TNTV : Le prêt à taux zéro est très attendu des ménages polynésiens. Ce dispositif existe déjà en Nouvelle-Calédonie. Quel impact pourrait-il avoir au fenua sur le marché du crédit ?
Ivan Odonnat : « J’ai écouté attentivement le reportage dans lequel un ensemble de professionnels s’y sont exprimés et je crois qu’ils disent assez bien les choses. L’intérêt du prêt à taux zéro, pour l’emprunteur, c’est précisément qu’il n’a pas à faire face à un coût de remboursement du crédit. Or, si vous écoutez bien ce que vous disent les intervenants du reportage, le problème n’est pas nécessairement celui-là. Le problème est ailleurs, c’est le coût du foncier. Cela peut être aussi la longueur des procédures d’obtention de permis de construire. Donc la question du prêt à taux zéro, c’est que c’est certainement un soutien pour des ménages qui peuvent avoir des revenus modestes, en ce sens que ce sera une charge en moins. Mais ce n’est pas nécessairement la solution magique pour résoudre le problème de l’accès au logement ».
TNTV : Ça ne va pas nécessairement relancer le marché ?
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Ivan Odonnat : « C’est difficile à dire. Je pense qu’il faut considérer que c’est une bonne mesure, parce que ça va venir soutenir des ménages qui peuvent avoir des revenus modestes. C’est l’intérêt. Ensuite, pour que cela fonctionne, il y a un ensemble de conditions à respecter. Il y a l’enjeu du calibrage de la mesure. Ça va faire l’objet d’une discussion très étroite, très sérieuse avec les banquiers qui vont distribuer le crédit ».
TNTV : Il s’agit des précautions à prendre pour garantir l’efficacité du dispositif…
Ivan Odonnat : « Garantir l’efficacité du dispositif, garantir l’engagement du banquier auprès de son client pour l’accompagner. Il y a aussi la question de qui vont être les bénéficiaires, pour quel montant, pour quelle durée. Tous ces paramètres ont leur importance, bien sûr ».
TNTV : L’IEOM a récemment baissé ses taux directeurs de 25 points. Il y a eu plusieurs baisses successives, d’ailleurs. Cela signifie que les taux d’intérêt aux particuliers baissent systématiquement ?
Ivan Odonnat : « Si l’on prend un peu de recul, depuis le début de l’année 2024, nous avons enclenché un mouvement de baisse de nos taux d’intérêt directeurs, à ce stade, pour un total de 125 points de base. Je pense que c’est un mouvement qui va se poursuivre. Ensuite, votre question a trait à la façon dont ces baisses de taux d’intérêt qui conditionnent le crédit que nous, IEOM, allons faire aux banques, va être répercutée dans les conditions de crédit que les banques elles-mêmes vont faire aux particuliers ou aux entreprises. Quand on observe l’évolution du coût du crédit ou des crédits accordés par les banques aux entreprises, il y a bien un mouvement de baisse qui démarre l’année dernière, dans une proportion qui varie selon le type de crédit. Sur l’immobilier, par exemple, en début d’année dernière, on était autour de 3,70, 3,74 % en crédit, en moyenne, pour un crédit à 15 ans. Et le dernier état, en fin d’année, c’est 3,54 %, toujours en moyenne. Il y a une petite baisse. Ça n’est pas à la hauteur des 125 points de base que j’ai mentionnés. Pourquoi ? Parce que dans cette affaire, pour facturer le crédit, d’abord, on va tenir compte de plusieurs éléments : la qualité de crédit de l’emprunteur, ensuite, les coûts que la gestion du crédit va entraîner pour la banque. Tous ces facteurs sont pris en compte et font que la transmission n’est pas de 1 pour 1. Mais ce qui compte, c’est la dynamique. Et cette dynamique va se poursuivre parce que nous allons vraisemblablement poursuivre aussi notre mouvement de baisse des taux d’intérêts directeurs ».
TNTV : En Polynésie, il y a eu un petit rebond de l’inflation en janvier. Pour autant, la tendance est plutôt à la baisse. Est-ce que, selon vous, cette tendance va perdurer ?
Ivan Odonnat : « C’est très relatif. Ce qu’on appelle le glissement annuel, c’est-à-dire l’évolution des prix entre janvier de cette année et janvier d’année dernière, c’est 1,6 %. Le mois précédent, décembre 2024 sur décembre 2023, c’était 1,4 %. On parle d’une petite hausse de 0,2 %. 1,5 %, ça reste inférieur aux 2 % qui sont, par exemple, la référence de la Banque centrale européenne. Nous, à l’IEOM, nous n’avons pas de cible d’inflation. Mais quand vous êtes à 1,6 % d’inflation, vous pouvez considérer que vous êtes dans une situation d’inflation basse, voire très basse. Si on prend un peu de recul, en réalité, depuis plusieurs mois, on oscille entre 1 et 2 %. Donc ça veut dire qu’on est sur une inflation qui est maîtrisée ».
TNTV : La guerre économique et commerciale engagée par Donald Trump peut-elle bouleverser vos projections ?
Ivan Odonnat : « Je comprends qu’ici, et d’une façon générale dans le monde, il y a beaucoup d’attention à ce qui se passe aux États-Unis. Les États-Unis ont l’air de vouloir s’engager dans une guerre commerciale. Quand vous annoncez des offres de tarifs douaniers, vous devez vous attendre à des mesures de représailles et donc de nature à perturber non seulement les flux de commerce internationaux, mais aussi l’évolution des marchés d’échange. Donc la question, c’est que va faire le dollar ? Je ne suis pas à même de faire des prédictions sur le dollar, mais aujourd’hui, vous avez un dollar qui est relativement haut. S’il venait à se déprécier, effectivement, ça pénaliserait une économie comme celle de la Polynésie française, parce que ça rendrait plus cher, par exemple, les visites ou les séjours ici pour les touristes américains ».
TNTV : Êtes-vous vigilant ?
Ivan Odonnat : « Nous sommes vigilants, mais il faut être modeste par rapport à ça. Il n’y a pas grand-chose que nous puissions faire. Il faut bien analyser. Je crois qu’il y a un dialogue international qui doit se tenir. Ma conviction, c’est que, en réalité, derrière les annonces, les autorités américaines savent qu’elles ne sont pas non plus à l’abri des conséquences des perturbations qu’elles pourraient entraîner. Ça, ça me paraît important aussi ».
TNTV : Localement, à partir du 17 mars, le délai de rejet des chèques passe de quatre à six jours ouvrés. Quel est l’impact attendu ?
Ivan Odonnat : « Du point de vue du particulier qui serait en difficulté, c’est plutôt une bonne mesure, parce que ça lui laisse plus de temps pour s’organiser, afin de procéder à la fourniture de la provision qui est attendue. Dans un contexte où on voit qu’un certain nombre de ménages peuvent être en difficulté financière. Donc c’est plutôt une bonne mesure ».
TNTV : Concernant le surendettement, 239 dossiers ont été déposés en 2023 en Polynésie. Quelles sont les principales difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de la procédure ?
Ivan Odonnat : « C’est un sujet important (…) Le nombre de dossiers que vous avez donnés, rapporté à la population polynésienne, c’est moins de 100 dossiers pour 100 000 habitants. Dans l’Hexagone, on en est à 254 dossiers pour 100 000 habitants. Ailleurs, dans l’Outre-mer, c’est environ 200. Donc ça veut dire que sur la base des dossiers qu’on a reçus, le taux de surendettement, si je puis m’exprimer ainsi, rapporté au nombre d’habitants pour 100 000 habitants est plus faible ici qu’ailleurs. Est-ce qu’il faut s’en contenter ? Est-ce qu’il faut s’en réjouir ? Ça peut vouloir dire qu’ici, face à des situations de difficultés, vous avez une solidarité familiale assez forte qui joue qui permet aux gens quand même de s’en sortir, en tout cas de passer les coups durs. Ça peut vouloir dire aussi qu’il y a une méconnaissance, et c’est le sens de votre question, je crois, des procédures qui existent pour accéder aux dispositifs de soins d’endettement. C’est ce que nous prenons très au sérieux. Nous tâchons de former du mieux possible les particuliers de leurs droits, de la possibilité qui leur est donnée lorsqu’ils sont en difficulté d’accéder à cette procédure. Cependant, c’est une procédure qui est soumise à un certain nombre de critères. Par exemple, la procédure de surendettement ne traite que les dettes personnelles. Si vous êtes un particulier, que la dette dont vous souffrez est liée à une activité professionnelle, votre dossier ne pourra pas être présent dans l’état actuel de la réglementation ».