L’homme qui murmurait à l’oreille des requins

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Endormir un squale d'un simple contact de la main : Pierrick Seybald, apnéiste, utilise l'immobilité tonique pour venir en aide aux requins. Une méthode qui pourrait permettre à la science de progresser en minimisant les risques de blessure et de stress des requins.

Publié le 25/12/2019 à 6:33 - Mise à jour le 26/12/2019 à 15:28

Endormir un squale d'un simple contact de la main : Pierrick Seybald, apnéiste, utilise l'immobilité tonique pour venir en aide aux requins. Une méthode qui pourrait permettre à la science de progresser en minimisant les risques de blessure et de stress des requins.

Pierrick Seybald enfile ses palmes et saute du bateau : ici, à la Vallée Blanche, un site de plongée sous-marine renommé pour ses requins-tigres, au nord de Tahiti, il est presque sûr d’en rencontrer. Quelques requins pointe noire et pointe blanche du récif, ainsi désignés par la couleur de leur aileron, côtoient des centaines de poissons et deux requins citrons. Pour des touristes, ce serait déjà une plongée exceptionnelle. Mais pour Pierrick, un apnéiste qui a grandi à Rangiroa, un atoll des Tuamotu devenu la Mecque des plongeurs, c’est le quotidien.

Moins de dix minutes plus tard, une femelle requin-tigre de trois mètres arrive, suivie d’une autre de plus de quatre mètres. Les autres requins décampent : ici, personne ne conteste la domination des tigres, leur petit nom pour les plongeurs.

Les deux requins tournent autour de Pierrick, mais aucun signe d’agressivité. En surface, Kori Garza, une biologiste marin originaire de Hawaii, observe toute modification de leur comportement.

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Les deux requins arborent les rayures caractéristiques de leur espèce, et une ligne de pêche cassée dépasse de la gueule de la plus grande. Elle a donc un hameçon coincé dans la mâchoire.

Pierrick, qui peut rester de longues minutes en apnée, reprend son souffle en surface. Kori va filmer la scène, dans un but scientifique. Pierrick replonge près de la femelle, à dix mètres de profondeur. Il s’immobilise et laisse l’animal s’approcher. Lorsqu’il arrive au contact, Pierrick place une main gantée sur le museau du requin. L’animal semble alors s’endormir, et Pierrick le retourne sur le dos, une position que les femelles n’adoptent que lorsqu’elles s’accouplent.

Crédit : Cameron Grant

Le plongeur ouvre la gueule du requin, y plonge les deux mains et ôte l’hameçon en quelques secondes. Il retourne ensuite la bête de plus de 500 kilos, qui se réveille aussitôt et s’éloigne d’un puissant coup de caudale.

Cette forme de catalepsie, appelée immobilité tonique, est encore mal comprise. Elle semble liée au sixième sens des requins, les ampoules de Lorenzini, concentrées sur leur museau.

Crédit : Cameron Grant

« Les ampoules de Lorenzini sont un système de pores pleins de gel, sur la tête du requin, qui détectent les fréquences électro-magnétiques à proximité », explique Kori Garza. « Habituellement, les requins s’en servent pour détecter leurs proies, et il est possible qu’ils les utilisent aussi dans leurs migrations, en utilisant les champs magnétiques de la Terre », précise-t-elle.

Une méthode qui permettrait à la science de progresser

Le plus souvent, les scientifiques qui étudient les grands requins doivent les pêcher, les maintenir immobiles et les relâcher de longues minutes plus tard, parfois une heure.

La méthode utilisée par Pierrick et Kori permettrait donc à la science de progresser en minimisant les risques de blessure et de stress des requins. Tout deux ont fondé l’association Ma’o Mana Foundation (l’esprit du requin, en tahitien) pour que les regards évoluent sur cet animal. Ils espèrent obtenir un permis des autorités locales pour que leur association puisse développer cette méthode, car les interactions avec les requins sont très réglementées en Polynésie.

« Ça permettrait peut-être de mettre ces requins en immobilité tonique non pas après les avoir pêchés, mais carrément dans le milieu, dans la colonne d’eau : ça permettrait d’avoir accès à ces animaux, de les mettre dans une position dans laquelle ils sont comme anesthésiés, et ça nous permettrait par exemple de faire très rapidement un prélèvement d’ADN », ambitionne le docteur Eric Clua, directeur de  recherches au Criobe de Moorea et spécialiste des requins. Il précise que cette technique serait « réservée aux spécialistes habilités ».

Crédit : Cameron Grant

Sous d’autres latitudes, le requin-tigre est jugé dangereux pour l’homme. En Polynésie, où cette espèce coexiste avec des requins-marteaux ou encore des orques, les incidents avec l’homme sont rarissimes. C’est pourquoi les blessures subies par une touriste, en octobre au large de Moorea, ont provoqué tant d’émotion au fenua. Isolée de son groupe de plongeurs en apnée, elle avait été mordue par un requin pointe blanche du large, et avait perdu deux mains et un sein. Cette espèce, appelée le parata, est considérée parmi les plus imprévisibles.

« Dans l’eau, il faut toujours conserver un contact visuel avec le requin, ne pas lui tourner le dos, et de préférence rester groupés », précise Pierrick Seybald. Lorsqu’il emmène les touristes observer les baleines ou les requins, il lui arrive d’éloigner les requins trop entreprenants. Il a appris ces techniques de redirection auprès de Kori Garza, et plonge régulièrement avec Ocean Ramsey, une apnéiste hawaïenne célèbre pour ses plongées, sans cage de protection, avec les grands requins blancs.

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