Vendredi en fin de soirée, l’arrivée de 1 000 renforts supplémentaires, en plus des 1 700 déjà déployés, a montré la détermination des autorités françaises à reprendre le contrôle de la situation.
Mais pour les habitants, les dégâts de plus en plus étendus compliquent le ravitaillement dans les commerces, ainsi que le fonctionnement des services publics, notamment de santé.
Le danger subsiste par ailleurs dans les quartiers où les émeutiers sont les plus nombreux et les mieux organisés.
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Dans l’un d’eux, la Vallée du Tir à Nouméa, un motard s’est tué vendredi en fin d’après-midi dans un accident de la route en heurtant une épave de voiture.
« Les premiers éléments de l’enquête (…) tendent à établir que le motocycliste, arrêté au feu rouge (…) a démarré par de fortes accélérations, puis est venu percuter un véhicule incendié se trouvant au milieu de la chaussée », a indiqué dans un communiqué le procureur de la République, Yves Dupas.
– Files d’attente –
Depuis lundi, les violences, les plus graves survenues en Nouvelle-Calédonie depuis la fin des années 1980, ont fait cinq morts, dont deux gendarmes et trois civils kanaks, et des centaines de blessés, selon les autorités.
Le Haut-commissaire de la République, Louis Le Franc, a concédé vendredi que trois quartiers défavorisés de la plus grande agglomération du territoire, Nouméa, en majorité peuplés de Kanak, restaient aux mains de « centaines d’émeutiers ».
« Des renforts vont arriver (…) pour contrôler les zones qui nous ont échappé ces jours derniers », expliquait-il à la presse.
Devant les rares magasins de Nouméa qui n’aient pas été ravagés par les flammes ou pillés, les files d’attente restaient très longues samedi.
Selon le président de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Nouvelle-Calédonie David Guyenne, les violences ont « anéanti » 80% à 90% de la chaîne de distribution commerciale (magasins, entrepôts, grossistes) de la ville.
Le Haut-commissaire a promis la mobilisation de l’État pour « organiser l’acheminement des produits de première nécessité », ainsi qu’un « pont aérien » entre l’Hexagone et son archipel, séparés de plus de 16 000 km.
De son côté, un responsable de l’hôpital de Nouméa, Thierry de Greslan, s’est alarmé de la dégradation de la situation sanitaire sur le Caillou. « Trois ou quatre personnes seraient décédées hier (jeudi) par manque d’accessibilité aux soins », en raison notamment de barrages érigés dans la ville, a-t-il avancé vendredi.
L’Établissement français du sang (EFS) a annoncé un acheminement de produits sanguins pour répondre à une situation « critique ».
Des forces sont déployées pour sécuriser les ports et l’aéroport du territoire, désormais placé sous le régime de l’état d’urgence décrété par le gouvernement mercredi soir, qui permet d’interdire déplacements et réunions ou de procéder à des assignations à résidence.
Le couvre-feu décrété dès mardi, entre 18H00 à 6H00 locales, reste en vigueur jusqu’à nouvel ordre.
Le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti a publié vendredi une circulaire demandant au parquet « la plus grande fermeté à l’encontre des auteurs des exactions ».
Il a aussi indiqué qu’il envisageait de transférer en métropole les « criminels » arrêtés « pour ne pas qu’il y ait de contaminations (…) des esprits les plus fragiles » et pour « assurer la sécurité au sein des établissements pénitentiaires ».
– Enquête sur les « commanditaires » –
Le parquet de Nouméa a ouvert une enquête notamment pour association de malfaiteurs visant « des commanditaires » des émeutes, dont « certains membres de la CCAT », la Cellule de coordination des actions de terrain, ce collectif indépendantiste dans le collimateur du gouvernement.
Le procureur de Nouméa a mis en cause « ceux qui ont tiré les ficelles, ceux qui ont instrumentalisé certains jeunes dans une spirale de radicalisation violente ».
Au total, depuis dimanche, 163 personnes ont été placées en garde à vue, dont 26 ont été déférées devant la justice, selon le parquet.
Dans toute la Nouvelle-Calédonie, le réseau social TikTok, utilisé par les émeutiers, est banni jusqu’à nouvel ordre.
La Ligue des droits de l’homme (LDH) et l’association La Quadrature du Net ont annoncé avoir demandé au Conseil d’État la suspension de ce blocage.
Le montant des dégâts est de quelque 200 millions d’euros (environ 24 milliards de Fcfp), selon des estimations locales remontant à jeudi. Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire réunira les assureurs « la semaine prochaine » afin de « garantir une indemnisation rapide et juste ».
La réforme constitutionnelle qui a mis le feu aux poudres a été adoptée par les députés, après les sénateurs, dans la nuit de mardi à mercredi.
Ce texte devra encore être voté par les parlementaires réunis en Congrès, sauf si un accord sur un texte global entre indépendantistes et loyalistes intervient avant.
Des discussions ont lieu à Paris sur l’avenir de cette réforme, menée sans suffisamment de concertation d’après de nombreux élus calédoniens.
Après l’annulation d’une visioconférence avec tous ces élus, qu’il souhaitait jeudi, Emmanuel Macron a commencé vendredi à échanger avec certains d’entre eux. L’Élysée s’est refusé à donner des détails sur le contenu de ces discussions.
La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, et le président du Sénat, Gérard Larcher, avec plusieurs parlementaires de tous bords politiques, ont demandé vendredi lors d’une réunion à Matignon une mission de dialogue. Mais l’idée de reporter la convocation du Congrès qui doit entériner la réforme ne fait pas consensus, selon plusieurs sources parlementaires.
La réforme élargit le corps électoral aux scrutins provinciaux, cruciaux sur l’archipel. Les partisans de l’indépendance estiment que cette modification va réduire leur poids électoral et marginaliser « encore plus le peuple autochtone kanak ».