10 694 utilisateurs de Deblock en Polynésie, « on ne s’y attendait pas du tout », confie son PDG

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Le co-fondateur et PDG de Deblock, Jean Meyer, a accordé une longue interview à TNTV. Après le départ de Revolut, et alors que Wigl s’apprête à mettre un pied au fenua, elle est pour l'heure l’unique néo-banque à proposer, en plus d’un compte courant, un portefeuille dédié aux cryptomonnaies. Moins d’un an après sa création, elle revendique déjà plus de 10 000 utilisateurs en Polynésie. Un « succès » de l’aveu même du président du Comité local des banques, Frédéric Panigot, qui considère que ces nouvelles entités incitent les établissements traditionnels à « progresser ». Interview et éclairage.

Publié le 31/01/2025 à 10:17 - Mise à jour le 31/01/2025 à 10:26

Le co-fondateur et PDG de Deblock, Jean Meyer, a accordé une longue interview à TNTV. Après le départ de Revolut, et alors que Wigl s’apprête à mettre un pied au fenua, elle est pour l'heure l’unique néo-banque à proposer, en plus d’un compte courant, un portefeuille dédié aux cryptomonnaies. Moins d’un an après sa création, elle revendique déjà plus de 10 000 utilisateurs en Polynésie. Un « succès » de l’aveu même du président du Comité local des banques, Frédéric Panigot, qui considère que ces nouvelles entités incitent les établissements traditionnels à « progresser ». Interview et éclairage.

TNTV : Pouvez-vous nous expliquer la genèse de Deblock ?

Jean Meyer : « En toute honnêteté, je ne connaissais pas grand-chose au sujet. Je suis un entrepreneur qui a monté pas mal d’entreprises.  Ma dernière boîte a été rachetée par Revolut.  On l’a donc intégrée. On ne connaissait rien à la finance, à la banque. Et on était au début de la cryptomonnaie à l’époque. C ‘est un peu la même chose dans n’importe quelle grosse entreprise. On y rentre et on se rend compte qu’en fait, 10 ou 20 personnes font tourner toute la boîte. La première chose qu’on a envie de faire, surtout quand on est un entrepreneur dans l’âme, c’est de prendre ces 10-20 personnes avec soi pour monter un business peut-être plus efficace et qui répond à une autre problématique. C’est un petit peu ce qu’il s’est passé (…) J’ai rencontré des gens assez exceptionnels avec lesquels on a beaucoup discuté. A un moment donné, on s’est dit qu’il y avait peut-être un problème à résoudre côté crypto et banques. J’avais un peu de cryptomonnaies. J’ai essayé de les sortir sur un compte en banque. C’était quasiment mission impossible. J’avais des copains qui me disaient : ‘ ce que tu peux faire, c’est aller éventuellement en Suisse. Tu vas rencontrer un banquier privé qui va te faire signer 1000 documents. Et au bout de trois mois et demi, il voudra peut-être bien sortir tes 2 Bitcoins’. On s’est dit : ‘c’est nul. Ça ne marche pas. Ce qu’il faut faire c’est traiter la crypto comme une autre devise. C’est juste une autre technologie. Donc, on va faire la meilleure néo-banque possible et on va faire le meilleure portefeuille crypto possible et on va les mettre ensemble’. C’est un petit peu comme ça qu’est né Deblock ».

TNTV : Avant de pouvoir proposer vos services, vous avez dû obtenir les agréments nécessaires des régulateurs financiers…

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Jean Meyer : « On voulait un régulateur européen pour pouvoir nous étendre sur le réseau de l’Europe assez facilement. Il s’avère que le régulateur français était assez pertinent. Pas parce que personnellement, je suis Français, mais parce qu’en fait, c’est un régulateur qui est vraiment en avance sur tout le sujet des cryptomonnaies. Donc c’est l’AMF -l’Autorité des Marchés Financiers, Ndlr- (…) On s’est aussi dit que ça ferait sens de se lancer d’abord en France. En plus, c’est un régulateur qui est propre, contrairement à ceux des pays baltes comme la Lituanie ou l’Estonie ».

TNTV : Comment s’est déroulé votre déploiement en Polynésie ?

Jean Meyer : « On s’est rapprochés de l’IEOM, le régulateur polynésien. On a beaucoup parlé avec eux et le seul moyen de se lancer en Polynésie, c’était d’être régulé directement par le régulateur français. Quand Revolut s’est lancé en Polynésie, ils se sont un petit peu fait rattraper par la police qui leur a dit : ‘ attendez les gars, vous n’avez pas le droit’. Car ils sont régulés par la banque lituanienne (…) Si l’on veut pouvoir se lancer en Polynésie française, il faut être directement régulé par le régulateur français ».

TNTV : Combien d’utilisateurs comptez-vous en Polynésie aujourd’hui ?

Jean Meyer : « On a dépassé les 10 000. On en est à 10 694 exactement »

TNTV : Ce chiffre est conforme à vos attentes ?

Jean Meyer : « Ce n’est pas quelque chose sur lequel on s’est vraiment focalisé, pour être honnête. On ne s’y attendait pas du tout. On n’avait même jamais vraiment pensé à la Polynésie française. On a été contacté par Hellmouth Banner -l’organisateur du PICS, le Polynesian Islands Crypto Summit de Tahiti, NDRL-. Il nous a dit que ce serait bien de pousser un peu en Polynésie (…) On a dit : ‘Ok, il n’y a pas de problème’ ».

TNTV : Etes-vous satisfait du résultat ?

Jean Meyer : « Franchement, ça fait extrêmement plaisir. Je ne vais pas vous le cacher. Qu’il y ait des gens qui utilisent des cartes Deblock, chez vous, ça me rend vraiment heureux. On n’est pas une structure énorme. On est environ 70 personnes aujourd’hui. Les choses prennent un peu de temps. Mais on essaye d’investir. On a embauché à Tahiti deux agents au service clients en CDI. Ils sont Polynésiens et uniquement dédiés à la Polynésie (…) On est content de les avoir. Ils bossent bien. Et surtout, ils connaissent les codes et la culture polynésienne. Dès qu’on a des requêtes de Polynésiens, on les renvoie vers eux ».

TNTV : Les utilisateurs du fenua ont justement pu rencontrer quelques problèmes lors de transactions…

Jean Meyer : « Effectivement. On avait des problèmes sur des doubles transactions sur des cartes qui étaient spécifiques aux POS – Système de point de vente, Ndlr-, donc aux commerçants polynésiens. Il y avait un premier prélèvement, puis un deuxième qui était remboursé immédiatement. C’est une spécificité polynésienne. C’est pour cela qu’il nous faut des agents au service clients qui soient spécialisés là-dessus, qui comprennent le problème ».

TNTV : Quels sont vos objectifs pour la Polynésie à court, moyen et long termes ? 

Jean Meyer : « Un élément bloquant en Polynésie, c’est qu’on ne supporte pas encore le Franc Pacifique. Mais c’est quelque chose qui va changer (…) Il y a un vrai effet réseau entre les marchés. Si demain, plus de 50% de la population polynésienne utilise Deblock, on aura de plus en plus de transferts instantanés entre Polynésiens. Cela engendrerait une pénétration plus forte et une croissance plus forte. C’est quelque chose qu’on essaye de faire (…) Aujourd’hui, en Polynésie, ça marche plutôt bien. En France métropolitaine ça pousse aussi. Demain, on aimerait s’ouvrir à d’autres pays. Mais on va quand même se concentrer sur ceux sur lesquels on est, parce que c’est important et parce qu’on veut atteindre une pénétration importante ». 

TNTV : Comment réagissent les établissements traditionnels ? Rencontrez-vous parfois des difficultés ?

Jean Meyer : « Je n’ai pas vraiment de preuve, mais on a vu que certains établissements ont refusé de laisser leurs utilisateurs faire des virements vers Deblock. Ils ont dit : ‘non, vous ne pouvez pas. Cette banque n’est pas régulée. On refuse’. Dans ce cas-là, on passe un coup de fil au régulateur. On lui dit qu’il y a un problème parce que la banque en question refuse que ses clients fassent un virement chez Deblock. Et trois jours après, c’est réglé. C’est arrivé à Tahiti mais aussi en France métropolitaine ».

TNTV : Qu’est-ce qui explique selon vous cet attrait des Polynésiens pour vos services ?

 Jean Meyer : « Je pense que c’est en raison de l’offre limitée en Polynésie. Comme il est très compliqué pour n’importe quelle néo-banque de se lancer sur ce marché pour des raisons régulatoires, l’offre va être très limitée. Et quand il y a une offre très limitée, si l’on arrive avec un bon produit, qui correspond aux attentes d’une population qui est peut-être un peu plus jeune, qui a l’habitude d’envoyer des transferts en une seconde, à des frais zéro, forcément, il va y avoir une certaine adoption. Après, on est toujours en phase bêta. On travaille toujours le produit pour l’améliorer ».

TNTV : Le fait de proposer un portefeuille crypto adossé à un compte courant est aussi un facteur explicatif selon vous ?

Jean Meyer : « On pensait que c’était le cas, entre autres pour des raisons fiscales, parce que si je ne dis pas de bêtises, il n’y a pas de taxe sur les plus-values de la crypto en Polynésie française. Mais on ne l’a pas ressenti tant que ça jusqu’à présent. On voit des achats de crypto, mais ce n’est pas une activité qui est forcément plus importante qu’en France métropolitaine. Sur ces 10 000 utilisateurs, c’est le côté bancaire qui plaît et qui est utilisé, avant le côté crypto ».

TNTV : Vous ambitionniez d’atteindre les 200 000 utilisateurs tous marchés confondus fin 2024. Y êtes-vous ?

Jean Meyer : « On a dépassé les 200 000 utilisateurs, pas tous actifs, malheureusement, mais inscrits ».

TNTV : Allez-vous proposer des nouveautés prochainement ? Vous avez annoncé que le Franc Pacifique sera prochainement supporté par votre société, qu’en est-il du listing de nouvelles cryptomonnaies ?

Jean Meyer : « On va ouvrir beaucoup plus de cryptos dans les prochaines semaines. On va ajouter ce qu’on appelle une layer 2. Aujourd’hui, on opère en self-custody -l’auto-conservation des cryptomonnaies, Ndrl-, ce qui a beaucoup d’avantages, mais il y a des frais de transaction sur la blockchain à payer. Quand je vais envoyer des bitcoins à quelqu’un, je dois payer des frais de transaction sur la blockchain qui reviennent aux mineurs. Et c’est un peu cher sur ce qu’on appelle des blockchains de niveau 1, de layer 1 (…) Donc on va ajouter une blockchain de layer 2 qui a deux avantages. Le premier, c’est que c’est instantané et, le second, c’est que ça ne coûte rien (…) On va commencer par une petite centaine de cryptomonnaies et on va les ajouter 100 par 100. Derrière, on aimerait ajouter d’autres blockchains assez rapidement. On a listé Doge, on a listé BSC, la blockchain de Binance, le BNB, Avalanche etc. Donc, ça devrait grossir considérablement dans les prochains mois. Ce sont des exclusivités que je vous annonce ».

Une concurrence qui pousse les établissements traditionnels du fenua à « progresser »

L’arrivée sur le territoire de néo-banques comme la locale NiuPay (implantée au fenua depuis plusieurs années, mais qui ne propose pas de portefeuille en cryptoactifs) ou encore Deblock, et bientôt Wigl, n’inquiète pas outre mesure les établissements traditionnels polynésiens. Le président du Comité local des banques et directeur général de la Banque de Tahiti, Frédéric Panigot, estime même qu’elle les incite à se repenser.

« Pour l’instant, on ne les voit pas comme des concurrents. Ce n’est généralement pas la banque principale (…), mais la deuxième ou la troisième », souligne celui-ci. Car les nouvelles arrivantes sur le marché ne permettent pas de souscrire à des crédits à la consommation et encore moins à des crédits immobiliers. Et « en économie, c’est le crédit qui fait la richesse », dit-il.

« On observe pour l’instant qu’il y a un engouement (…) On ne va pas critiquer une offre qui a conduit 10 000 Polynésiens à ouvrir un compte. C’est un succès. Et il ne peut que nous engager à progresser, à essayer d’offrir au plus vite une alternative », poursuit Frédéric Panigot.

Pour celui-ci, il ne fait aucun doute que les établissements traditionnels proposeront eux-aussi prochainement des cryptoactifs à leurs clients : « Le groupe BPCE auquel appartient la Banque de Tahiti réfléchit à une stratégie de distribution de cryptomonnaies. Il y a également les ETF, ces instruments financiers qui suscitent un réel engouement (…) ça n’engage que moi, mais je pense qu’on ne pourra pas refuser à notre clientèle de pouvoir régler en bitcoin (…)  A terme, on ne pourra pas résister à cette tendance forte du consommateur. Et le consommateur, de toute manière, est souvent le grand gagnant ».

Reste qu’à ses yeux, ces néo-banques sont des établissements de type « low-cost » dont les modèles économiques, faits de services gratuits, apparaissent difficilement « durables ». « Viendra le moment où il faudra tarifer (…) Et là, on va changer de paradigme », prophétise-t-il.

Autre faiblesse, selon lui : la surface financière de ces nouvelles entités. « Elles n’ont pas les capitalisations, ni les fonds propres, ni la solidité, ni la robustesse des grands acteurs bancaires », ce qui peut faire courir un risque aux clients lors de crises systémiques.

« Il y a des banques qui ont quand même eu du mal à un moment donné en termes de liquidités. On a tous lu des articles sur des détenteurs de comptes qui avaient un mal fou à récupérer leurs fonds », constate Frédéric Panigot.

Il note que ces « start-up (…) ont levé des fonds importants » mais il n’est « pas certain » pour autant qu’elles « puissent offrir à leurs clients la garantie des dépôts » en cas de « faillite générale ou de grande difficulté du système ». 

« La garantie des dépôts, c’est 100 000 euros pour un couple -environ 12 millions de francs, ndlr. Et vous avez la même chose pour l’assurance-vie », conclut-il.

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