Des chercheurs de Montpellier et de Hawaii explorent actuellement les archipels, pour remonter dans l’histoire. En 1768, Bougainville découvre la canne à sucre polynésienne, la O Tahiti. Elle était jusqu’en 1880 la première canne sucrière mondiale. Mais des variétés ancestrales avaient été introduites bien avant, et c’est là tout l’intérêt de mener ces travaux de recherche et d’identification, à l’initiative de Marotea Vitrac, président du syndicat des producteurs de rhum. « Les cannes à sucre que l’on appelle ancestrales, sont en fait les vieilles variétés qu’ont importées nos ancêtres polynésiens quand ils sont arrivés en l’an 1000, et qui étaient très importantes pour eux d’un point de vue organoleptique car c’était leur seule source de sucre à l’époque, mais aussi pour la confection des ra’au tahiti, et pour les cérémonies. Cette plante était très importante pour nos ancêtres. C’est un savoir qui s’est un peu perdu. On va vérifier si on a toujours ces anciennes variétés ».
Marotea prépare une thèse sur la caractérisation des cannes à sucre de Polynésie : « Les espèces sucrières ont été créées par l’homme, parce que les variétés ancestrales étaient très difficiles à cultiver. En 1880, lorsque la canne O Tahiti dégringole, c’est à cause des maladies, des virus, et l’arrêt de l’esclavage. Et c’est là où on a encore beaucoup à apprendre sur ces variétés. Finalement, il nous faut aujourd’hui tout redécouvrir, tout réinventer, d’où l’objet des recherches agronomiques qui sont en cours ».
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Des Australes aux Marquises, en passant par les Tuamotu, les chercheurs comptent dresser un inventaire de la diversité des variétés. Des recherches avaient déjà été lancées en 2015 dans l’archipel de la Société. Cette fois, les scientifiques vont aller plus loin avec un spectre plus large. Certaines variétés ont pu disparaitre, d’autres muter au fil du temps ou encore se croiser avec des variétés introduites. Les analyses des prélèvements effectués dans les îles apporteront des arguments scientifiques. « Je vais prendre des échantillons des feuilles pour faire des empreintes génétiques, et mieux évaluer cette diversité, puis faire cet inventaire et compléter les analyses morphologiques. Aussi, grâce à ces empreintes génétiques, pouvoir comparer la canne à sucre à d’autres variétés dans d’autres régions dans le monde, notamment à Hawaii » explique Angélique D’Hont, généticienne.
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Les variétés ancestrales sont la pierre angulaire de ces travaux de recherche, essentiels pour la filière du rhum local. Cinq variétés d’origine polynésienne ont déjà été identifiées au fenua. Un botaniste de l’université de Hawaii, Noa Kekueva, apporte également son expertise dans ce programme de recherche : « En Polynésie française, il y a déjà une variété identique à l’une des variétés que nous avons à Hawaii. Ça a du sens puisque nous sommes cousins dans le Pacifique. À l’instar de ce qui se fait à Hawaii, il y a des efforts déployés en Polynésie française. Il y a un intérêt à préserver ces variétés et à raconter leur histoire, et enfin, de trouver les moyens de développer l’agriculture avec ces savoirs ».
Et si les tiges polynésiennes ont donné du rhum à une époque dans de grands pays producteurs, encore faut-il le savoir… C’est donc là tout l’intérêt de l’IGP (indication géographique protégée) pour le syndicat. « On fait un inventaire de ces cannes à sucre qui vont ensuite être valorisées avec l’IGP. C’est très important car si on ne valorise pas cette variété de cannes à sucre en Polynésie, elle va se perdre » conclut la généticienne. Le précieux label doit permettre de valoriser ce patrimoine et les variétés autochtones à l’internationale. « Ces vielles variétés de nos ancêtres qui nous sont si chères sont la pierre angulaire de notre IGP en cours » confirme Marotea Vitrac.