Avis aux amateurs de l’œuvre de David Cronenberg. La mouche soldat noire, dite BSF, se multiplie dans les locaux de l’Institut Louis Malardé, à Paea. Contrairement à sa cousine fictive, la BSF, inoffensive et non invasive, est étudiée depuis plus de trois ans pour son potentiel de valorisation en économie circulaire.
Enseignant-chercheur à l’université de Tours, Christophe Bressac a observé la capacité d’adaptation de cet insecte pouvant être élevé dans des conditions très différentes. Elle pourrait notamment être utilisée pour nourrir des animaux d’élevage. « L’avantage, c’est que c’est une mouche qui a une durée de vie assez courte, donc qui ne va pas se disperser, et qui reste relativement saine. Son asticot est capable d’extraire de la matière organique à partir d’à peu près tout et n’importe quoi, et de concentrer les protéines. À partir de ce que nous, on ne mange pas, des déchets ou des coproduits, la larve va aller chercher ces éléments et les concentrer dans son corps. Ça peut devenir une source de produits alimentaires pour les animaux, en premier état » .
La BSF pond entre 800 et 1000 larves par semaine. Autre avantage, l’évolution très rapide de l’espèce, qui passe d’œufs de quelques millimètres à larves de 2 à 2,5 centimètres en l’espace d’une dizaine de jours. De quoi générer sans difficulté un approvisionnement en œufs suffisant pour maintenir les colonies. L’alternative a le mérite de ne pas puiser dans les ressources naturelles, ajoute le chercheur, puisqu’elle rend utilisable des matières premières sans intérêt voire polluantes. « Potentiellement, grâce à des déchets, on peut créer des farines pour les animaux. On peut utiliser des nouvelles matières premières, pas directement, mais en faisant ce qu’on appelle la bioconversion » .
– PUBLICITE –
Concrètement, les larves – vivantes – sont une source d’alimentation pour les poules pondeuses. Séchées et déshydratées, elles peuvent être passées dans une étuve pour faire une huile riche en lipides et en protéines qui, une fois dégraissée, devient une farine utilisable en remplacement partiel d’ingrédients présents dans la farine de soja, la farine de poisson, et d’autres types d’ingrédients qui ne sont, eux, pas produits au fenua.
Lire aussi – Une Polynésienne étudie des larves de mouches pour valoriser les déchets et l’alimentation animale
De quoi entrevoir la mise en place locale d’une filière de recyclage de la matière organique. La mission a été confiée à Jade Tetohu, ingénieure chimiste en dernière année de thèse de doctorat. La jeune femme de 27 ans, qui travaille pour la société Technival en partenarait avec l’ILM, s’apprête à clore une bonne partie de la phase recherche, avant de s’attaquer à la phase pilote. « Plutôt que de faire de la cuisine, je vais commencer à faire quelque chose d’un peu plus industriel » , sourit-elle.
Plusieurs essais auront été nécessaires à la constitution d’une colonie viable. « J’augmente mes volumes de production, et la sécurisation de certaines étapes de tout le processus, et donc on va passer à un volume un petit peu plus important, avec des machines qui relèvent plus de la dimension du semi-industriel, explique-t-elle. La colonie continue à s’agrandir à mesure que notre activité prend de l’ampleur. Mais il y a encore beaucoup de travail avant de passer à une échelle plus grande, aussi bien au niveau de la gestion de la colonie, que sur la production des larves, et sur leur transformation » .
À noter qu’une conférence « Manger des insectes, pour quoi ? » est organisée ce mercredi soir dans le cadre du cycle « savoirs pour tous » de l’Université de la Polynésie française. Rendez-vous est donné à l’auditorium du pôle recherche de 17h30 à 19h.