Tahiti Nui Télévision : Vous avez commencé votre carrière dans la justice en 1988. Vous avez reçu de nombreuses distinctions. Vous êtes notamment chevalier de la Légion d’honneur. La Polynésie occupe une place particulière dans votre histoire familiale (il est le descendant du lieutenant Maxime Destremau, à la tête de la canonnière la Zélée qui défendit Papeete en 1914, NDLR). C’est en partie pour cela que vous avez décidé de poursuivre votre carrière ici ?
Frédéric Benet-Chambellan, procureur général de Polynésie française : « Ce n’est pas la raison principale. Ça a joué forcément et peut-être ai-je choisi la Polynésie plutôt que n’importe quel autre territoire d’outre-mer en raison de cette histoire familiale. Mais la raison principale, elle est professionnelle et je suis toujours à la recherche de réapprendre. Parce que je pense que spécialement dans les métiers de la justice, il faut toujours apprendre de tout ce qui est nouveau. Et aucun autre territoire de la République ne connaît les spécificités juridiques de la Polynésie. C’est ça que j’ai voulu tenter comme défi de me réadapter aux spécificités de ce territoire. C’était vraiment cette raison professionnelle la première motivation. »
TNTV : Avant de prendre vos fonctions en Polynésie, vous avez consulté les administrations centrales en métropole pour comprendre leurs priorités. Qu’est-ce que Paris attend de vous ?
Frédéric Benet-Chambellan : « D’abord, on est toujours nommé sur un poste de la nature de celui que j’occupe en fonction d’une demande que l’on formule. Si on est accepté et nommé à ce poste et avec l’avis du Conseil supérieur de la magistrature, il faut effectivement avoir la totalité des cartes en main. La plupart de ces cartes ne peuvent se lire que quand on arrive sur le territoire. Mais avant, compte tenu du rôle qui est le mien de lien entre la justice polynésienne et l’administration centrale, il faut avoir la connaissance de ce que souhaite Paris ou de ce qui est vu comme la priorité de Paris. C’est donc à ce titre-là que j’ai pu rencontrer à la fois la direction générale de l’Outre-mer, la gendarmerie, la police, enfin tous les responsables importants qui avaient des liens avec l’exercice de la justice en Polynésie. Et donc en retirer quelques priorités qui étaient celles que je connaissais, dont nous reparlerons sans doute après. Mais il y a en effet quelques éléments importants à connaître avant d’arriver et maintenant, je suis à l’écoute de ce territoire. »
TNTV : Justement, la Polynésie fait face à de graves problèmes sociétaux, les violences intra-familiales, l’addiction à la drogue, à l’alcool. Quelle ligne de conduite allez-vous adopter pour lutter contre ces fléaux ?
Frédéric Benet-Chambellan : « Je pense que ce que j’ai exprimé déjà ce matin, c’est qu’il y a une forte priorité qui est d’expliquer au territoire pourquoi la justice est là pour ses habitants et pour les victimes et pour les personnes qui sont en situation de fragilité. Vous avez fait allusion et il y a à mon avis une priorité importante, ce sont les victimes des violences intra-familiales, les femmes et les mineurs. Les victimes des accidents de la route, parce que beaucoup de choses sont en cause à travers la sécurité routière. Et enfin, il y a le problème des stupéfiants avec ces trafiquants, ces consommateurs. Et il faut que la justice soit capable d’adapter ses réponses à chaque situation. Donc il faut bien regarder les choses. On ne traite pas du grand trafiquant international comme on va traiter du mineur qui vient de consommer de la drogue accidentellement. Tout ça reste une nécessité de personnaliser et c’est tout le défi de notre action au quotidien. »
TNTV : Vous pensez qu’il faut renforcer la coopération entre les institutions judiciaires et les autorités locales, mais comment faire mieux qu’aujourd’hui ?
Frédéric Benet-Chambellan : « Alors d’abord, on fait toujours mieux progressivement. J’ai employé ce terme quand je suis arrivé, il n’y a pas de deus ex machina. Donc il n’y a pas un monsieur ou une dame qui arrive en disant voilà, à partir de maintenant, je suis là et tout va aller pour le mieux. Ça, c’est totalement faux. Ça n’existe pas, ni dans la justice, ni ailleurs. Moi, j’ai eu des habitudes de travail. J’ai, dans mes différents métiers, appris à travailler avec les services de l’État, en interministériel, avec les élus de tous les territoires dans lesquels j’ai été, à travers des modes de fonctionnement. Donc ce ne sont pas des choses spectaculaires. On n’est pas du jour au lendemain à dire waouh, ça marche. Non, il faut travailler de façon conjointe et coordonner les uns avec les autres. Mais j’ai eu ces habitudes de travail. »
TNTV : On va aborder un autre sujet. En trois ans, il y a eu quatre missions d’inspection générale de la justice à Papeete. L’objectif était de faire la lumière sur les dissensions entre les magistrats du parquet, du siège et du parquet général. Il avait été annoncé que cela pourrait nuire au bon fonctionnement de la justice en Polynésie. Est-ce que les choses se sont apaisées avec votre arrivée ?
Frédéric Benet-Chambellan : « Alors, c’est un peu le même raisonnement. Il n’y a pas le deus ex machina, encore une fois, qui arrive et du jour au lendemain, tout va s’arranger. Ça non plus, ça n’existe pas. Donc en effet, il y a des difficultés. En effet, le pouvoir central a estimé nécessaire de faire dire par l’inspection quelles étaient les difficultés et de dire quelles étaient éventuellement les préconisations, les solutions. Ça, ça se lira à travers un rapport d’inspection qui sera remis au garde des Sceaux. Seul le garde des Sceaux est le maître des suites à réserver à ce rapport. Donc moi, pour le moment, le rapport n’est pas rendu. Je ne le connais pas. Je n’ai pas été entendu par l’inspection puisque, évidemment, ces opérations se sont produites avant mon arrivée. Ce que je peux dire, c’est qu’il faut que ce soit mis en œuvre quand on connaîtra ces recommandations. »