Florent Venayre : « Si la loi fiscale devait être cassée par le Conseil d’État, ce serait dramatique »

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Professeur à l'Université de la Polynésie, Florent Venayre était l’invité du journal de TNTV, ce samedi soir. Inflation, défiscalisation, encadrement des prix, il a livré son analyse de l’économie polynésienne. Il s’est notamment dit inquiet d’une potentielle annulation de la seconde mouture de la loi fiscale qui serait « dramatique ». Interview.

Publié le 21/04/2024 à 12:18 - Mise à jour le 22/04/2024 à 9:50

Professeur à l'Université de la Polynésie, Florent Venayre était l’invité du journal de TNTV, ce samedi soir. Inflation, défiscalisation, encadrement des prix, il a livré son analyse de l’économie polynésienne. Il s’est notamment dit inquiet d’une potentielle annulation de la seconde mouture de la loi fiscale qui serait « dramatique ». Interview.

TNTV : Face à l’inflation, les gouvernements ont deux attitudes. Quand elle augmente, ce n’est pas leur faute, car c’est de l’inflation importée, mais quand elle diminue, là, c’est grâce à eux. Qu’en est-il ?

Florent Venayre : « Dans les deux cas, ce n’est pas vraiment leur faute. Les choses dépassent très largement les possibilités des gouvernements. En période d’inflation, le rôle du gouvernement, c’est essentiellement d’accompagner les personnes les plus touchées par l’inflation pour éviter que leurs désagréments soient trop importants. Mais très concrètement, lutter contre l’inflation échappe largement aux gouvernements ».

TNTV : La suppression de la TVA sociale a-t-elle eu un effet, comme l’a affirmé le président Brotherson ?

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Florent Venayre : « C’est un effet extrêmement marginal. L’inflation avait commencé à se réduire dès janvier 2023. Le maximum de l’inflation était en 2022. On était à 8,5 %. Dès janvier, ça a commencé à s’éroder. Et ça va très vite en fait. Dès juin, on est passé à moins de 4 %, à 3,5 % calculé sur l’année glissante, et dès juillet, on est à 2,5 %. Donc, quand on supprime la TVA sociale en octobre, la baisse de prix est déjà enclenchée. La suppression de la TVA sociale n’y est pour rien en fait ».

TNTV : Les prix de l’alimentation ont flambé ces dernières années. Vous considérez que l’encadrement des prix comme pour les PPN et les PGC n’est pas la bonne solution. Le Pays est-il impuissant face aux variations des tarifs ?

Florent Venayre : « Ces variations des prix sur l’alimentation, on a eu les mêmes en métropole alors qu’il n’y a pas de PPN et de PGC. C’est ce qu’on disait tout à l’heure. Cela échappe largement au gouvernement. Ce sont des mécanismes globaux. L’encadrement des prix peut fonctionner sur des délais très restreints et pour des motifs particuliers. A chaque fois, cela doit être quelque chose de limité dans le temps. Nous, on encadre les prix avec le système des PPN et des PGC depuis des décennies. On voit bien que cela ne fonctionne pas puisque nous avons des prix extrêmement élevés. Donc, ce n’est pas une solution de long terme. Et c’est une solution qui vise à faire une espèce de redistribution sociale indirecte, mais qui touche tout le monde, y compris les ménages aisés. Tous les ménages aisés bénéficient des PPN sur des produits qu’ils pourraient acheter aux prix normaux ».

TNTV : Ces derniers mois, les taux d’intérêts ont également fortement augmenté, notamment dans l’immobilier. Les taux pratiqués par les banques ont quel impact sur l’inflation ou la déflation ?

Florent Venayre : « Les taux d’intérêts, c’est quelque chose qu’on utilise pour calmer l’inflation. Quand on est en période d’inflation, on augmente les taux d’intérêts, ce qui fait que ça rend l’accès au crédit plus difficile et cela diminue la demande des gens. En diminuant la demande des gens, pour une offre identique, on fait baisser les prix. Ceux qui décident de la hausse des taux d’intérêts, ce sont les banques centrales qui sont indépendantes des gouvernements. C’est pour cela que le gouvernement est très largement impuissant à lutter contre l’inflation puisque la meilleure lutte contre celle-ci ce sont les taux d’intérêts qui sont maîtrisés par les banques centrales et pas par les gouvernements ».

TNTV : Comment expliquer que les prix sont plus élevés au fenua qu’en métropole alors que le salaire minimum est plus bas ? C’est une double peine ?

Florent Venayre : « Ce sont deux éléments qui sont effectivement décorrélés. Effectivement, les prix sont plus chers en Polynésie et ce sera toujours le cas, car c’est un petit pays, isolé, donc il y aura toujours des coûts supplémentaires (…) On est à 30,8 % de plus par rapport à l’Hexagone. Après, il se trouve que le salaire minimum, c’est une décision politique. Donc, on prend les décisions politiques que l’on veut dans le Pays. L’Hexagone n’a pas pris les mêmes que la Polynésie. On est moins payé en Polynésie quand on est au salaire minimum, de moins 12,5 %, avec des prix plus chers de 30,8 %. Et on travaille un peu plus, 4 heures de plus par semaine, soit 11,5 % de plus. Quand on cumule tout ça, cela fait que le Polynésien, qui est au salaire minimum, a un pouvoir d’achat 40 % inférieur au métropolitain qui est au salaire minimum ».

TNTV : Il était question de pratiquer une vérité des prix concernant les carburants. Mais le Pays n’a jamais supprimé le Fonds de régulation du prix des hydrocarbures. Les prix à la pompe ne correspondent pas à ceux des cours mondiaux. Ce système présente-t-il un risque ?

Florent Venayre : « Le principe du FRPH, c’est d’amortir les cours. Donc quand les cours augmentent, on fait moins augmenter le prix que nécessaire en prenant dans les réserves du FRPH et, ensuite, quand le cours baisse, on baisse moins pour reremplir les réserves. Il y a un certain nombre de Polynésiens qui sont très en difficulté. Donc si le prix du carburant variait énormément à la pompe d’un mois sur l’autre, cela pourrait les mettre très en difficulté pour le quotidien. C’est un choix qui a été fait par les gouvernements successifs. Le problème, c’est qu’on en fait souvent un outil politique plus qu’un outil d’amortisseur social. On sait qu’il y a des tensions sur le marché pétrolier au niveau international. Et avec les tensions du côté d’Israël et de l’Iran, cela ne va pas s’arranger. Donc, oui, il faudrait augmenter vraisemblablement le prix à la pompe.  Je pense qu’on est en train de prendre très largement dans les réserves mais il n’y a pas d’argent gratuit, donc ça va se payer. C’est de l’impôt des Polynésiens à un moment ou à un autre ».

TNTV : La loi fiscale a été annulée puis de nouveau adoptée. Elle pourrait être encore attaquée. Ces péripéties ne sont-elles pas de nature à détruire la confiance des ménages et des acteurs économiques ?

Florent Venayre : « C’est sûr que c’est très mal vécu, notamment par le patronat. On l’a vu, ça a été très compliqué au niveau de l’élection du président du MEDEF. De fait, si les patrons sont inquiets, cela crée effectivement un problème de confiance. Et l’affaire n’est pas réglée. Quand on interroge les juristes spécialisés sur ces questions, ils ne sont pas d’accord. Certains considèrent que la loi est véritablement en danger, qu’elle va être cassée par le Conseil d’Etat. D’autres affirment qu’elle ne le sera pas. On verra bien. Mais si elle devait être cassée par le Conseil d’Etat ce serait franchement dramatique. Ce sera vraisemblablement en août et on aura un problème de 8 mois de fiscalité. Cela va être un gros problème ».

TNTV : De retour de Singapour, Moetai Brotherson a indiqué que de grands groupes souhaitaient investir au fenua et sans défiscalisation. Est-ce possible selon vous de développer le tourisme et l’hôtellerie sans ce levier ?

Florent Venayre : « Il faut rappeler que c’est la première ressource du Pays, très loin devant les autres. Donc, on a absolument besoin du tourisme. Construire un hôtel en Polynésie, cela coûte extrêmement cher. Bien plus cher que quand on les construit ailleurs dans des destinations concurrentes. On a effectivement baissé la défiscalisation des hôtels avec la loi fiscale. Le résultat, c’est qu’un certain nombre de projets qui devaient voir le jour n’ont plus vu le jour. Certains projets ont été purement et simplement arrêtés. D’autres ont été redimensionnés pour investir moins. Donc, pour l’instant, cela a surtout amoindri l’investissement local. À court terme, cela fait des emplois en moins. Et à plus long terme, c’est la difficulté d’offrir des chambres aux touristes. Il faut reconnaitre que c’est peu cohérent avec un objectif de 600 000 touristes annuels. Si on veut maintenir le flux actuel, de 260 000 touristes, et tenter de l’augmenter, il faudra des chambres supplémentaires. Et sans défiscalisation, ce sera très compliqué, à mon avis ».

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