christophe Colomb sur le continent, un autre point controversé de l’histoire des peuples polynésiens.

Jardins de pierre

Ces résultats viennent corroborer ceux publiés en juin dernier dans Science Advances par une équipe ayant opté pour une approche très différente.

Le fait que ces deux études aboutissent à des conclusions similaires « montre l’importance d’aborder une même question scientifique à partir de différentes disciplines », souligne Sousa da Mota auprès de l’AFP. 

Ces scientifiques ont cartographié les « jardins de pierres » de l’île, une technique agricole consistant à mélanger des roches au sol pour l’enrichir en nutriment et préserver l’humidité.

En utilisant des images satellite en haute-résolution dans l’infrarouge à onde courte (SWIR) et en développant des modèles d’apprentissage automatique (« machine learning ») pour les analyser, ils ont pu réévaluer la place occupée par ces jardins de pierre.

Ces surfaces agricoles, qu’on pensait auparavant couvrir entre 4,3 et 21,1 km2, n’auraient en fait occupé que 0,76 km2 des 164 km2 de l’île de Pâques.

Des travaux existants permettent de calculer le rendement de ces terres, où étaient cultivées les patates douces essentielles à l’alimentation des Rapanui. Et d’en déduire la taille maximale de la population qu’elles permettaient de nourrir.

Ces nouvelles données suggèrent qu’elle n’aurait jamais pu dépasser 4 000 personnes, et non 17 000 comme envisagé à partir des estimations précédentes.

« Lorsque nous qualifions une culture entière d’exemple de mauvais choix, ou d’avertissement sur ce qu’il ne faut pas faire, nous devons être sûrs d’avoir raison, sinon nous alimentons des stéréotypes, qui ont eux-mêmes des conséquences profondes sur les populations », estime auprès de l’AFP Dylan Davis, chercheur en climat, biologie et paléoenvironnement à l’Université de Columbia et coauteur de l’étude.

« Dans ce cas, les Rapanui ont réussi à survivre dans l’un des endroits les plus isolés de la planète et l’ont fait de manière assez durable jusqu’au contact avec les Européens. Cela suggère que nous pouvons apprendre d’eux comment gérer des ressources limitées », souligne-t-il.

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