Citoyen canadien, Guy Laliberté avait fait le déplacement à Papeete, ce mardi, pour comparaître à son procès aux côtés de deux anciens employés de l’atoll de Nukutepipi, également renvoyés devant le tribunal.
L’affaire avait débuté en octobre 2019 avec l’interpellation de l’un de ces employés à Tahiti, à l’époque directeur général de l’atoll. Il avait reçu un colis à son hôtel contenant quelques boites de paka. La drogue était destinée à d’autres employés œuvrant à Nukutepipi. Lors de sa garde à vue, les enquêteurs de la gendarmerie avaient fait une autre découverte : des photos d’un conteneur, sur le petit atoll, contenant au total 48 pieds de cannabis.
Ce conteneur, permettant des cultures de tous types, avait été acheté à la demande de Guy Laliberté pour 134 000 dollars américains. Cette “petite unité de production” offrait la possibilité de “cultiver tout ce qu’on ne peut pas faire pousser sous les tropiques”, selon l’ancien directeur général du site pour qui “la vocation” de cet équipement était “diverse” dans un objectif “d’autonomie alimentaire” de l’atoll. Les 48 plants de cannabis étaient le premier essai, a-t-il assuré, mais la “première récolte n’a pas eu lieu” du fait du déclenchement de l’affaire.
A la barre du tribunal, Guy Laliberté n’a pas cherché à se défausser. L’artiste et homme d’affaires a reconnu que plusieurs membres de son entourage l’avaient mis en garde des risques d’une telle culture sur le sol français. Il a ajouté qu’au Canada, il disposait d’une “prescription de son médecin” lui donnant le droit de soulager ses douleurs chroniques grâce au THC, le principe actif du cannabis. Avec sa production à Nukutepipi, il comptait fabriquer de “l’huile” et des “crèmes” à cet usage.
“On a voulu se faire un milliardaire”.
Me Yves Piriou, avocat de Guy Laliberté
“Je n’aime pas la fumée (…) Je fais des huiles et du miel et je les prends en infusion”, a-t-il expliqué, précisant qu’il en consommait dans un but “principalement médical”. Il a en outre assuré qu’il n’avait jamais eu “le désir” de faire commerce de cette production.
“On peut comprendre la démarche de monsieur Guy Laliberté qui consiste à dire : ‘je suis consommateur à des fins médicales et parfois récréatives, ce qui est légal dans mon pays’. Le problème, c’est d’avoir donné des instructions dans un pays où la production, la consommation et l’usage sont formellement interdits (…) Monsieur Guy Laliberté ne peut se retrancher derrière la législation canadienne” a tonné le procureur Yann Hausner. Le magistrat a, dans la foulée, requis une peine de 6 mois de prison avec sursis et 2 millions de francs d’amende contre l’intéressé.
Le fondateur du Cirque du Soleil était assisté de deux avocats : Me Yves Piriou et le ténor parisien Me Jean-Yves Le Borgne ont réclamé la relaxe de leur client. “On a voulu se faire un milliardaire”, s’est indigné le premier en dénonçant un “traitement ignoble” et une procédure “démesurée” ouverte à l’origine sur des faits de nature criminelle avant qu’ils ne soient correctionnalisés. “Un citoyen lambda n’aurait pas eu le même traitement”, a-t-il martelé tout en faisant le parallèle avec un de ses clients récemment interpellé avec 93 plants de paka et condamné lors d’une procédure de “plaider coupable” à une simple amende de 150 000 francs.
Me Le Borgne a pour sa part estimé que le chef de transport de stupéfiants ne pouvait être retenu car il s’agissait de graines venues du Canada et que ces dernières n’étaient pas classées comme substance interdite. Il a en outre considéré que le tribunal ne pouvait pas prouver matériellement que son client avait consommé du paka à Nukutepipi. “Suffit-il de s’accuser d’un fait pour que cette infraction soit constituée ?”, s’est-il interrogé.
Il a ensuite rappelé que le cannabis médical et récréatif était autorisé depuis plusieurs années au Canada : “Il transporte un peu avec lui les normes de son pays (…) Pour lui, la consommation de cannabis ne lui paraît pas quelque chose de si sérieux”.
“Il est hautement probable que cette dépénalisation vienne chez nous”
Me Jean-Yves Le Borgne, second avocat de Guy Laliberté
“Depuis le 1er avril 2024, l’Allemagne a légalisé l’usage de cannabis. Un jour ou l’autre, il est hautement probable que cette dépénalisation vienne chez nous (…) Est-il raisonnable de s’accrocher à un droit positif déjà marqué par l’obsolescence ?”, a encore plaidé Me Le Borgne.
De relaxe, il n’y en a finalement pas eu. Bien que le tribunal ait écarté une grande partie des chefs de poursuite, il a retenu la consommation et la détention. Il a prononcé une peine d’amende de 2 millions.
“Un jugement de condamnation ne peut jamais correspondre à une satisfaction”, a réagi à l’annonce du délibéré Me Le Borgne, satisfait toutefois que le tribunal ait “pris la juste mesure de ce qu’était cette affaire”. “Le problème est de savoir quelles seront les conséquences pour lui de cette condamnation dans sa vie internationale”, a-t-il tempéré. L’artiste, hommes d’affaires et “philanthrope” est en effet amené très régulièrement à franchir la frontière des États-Unis.
“Je reste très pénétré par cette idée que nous sommes des dinosaures (…) Les derniers condamnés d’une infraction qui va disparaître”, a conclu Jean-Yves Le Borgne. Les avocats de Guy Laliberté n’excluent pas de faire appel. Les deux ex-employés qui comparaissaient à ses côtés ont quant à eux écopé de 3 mois de prison avec sursis.