Quand on pense aux forêts du fenua, on s’imagine souvent une jungle tropicale luxuriante, à la biodiversité conservée. Mais en réalité, peu d’entre elles ont été préservées de l’impact de l’Homme au travers du temps. « On se rend bien compte qu’ici la végétation n’est qu’une végétation artificielle amenée par l’homme. Il n’y a aucune plante endémique, indigène qui ne devrait être présente dans les bois« , commence Mathieu Besson, directeur forestier du projet AOA (NDLR : le deuxième nom du Ora ou banian). Derrière lui, les bananiers et les cocotiers tremblent sous la brise. À leurs pieds trônent du miconia, et sur leur sommet, des lianes parachutent se sont entortillés.
Une forêt étouffée
Le projet AOA est né de ce constat. Dans la vallée de Mo’aora, 80 % à 90 % de la forêt est composée d’espèces invasives. Depuis 7 mois, les équipes de AOA nettoient les sous-bois. « Dans la vallée, je peux compter sur les doigts de la main les sujets. Je peux dire que j’ai une dizaine de glochidion et une quarantaine de cyclophyllum » précise-t-il. Les lianes parachutes qui pèsent sur les arbres sont arrachées. Même chose pour le miconia qui étouffe la végétation indigène. « Notre rôle aujourd’hui, c’est de lutter contre ces espèces-là et surtout de réimplanter les espèces indigènes et endémiques qu’il devrait y avoir dans cette vallée et qui est vraiment unique dans cette vallée« , explique le directeur forestier. À ses pieds, des plans de fougère ont déjà commencé à repousser pour tapisser le sol de la forêt.
Contrôler les espèces de la vallée, c’est tout un art. Il ne suffit pas d’arracher tous les plants de miconia pour s’en débarrasser. L’enjeu est de supprimer assez d’espèces invasives pour laisser de la place aux plantes endémiques, mais pas trop pour ne pas créer de puits de lumière et donc favoriser leur retour. Et l’enjeu est de taille. Les plantes endémiques ne poussant qu’à Tahiti, « si on perd ces plantes-là, on les aura plus« , affirme le spécialiste. Or, ces plantes ont une utilité. « Elles pourront un jour nous aider à nous soigner, et servent déjà aux Polynésiens de souche à se soigner. Donc si elles disparaissent, c’est aussi tout ce savoir qui disparaît. Donc c’est important d’avoir cette biodiversité. Si on n’intervient pas, tout va disparaître« , conclut-il.
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Un projet de valorisation du fenua
Aujourd’hui, 5 agents forestiers travaillent sur le site de AOA. Tous viennent de la vallée. Au départ, ils n’avaient pas de formation en gestion des forêts. Les locaux ont donc été formés par la start up. Lyncia, fille d’agriculteur, ne connaissait rien aux plantes endémiques. Aujourd’hui, elle est devenue cheffe d’équipe, en charge des agents forestiers. Un travail qui fait sens pour elle. « C’est ce qu’il faut montrer à nos enfants. On a des enfants qui vont grandir… Et le but, c’est de préserver la biodiversité, on a belle terre, c’est une planète. C’est comme une mère, une bulle. C’est le moment d’agir« , pense-t-elle.
Pour AOA, l’aspect social du projet est aussi important que le volet environnemental. L’idée est de créer de l’emploi local. « On tend à embaucher d’autres personnes dans le même esprit des agents qui travaillent aujourd’hui : embaucher des gens localement, qui sont déjà dans la vallée, donner du travail aux gens. C’est un secteur du travail qui est relativement en pénurie de travail, les gens vont à Papeete pour chercher du travail. Donc il y a vraiment un intérêt social à travail« , conclut Mathieu Besson. À terme, l’entreprise aimerait ouvrir un sentier pédagogique dans la forêt. Objectif : sensibiliser les enfants, les touristes et les locaux à la biodiversité du fenua.