Ce fut un dossier riche en enseignements sur les pratiques ayant cours derrière les murs de centres de détention. Une audience qui s’est déroulée dans une ambiance tendue, certains des sept prévenus, aux casiers judiciaires souvent chargés, étant réputés pour ne pas être des tendres.
Leurs agissements avaient été mis au jour en avril dernier. Un homme avait été interpelé par les gendarmes en flagrant délit alors qu’il s’apprêtait à projeter plusieurs “colis” par-dessus les murs d’enceinte de la prison de Faa’a depuis une zone sortant du champ de vision des gardiens. Il avait indiqué avoir été contacté par un ami pour le faire, un proche qui était récemment sorti de détention.
Selon les déclarations de ce dernier aux enquêteurs, c’est un “boss” de Nuutania, surnommé Dragon, qui lui avait demandé de se risquer à ces “projections”. Grâce à ce stratagème, qui s’était étalé sur 4 jours, paka, ice …et cuisses de poulet avaient été introduits à l’intérieur de la prison.
“Dragon me donnait les ordres par téléphone ou par Messenger (…) On me demandait d’aller à un endroit pour récupérer les colis. Je ne savais pas ce qu’il y avait dedans. On me payait 100 000 francs. Je ne voulais pas le faire (…) mais j’avais peur de lui. C’est le boss de Nuutania. Si un détenu ne l’écoute pas, il le tabasse ou le fait tabasser par ses ‘sairas’”, avait témoigné en garde à vue le complice.
Mais ses propos à l’audience, comme ceux d’autres prévenus qui incriminaient Dragon, ont été beaucoup moins affirmatifs. “Il avait plein de comptes Facebook (…) Je ne suis pas sûr que c’était lui”, a-t-il rétropédalé devant les magistrats et les autres mis en cause.
Deux des prévenus jouaient quant à eux le rôle de “chevaux”, c’est-à-dire qu’ils étaient chargés de collecter l’ensemble des colis qui atterrissaient dans la cour de promenade pour les remettre à leur destinataire. Ils avaient en outre élaboré un code pour éviter de se faire prendre. Quand un surveillant approchait de trop près, ils applaudissaient à l’unisson pour signaler à leur complice extérieur qu’il ne devait pas lancer le colis.
Peu coopératifs et arrogants à la barre, les deux “chevaux” ont réfuté avoir été aux ordres de quiconque. “Quand je vois un colis, je ramasse et c’est pour moi. Si je vois quelqu’un qui le ramasse, je l’agresse et le prend”, a déclaré l’un des deux.
“Pourquoi y a-t-il des projections ? Simplement parce que c’est possible”.
Me Sylvain Fromaigeat, avocat de la défense
Dragon est in fine apparu le plus calme. “Je suis un simple détenu comme tout le monde”, s’était-il présenté aux enquêteurs. “Apparemment non”, lui a opposé le président du tribunal, “vous êtes tellement craint que certains reviennent sur leur déposition”.
Cet homme massif, tatoué au cou et larges lunettes de vue sur le nez, affiche 13 condamnations à son actif. Il est impliqué dans le dossier des coups de feu tirés devant le cinéma Liberty, affaire qui n’a pas encore été jugée.
“Je n’avais pas de rôle. J’ai fait comme les autres”, a-t-il simplement indiqué, en ajoutant qu’il ne se “rappelait pas de cette histoire” en raison de troubles.
Des “supposées pertes de mémoire”, pour l’expert psychiatre qui a brossé un portrait inquiétant du personnage central du procès. Il l’a en effet dépeint comme un homme ayant un sentiment de “toute puissance”, “méprisant l’autre” et “manipulateur”.
Son avocat Me Smain Bennouar a vivement contesté ce profil. Il a souligné que son client avait été passé à tabac il y a quelques années, ce qui lui avait occasionné des “blessures graves qui ont affecté sa mémoire”. Dans cette rixe, son frère avait en outre été tué.
L’avocat a dans la foulée expliqué que les projections étaient courantes à la prison de Faa’a, et qu’elles relevaient généralement selon lui de la simple “faute disciplinaire”. “Je trouve inadmissible qu’on vous demande de faire le travail que le directeur de Nuutania ne sait pas faire”, a-t-il ajouté à l’adresse du tribunal.
“Pourquoi y a-t-il des projections ? Simplement parce que c’est possible. C’est aussi bête que cela (…) C’est rendu possible, car l’administration pénitentiaire ne prend pas de mesure”, a renchéri son confrère Me Sylvain Fromaigeat. Et celui-ci de mettre en avant le fait que certaines prisons déploient des filets pour empêcher ces envois.
Dans ses réquisitions, la procureure a pointé du doigt un “système pyramidal, organisé” avec à sa tête Dragon. Un homme ayant un “ascendant véritable” sur les autres détenus et qui “déstabilise la sécurité” à Nuutania par ses agissements.
Le tribunal a suivi les réquisitions de la magistrate. Le “boss” a été condamné à trois ans de prison ferme et ses deux “chevaux” à 30 mois, de même qu’un quatrième prévenu. Les trois restants ont écopé d’une année ferme. Tous sont retournés derrière les barreaux après le rendu du jugement.