Mélissa Marcinkowski Faaterehia, pour le rayonnement de l’art au fenua

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Cela fait un an que Mélissa Marcinkowski Faaterehia dirige la maison James Norman Hall, à Arue. Un challenge, mais surtout une fierté pour la Polynésienne qui a plein de projets en tête pour le musée et ambitionne de faire rayonner l'art au fenua.

Publié le 07/09/2024 à 14:17 - Mise à jour le 07/09/2024 à 14:22

Cela fait un an que Mélissa Marcinkowski Faaterehia dirige la maison James Norman Hall, à Arue. Un challenge, mais surtout une fierté pour la Polynésienne qui a plein de projets en tête pour le musée et ambitionne de faire rayonner l'art au fenua.

Née à Tahiti d’un papa franco-polonais et d’une maman polynésienne, Mélissa s’envole pour l’Hexagone à ses 5 ans. Malgré ses allers-retours fréquents au fenua où elle en profite pour revoir sa famille, à ses 15 ans, elle souhaite rentrer y vivre : « Je sentais comme un appel de ma terre. Quand tu es née quelque part, je pense qu’à un moment donné, ta terre te rappelle ».

De retour, elle finit par passer son baccalauréat au lycée de Papara. Passionnée d’histoire, elle se rêve archéologue ou encore égyptologue. « Je lisais beaucoup. J’étais plus avec les animaux, les livres et la nature, qu’avec les jeunes de mon âge. C’était mon petit univers, on va dire, dans lequel je me réfugiais. L’histoire me faisait voyager ».

Après une licence d’histoire à l’UPF, Mélissa enchaine les petits boulots et devient photographe de soirée. Un challenge pour celle qui était introvertie : « C’était une opportunité pour moi d’apprendre un nouveau métier, et surtout cela m’a permis de surmonter ma timidité ». Mais elle garde toujours en elle, son désir pour l’art et la culture : « Je ne me considère pas artiste. J’ai tant à apprendre. J’ai aucune base. J’ai juste ce plaisir de créer de mes mains. Quand je fais quelque chose de mes mains, j’ai cette joie-là ».

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Puis elle décide de partir en France et de se relancer dans des études, d’art cette fois : « Ici, malheureusement, il n’y avait pas de licence en histoire de l’art. J’ai trouvé une école en France qui enseignait tout ce que j’avais rêvé d’apprendre, et qui avait des antennes à Bordeaux, Paris, Dublin et New York ». Mais l’ICART, école de management culturel et artistique, est privée et a donc un certain coût : « J’étais boursière à la fac, donc j’ai tout fait pour pouvoir intégrer cette école. Sans rien dire à mes parents, j’ai préparé mon départ et mon intégration dans cette école. J’ai dû écrire au vice-recteur de l’époque, et après, j’ai eu un entretien avec lui. Il me demandait pourquoi je voulais reprendre mes études. J’ai dû le convaincre pour que je sois aidée et un peu financée pour mes études. (…) Car quand tu intègres une école privée, tu n’as plus droit aux aides du Pays et de l’État » déplore la jeune femme, qui a dû faire un prêt par la suite pour financer ses études.

Mélissa fait d’abord un an d’études à l’université de Bordeaux en histoire de l’art, afin de préparer le concours d’entrée de son école : « J’ai mesuré mes lacunes face à mes camarades. Ça met une sacrée claque. (…) On s’aperçoit qu’on a peu de culture artistique ici, dans une vision internationale ou globalisante du monde. On est dans le folklore, la danse traditionnelle… Au niveau éducation, on est peu ouvert sur le monde. Ça reste très Pacifique. Et encore… On ne sait pas ce qui se fait en Nouvelle-Zélande, à Hawaii ou autre. Artistiquement ou culturellement, c’est à toi, adolescent ou jeune diplômé, à aller t’informer. On est peu sensibilisés à l’art. Après, il n’y a pas beaucoup de musées, il n’y a pas beaucoup de galeries d’art ».

« Notre fenua a un grand potentiel artistique »

Mélissa Marcinkowski Faaterehia

Son concours d’entrée réussi, pendant 3 ans, Mélissa s’épanouit complètement : « Mes enseignants étaient des professionnels du marché de l’art, des professionnels de l’action culturelle qui venaient partager leur savoir-faire, leurs connaissances. C’était très motivant. J’avais des cours d’histoire de la musique classique, d’histoire de l’art, des arts décoratifs… C’était très varié et enrichissant. Ça a révolutionné mon esprit de savoir tout ce qui se fait. Cela m’a rappelé à quel point, finalement, notre fenua avait un grand potentiel artistique ».

Mélissa déplore l’absence de formations artistiques en Polynésie française : « On n’a pas d’école de Beaux Arts, on n’a pas de licence d’art plastique, on n’a rien sur l’histoire de l’art… Je salue le Centre des métiers d’art qui a le mérite d’exister, mais qui reste très technique. À l’époque, son directeur m’avait dit ‘comment tu vas aller chercher ton tronc de bois dans la vallée, comment tu vas te le traîner, ta pierre, tu vas te la porter comment… Peut-être que mon gabarit n’était pas très rassurant pour lui, je ne sais pas. Je me suis laissée doucement découragée pour tout ce qui est enseignement manuel et technique. Au final, je le remercie, car j’ai pu trouver mon école ».

Mélissa, dans le bureau de James Norman Hall (Crédit photo : Tahiti Nui Télévision)

En 2013, Mélissa obtient son diplôme de négociante en art et médiatrice culturelle. Elle décide de rentrer à Tahiti : « Au départ, je ne voulais pas rentrer en Polynésie. Je voulais voir ce qu’il se passait dans le monde. Je voulais intégrer les musées, les grandes maisons de vente ou des galeries. Mais je me suis pausée deux minutes et je me suis dit ‘Est-ce que mes compétences, j’ai envie de les mettre au profit des autres ou de mon pays ?’ C’était très fort, il fallait que je rentre ».

Car Mélissa ambitonne de faire connaître les artistes polynésiens au monde entier : « Depuis petite, cela me fascine de me dire que d’une pensée, un artiste peut créer des choses merveilleuses. Que ce soit une peinture, une sculpture, une pièce de théâtre, un morceau de musique. On est tous des créateurs en puissance, mais certains ont ce don, ce talent… Beaucoup ont besoin de ce pont que sont les professionnels de l’art et de la culture. C’est-à-dire qu’un artiste va peindre, mais il ne va pas forcément être doué pour se vendre ou se faire connaître ».

« Quand tu rentres avec ton diplôme en poche et plein de projets en tête, tu découvres qu’il n’y a pas de travail ».

Mélissa Marcinkowski Faaterehia

Arrivée au fenua, elle déchante cependant assez rapidement : « Quand tu rentres avec ton diplôme en poche et plein de projets en tête, tu découvres qu’il n’y a pas de travail. Tout le monde te dit la même chose : ‘tu as un profil très intéressant, mais on n’a pas de poste vacant' ».

Mélissa multiplie les petits boulots alimentaires : « C’est un peu décourageant de se dire, mince, mon avenir, à quoi il va ressembler ? Ta réalité, c’est toi qui la créée. C’est toi qui la pilote. Rester à attendre, c’est un risque. Ce n’est pas forcément la chose la plus judicieuse à faire. C’est à toi d’aller frapper aux portes ou à proposer des choses ».

Et c’est à la porte de l’UPF qu’elle décide de frapper : « Notre université est magnifique. Ça m’a toujours déprimé ces expositions dans la bibliothèque, alors que dans le bâtiment, il y a une hauteur de plafond phénoménale ». Elle propose au directeur d’organiser une exposition dans le hall du bâtiment A, le pôle administratif. Et il accepte : « C’était presque trop beau pour moi. Je devais investir tout le hall du bâtiment dans sa longueur pour y faire une exposition collective ». Elle motive une vingtaine d’artistes locaux. « Mon objectif, c’était d’amener l’art là où on ne l’attend pas, et d’interpeller. Ce que je voulais, c’était que les étudiants soient sensibilisés à l’art, à l’expression artistique. Et surtout qu’ils connaissent leurs artistes, les artistes locaux. » Un défi relevé haut-la-main : « Même si je n’ai rien gagné, j’ai gagné en expérience et j’ai pu nouer des contacts ».

De l’art à la communication aux côtés de Jacquie Graffe

Mélissa décroche ensuite un poste en tant que chargée de communication au Musée de Tahiti et des îles : « J’ai pu monter des expos. J’ai pu être en contact avec les artistes aussi. Ça m’a vraiment beaucoup plu ». Son contrat terminé, elle travaille pour des maisons d’édition locales : « J’avais toujours ce goût de la lecture et cette passion pour les livres » avant de décrocher un poste en 2017 en tant que chargée de communication à la mairie de Paea. « C’est vrai que ça ne me faisait pas rêver tant que ça… Mais je me suis dit, attends, copine, tu n’as pas de travail, tu n’as rien, tu ne veux surtout pas dépendre de qui que ce soit. On peut faire ses expériences partout. Et j’ai été prise. Je suis contente parce que je n’ai eu droit à aucun piston. J’ai été sélectionnée au mérite » se félicite-t-elle.

De chargée de communication, elle devient au fil des années cheffe du service de la promotion culturelle : « Je me suis retrouvée en charge des locaux artisanaux communaux, du pôle insertion professionnel et de recherche d’emploi de la commune et du secteur primaire. J’avais neuf agents sous moi. C’était la première fois que je me retrouvais cheffe de service avec autant de responsabilités. J’aimais bien. Ça m’a aussi appris à gérer du personnel, à gérer plusieurs pôles… J’ai beaucoup appris au contact du tavana Jacquie Graffe, humainement et professionnellement ». Parallèlement, Mélissa garde toujours un pied dans l’art en restant en contact avec des artistes.

Tenania, guide au musée, et Mélissa (Crédit photo : Tahiti Nui Télévision)

Mais au bout de 6 ans passés à la commune de Paea, son envie s’essouffle et ses envies d’ailleurs grandissent. En août 2023, on lui propose de prendre la direction de la Maison James Norman Hall, un site classé monument historique : « Qui ne prend pas de risque, perd sa chance. On me propose cette opportunité d’être à la direction de la maison. C’est un poste que je n’ai jamais occupé. J’ai encore beaucoup de choses à apprendre, mais pourquoi pas tenter cette expérience et relever ce challenge ».

Faire de la Maison James Norman Hall un pont entre tous les arts

Un challenge qu’elle relève depuis maintenant un an : « Je suis reconnaissante d’être ici. On est une petite équipe ce qui implique d’être polyvalente sur tout. Moi aussi, je passe le balai ! » admet-t-elle en souriant. Une petite équipe composée de 3 personnes : deux guides et Mélissa, la directrice : « Le défi, c’est de faire vivre la maison et la mémoire de Hall, avec les moyens du bord. On fait ce qu’on peut et comme on peut. Mais le tout dans l’idée de développer ces activités et… Et peut-être sa destination, de s’ouvrir encore plus et à un plus large public. Je suis persuadée que la pensée est créatrice et que quand tu visualises ou quand tu émets un un souhait, tout vient à toi« .

Le musée James Norman Hall, c’est plus de 8 000 visiteurs par an, en majorité des touristes :« On doit réfléchir à des choses pour faire venir tant les scolaires que les habitants de la commune et au-delà, même. C’est vrai que de proposer quelque chose pour la population locale, ça m’a de suite paru important ».

« Je pense que ce lieu unique et intime est propice à la création et à l’inspiration, qu’il peut provoquer l’inattendu et des rencontres là où on ne les attend pas.« 

Mélissa fourmille d’idées pour la maison du célèbre écrivain américain : « Je vois le potentiel de la maison et je me dis qu’on gagnerait à s’ouvrir au monde, on gagnerait à s’ouvrir à tous. Pourquoi pas être un lieu de rencontre entre les artistes pluridisciplinaires locaux et étrangers, créer la rencontre et le partage, tout en ayant le souci de conserver chaque objet, parce que chaque objet de cette maison est unique. Et tout en préservant la mémoire de ce personnage illustre qui était James Norman Hall. Imaginons faire rencontrer un auteur et un musicien et les faire créer ensemble. Ou un peintre avec un auteur. On ne soupçonne même pas quelle oeuvre peut sortir de cette collaboration. Je pense que ce lieu unique et intime est propice à la création et à l’inspiration, qu’il peut provoquer l’inattendu et des rencontres là où on ne les attend pas ».

En novembre, un artiste devrait d’ailleurs exposer au sein de la maison-musée historique : « Plusieurs autres artistes ont déjà accepté de faire des expositions, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de la maison. Même s’il y a beaucoup d’administratif dans mon poste, ma position me permet aussi de penser, de concevoir des événements, et de mettre en lien des personnes qui sont du milieu artistique, quelles qu’elles soient. Au final, un lieu touristique, et c’est comme une plateforme. Beaucoup de personnes du monde entier y viennent, avec leur horizon, leurs connaissances, leur background, et je me dis que c’est un formidable lieu de rencontre ».

Le rêve d’une association pour aider les jeunes du fenua à financer leurs études d’art et d’une Biennale en Polynésie

Le rêve ultime toujours carressé par Mélissa, 36 ans aujourd’hui, aider les artistes à vendre leurs œuvres et fonder une association pour aider les jeunes du fenua à financer leurs études d’art : « J’ai ce rêve de me dire que je pourrais peut-être aider ou contribuer à faire connaître certains artistes et à vendre leurs créations, ou même pourquoi pas, mettre en relation les collectionneurs entre eux. (…). Mon rêve serait de fonder une association avec des artistes et d’autres mécènes pour financer les études d’art, de tout prendre en charge du billet d’avion au logement, aux études. Une fondation qui permettrait aux jeunes de financer des projets d’exposition. Je rêverais de faire venir des fournitures et matériels en Beaux-Arts et de leur proposer des matériels de qualité mais à bas prix, parce que le moindre peinture ici, le moindre pinceau est exorbitant. Et pourquoi pas un jour avoir notre Biennale ici. C’est vrai que ça me fait rêver. La Nouvelle-Zélande a sa Biennale, l’Australie a sa Biennale, Hawaii a sa Biennale, la Polynésie n’a pas de Biennale. Si je peux aider à faire la prochaine Biennale qu’il y aura en Polynésie, je serai tellement fière ».

« Peut-être que tout ne se fait pas en un jour, mais jespère que je connecterai les bonnes personnes pour faire du beau travail. »

Et Mélissa ne perd pas de vue au quotidien son objectif depuis toujours, celui de faire rayonner l’art au fenua : « C’est vrai qu’on a un grand défi au niveau artistique et culturel ici pour rayonner internationalement. (…) Il y a beaucoup d’artistes qu’on ne soupçonne même pas, méconnus, et internationalement, ils font rayonner le Pacifique. Il ne tient qu’à nous à connecter les gens et à impulser des initiatives pour, au final, rayonner autrement. L’important, c’est juste de trouver les bonnes personnes et les bonnes circonstances. On dit qu’elles sont déjà là, et qu’on les attire à nous au moment où on a besoin d’elles. Peut-être que tout ne se fait pas en un jour, mais j’espère que je connecterai les bonnes personnes pour faire du beau travail ».

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