« À mon sens, un cycle s’achève pour ATN. Il y a une nécessité de réinventer la compagnie. C’est ce que nous allons faire » . Invité du journal de TNTV quelques heures après le conseil d’administration d’Air Tahiti Nui, mardi 2 avril, Moetai Brotherson ne cachait pas que la compagnie au tiare allait faire l’objet de vastes chantiers. Des changements que la clôture des comptes de 2023 (déficitaires de 3,2 milliards de francs selon Radio 1 et Tahiti infos, NDLR) et que le dernier rapport de la CTC tiennent pour inéluctables.
Les magistrats financiers s’inquiètent du « contexte général sous tension » dans lequel évolue ATN depuis 2018, année où les cartes de la concurrence ont commencé à être rebattues, en particulier sur les deux routes desservies historiquement par la compagnie locale. « Les résultats obtenus par ATN sur le tronçon Tahiti-États-Unis ont attiré l’attention de compagnies cherchant des opportunités de développement » commente la CTC. Des compagnies, à l’instar de French Bee, United, Air France-KLM ou Delta, capables de répartir les coûts de production et donc d’absorber des coefficients de remplissage moins avantageux. « Il semble que les autorisations administratives aient été délivrées par le Pays à ces nouveaux entrants sans qu’au préalable une estimation d’impact sur le marché aérien et une évaluation des effets sur la bonne marche de d’ATN soient conduites ».
Une compagnie « concurrencée sur 80 % de son réseau »
L’impact pourtant est sans appel selon la CTC. En effet, l’arrivée de nouvelles compagnies attirées par le succès de la desserte Tahiti à partir de 2018 marque le début des ennuis pour ATN. Dès la fin de cette année, l’offre de siège a augmenté de 30%, tout comme le nombre de passagers (+30%). En parallèle, ATN a perdu 15% de passagers (soit 26 500 personnes) et son coefficient moyen de remplissage a baissé de 6%.
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De mauvais indicateurs qui se répercutent sur le chiffre d’affaires annuel, en retrait de 2,2 milliards entre 2018 et 2019. Mais sur la période observée (2018 à 2022), c’est de 30% que le chiffre d’affaires dégringole, soit un manque à gagner de 4,8 milliards. ATN passe ainsi de 64 % de l’offre totale de sièges en 2017 sur le tronçon Tahiti-Los Angeles à 41% en 2023. La CTC en déduit que « la mission historique de levier de développement économique confiée à ATN est d’une certaine façon remise en cause ».
Alors que l’offre en sièges frise le million en 2023 selon ATN, la capacité hôtelière de la Polynésie, elle, n’augmente pas. Elle a même reculé de 22% entre 2009 et 2019 selon l’ISPF. Résultat : le prix moyen des chambres augmente pour atteindre aujourd’hui un coefficient moyen de remplissage de 70% en moyenne. Dans ce contexte, les résidents sont désormais contraints de réserver bien à l’avance et au prix fort « face à des touristes américains et à leur fort pouvoir d’achat ».
La Chambre souligne dès lors le dilemme auquel le Pays doit faire face : encourager la concurrence tout en préservant ATN. Elle conseille au Pays de commencer par « assumer pleinement son rôle d’autorité régulatrice du ciel polynésien » s’il souhaite préserver la capacité de la compagnie locale à créer de la valeur et conserver ses parts de marché. Car « faute de régulation » l’ouverture du ciel « a créé un choc systémique pour ATN, (…) désormais concurrencée sur 80 % de son réseau ».
600 000 touristes, un cap risqué pour ATN
Pour autant, la stratégie de développement touristique « Fāri’ira’a Manihini 2027 comprend une fois de plus comme recommandation une diversification des marchés émetteurs » s’étonne le rapport. Il se montre donc tout aussi sceptique face à l’objectif visé par Moetai Brotherson de doubler la fréquentation touristique. « L’ambition affichée de parvenir à une fréquentation de 600 000 touristes à horizon de 10 années (250 000 en 2023 estimés) si elle a le mérite de fixer un cap, pourrait remettre en cause rapidement et fortement le modèle économique d’ATN ». Une inquiétude que le président du Pays a indiqué ne pas partager sur notre plateau. « Pour moi, ce nouvel objectif est une opportunité à saisir pour ATN et pour nos compagnies locales. On a le droit de ne pas être d’accord », a-t-il commenté.
Principal obstacle a un tel développement selon la Chambre, l’impossibilité pour le Pays d’augmenter son capital dans la société. « Une croissance dans ce court délai de 240 % de la fréquentation imposerait un changement radical de dimension et de stratégie de la compagnie. Or, l’accompagnement financier du Pays ne peut être envisagé qu’à la marge compte tenu de ses capacités budgétaires limitées, et d’un plafond au capital déjà atteint empêchant toute participation supplémentaire à structure constante ». Reste à connaître quel type de changements Moetai Brotherson envisage pour ATN : son renforcement en tant que premier transporteur international du fenua ou, à l’inverse, son déclassement.
Recommandation unique de la CTC :
Documenter à chaque fois que nécessaire les éléments financiers analytiques prévisionnels relatifs à la recherche de nouvelles lignes, afin de les présenter en amont aux instances dirigeantes.