Tahiti Nui télévision : Tout d’abord, est-ce qu’on peut connaître le motif principal de votre venue en Polynésie ?
Benoît Cœuré, président de l’Autorité de la concurrence : « Je suis là pour apporter le soutien de l’autorité de la concurrence aux travaux de l’Autorité polynésienne et donc à l’occasion des 10 ans du droit de la concurrence en Polynésie et pour participer au colloque organisé par le président Tony Géros sur la Vie chère et notamment sur l’alimentaire. Et je suis aussi là pour apprendre, car l’autorité de la concurrence à Paris est compétente sur l’ensemble de l’Hexagone, mais également dans les départements et régions d’outre-mer, aux Antilles, à La Réunion et à Mayotte, où se posent des problématiques de vie chère, des problématiques insulaires, des problématiques de distance, de coût d’approvisionnement, d’étroitesse de l’économie, qui sont finalement comparables aux questions qui se posent à la Polynésie.
Et donc les réflexions en Polynésie m’intéressent dans le cadre de la réflexion plus générale sur la Vie chère dans les territoires ultramarins. »
TNTV : Il y a vraiment une volonté des pouvoirs publics polynésiens de faire baisser les prix en faisant jouer la concurrence. Est-ce que c’est ce que vous avez constaté ?
Benoît Cœuré : « Oui, c’est tout à fait ce que j’ai constaté dans mes contacts. J’ai eu l’occasion hier de rencontrer le président Brotherson, de rencontrer le président (de l’Assemblée de la Polynésie Française, NDLR) Géros, le ministre Warren Dexter et le ministre de l’Économie. Je les ai trouvés en soutien à l’autorité polynésienne de la concurrence, désireux d’aller plus loin, d’identifier les causes de la vie chère. Et ce sera l’objet du colloque que monsieur Géros organise. »
TNTV : Pourtant, Benoît Cœuré, malgré les avis rendus par l’APC, l’Autorité polynésienne de la concurrence, cela n’empêche pas en Polynésie les situations de monopole, je pense notamment au secteur de la grande distribution. Comment faire face à cette situation ? Comment rétablir une équité ?
Benoît Cœuré : « Alors, on apprendra beaucoup des discussions du colloque. Je ne vais pas préjuger des conclusions de ces discussions. C’est vrai que c’est une problématique qui se pose finalement de la même manière dans tous les territoires insulaires.
Quand on regarde les écarts de prix entre la Guadeloupe, la Martinique ou la Réunion et l’Hexagone, c’est de 30 à 40% d’écarts de prix, avec un facteur commun qui est la multiplication des marges, des chaînes de distribution qui sont très longues, de l’importation au consommateur final, avec un empilement de marges. Et donc les discussions lors du colloque vont permettre aussi d’identifier les pointes sur lesquelles l’action va permettre de réduire ces marges. Transparence, réduction des chaînes de valeur, peut-être des mesures d’ordre réglementaire. Et je crois que là, on a vraiment beaucoup à apprendre ensemble. »
– PUBLICITE –
TNTV : Et est-ce que l’APC, dont tout cela, peut faire la différence ? Elle est installée seulement au Fenua depuis 10 ans. Est-ce que 10 ans, ça suffit pour faire la différence ? Benoît Cœuré : « Alors d’abord, l’APC a avancé de manière très concrète dans certains secteurs. Je pense aux télécoms, aux transports aériens, aux pompes funèbres. Il y a des secteurs où les avis et les décisions de l’APC ont vraiment fait la différence pour le consommateur polynésien. Et puis, il faut du temps. Il faut du temps pour bâtir un écosystème, une culture économique qui fait place à la concurrence, tout en protégeant le consommateur, en évitant les abus. Ça prend du temps. Je trouve que l’APC a déjà fait ses preuves. Il lui faut donner le temps et les moyens d’aller plus avant. »
TNTV : Justement, j’allais y venir. L’APC traverse de grandes difficultés, notamment sur le plan humain et financier. Vous l’avez dit, vous avez rencontré le président du pays et le ministre de l’Économie. Est-ce que ce sujet a été évoqué ?
Benoît Cœuré : « Il a été évoqué en toute transparence. Et j’ai pu apporter mon soutien à la présidente de l’autorité, Joanne Peyre, en expliquant que pour mettre en œuvre le droit de la concurrence et notamment pour mener les enquêtes qui vont permettre de sanctionner des comportements anticoncurrentiels, il faut des moyens. Je les ai trouvés à l’écoute. Ce n’est pas à moi de préjuger de ce qu’ils vont décider. Mais ils sont à l’écoute et ils ont compris que l’autorité de la concurrence a besoin de moyens pour se développer.«
TNTV : Vous avez évoqué tout à l’heure les secteurs où vraiment, il y a une ouverture à la concurrence, grâce aux avis rendus par l’ APC. On parle des télécoms, de l’aviation où les prix sont vraiment très attractifs. Il reste cependant des domaines où il y a encore du travail. Je pense au secteur bancaire, à l’énergie, ici en Polynésie. Quelles seraient les solutions selon vous ?
Benoît Cœuré : « Je mettrais le secteur bancaire un peu à part parce que le dispositif institutionnel est différent. C’est une discussion qu’il faudrait avoir aussi avec l’IEOM, l’autorité de contrôle prudentiel. Ce ne sont pas les mêmes acteurs. Dans le cas du secteur de l’énergie, il faut une concurrence saine dans le secteur de l’énergie. Si je peux faire une proposition personnelle, je pense que pour assurer cette concurrence saine, il faut un régulateur fort.
C’est l’expérience qu’on a en métropole avec la commission de régulation de l’énergie. Il faut une autorité indépendante qui régule le secteur de l’énergie, qui pourrait être l’APC ou un régulateur sectoriel, ce qui est le modèle qu’on a dans l’Hexagone. Mais il faut vraiment une autorité qui incarne cette volonté d’assurer l’équité et le respect du consommateur dans le secteur de l’énergie. »
TNTV : Le Pays joue-t-il bien son rôle de régulateur ?
Benoît Cœuré : « Ce n’est pas à moi d’en juger. Mais les entretiens que j’ai eus avec le président du Pays, avec le président de l’Assemblée et avec le ministre Dexter m’ont convaincu qu’ils sont très mobilisés sur ces sujets. »
TNTV : La vie chère, on l’a dit, fera l’objet d’un colloque demain (mercredi, NDLR) à l’Assemblée de la Polynésie. Vous y serez présent. Comment est-ce qu’un tel événement, un tel rendez-vous peut contribuer à faire avancer la situation ?
Benoît Cœuré : « En dégageant un diagnostic commun sur les sources, notamment des marges et je pense en particulier à la grande distribution et au sein de la grande distribution en particulier aux produits alimentaires qui seront vraiment le cœur de la discussion de demain. Et ça peut permettre également d’apprendre les uns des autres.
L’Autorité de la concurrence de Nouvelle-Calédonie sera présente. Ils ont aussi une expérience importante à partager. Et comme je le disais, nous, autorité de la concurrence nationale, nous avons une expérience dans les départements et les régions d’outre-mer. Je vais la partager, mais je souhaite également apprendre des initiatives qui sont prises ici en Polynésie. »
Le colloque sur la Vie chère est diffusé en direct ici