TNTV : Vous avez pris vos fonctions il y a un peu moins de deux mois. Comment réagissez-vous au fait d’être la première présidente de la plus petite cour d’appel de France ?
Gwenola Joly-Coz : « En réalité, c’est la plus grande au regard du territoire exceptionnel sur lequel elle étend son ressort. Un ressort tout à fait atypique et finalement immense. C’est aussi une réalité pour moi de venir prendre une petite cour d’appel après en avoir dirigé de grandes, mais aussi la Conférence nationale des premiers présidents. Donc, forcément, c’est vraiment pour moi un choix d’être venue servir l’institution judiciaire sur ce territoire polynésien ».
TNTV : À quoi est dû ce choix ?
Gwenola Joly-Coz : « Parce qu’il y a des enjeux que je trouvais passionnants après plusieurs séjours outre-mer : venir voir en Polynésie ce qu’il y avait à y faire pour servir au mieux les Polynésiens et Polynésiennes pour qu’ils aient confiance dans leur institution judiciaire ».
TNTV : parmi les enjeux les plus importants : les violences conjugales en Polynésie. 77% des victimes sont des femmes. On imagine bien sûr que ce sera l’une de vos priorités ?
Gwenola Joly-Coz : « Effectivement, il nous faut travailler sur la question de la lutte contre les violences faites aux femmes. Car au Fenua, comme partout dans le monde, ce sujet est à l’œuvre dans les sociétés. Il faut que la Polynésie participe à la conversation mondiale sur ce sujet. Que se passe-t-il entre les hommes et les femmes au sein des foyers ? Pourquoi tant de violences sexuelles ? Pourquoi tant d’agressions physiques ? Pourquoi tant de féminicides ? »
TNTV : Comment comptez-vous vous attaquer à ce fléau en Polynésie ?
Gwenola Joly-Coz : « Comme partout ailleurs, il faut que nous ayons un vocabulaire commun, des connaissances à partager, sur ce grand phénomène mondial de la lutte contre les violences faites aux femmes. Je crois qu’il faut que nous avancions ensemble dans une meilleure connaissance, à la fois des chiffres et des analyses que nous pourrions partager pour être des acteurs de terrain plus efficaces. Et bien sûr au service des Polynésiennes qui déposent plainte, m aussi des Polynésiens qui doivent comprendre lorsqu’ils passent dans les prétoires qu’il faut travailler sur la question de la violence faite aux femmes ».
TNTV : Y a-t-il un projet phare qui vous tient à cœur ?
Gwenola Joly-Coz : « Il faut essayer de mieux comprendre ce qui se passe en Polynésie. Parce que finalement, nous avons pour l’instant peu de chiffres stabilisés, peu de compréhension partagée du phénomène. Donc, je crois qu’il faut commencer par cela. Et puis bien sûr redire à quel point la juridiction de première instance est déjà fortement mobilisée. Car beaucoup d’affaires sont déjà traduites devant les tribunaux. Et les prétoires sont pleins, malheureusement, d’affaires de violences faites aux femmes ».
TNTV : Vous avez d’ailleurs déclaré que le fait d’avoir exercé en Outre-mer vous a habitué à l’idée qu’il ne fallait pas calquer la justice métropolitaine. C’est-à-dire ?
Gwenola Joly-Coz : « C’est vrai. Je pense qu’il ne faut pas arriver en Outre-mer et notamment ici au Fenua en ayant des idées préconçues. Il faut arriver avec beaucoup d’humilité. Il faut écouter ce que les Polynésiennes et les Polynésiens veulent de leur justice, ce qu’ils en attendent. Et comme je l’ai dit lors de mon discours d’installation, je crois beaucoup à un lien de confiance qu’il faut créer entre les citoyens et leur justice. Et ce lien, il passe à mon avis par beaucoup d’humanité dans notre façon de traiter les sujets qui nous sont soumis ».
TNTV : Vous êtes aussi l’une des pionnières de l’usage du mot féminicide dans une enceinte judiciaire. Un mot qui ne figure pas dans le code pénal. Pourquoi ? Et qu’est-ce que cela changerait s’il y était inscrit ?
Gwenola Joly-Coz : « Je n’ai pas besoin de ce mot dans le code pénal. J’ai tout ce qu’il me faut comme infraction pénale pour sanctionner ces faits. En revanche, le mot féminicide a été un mot nécessaire socialement, sociologiquement et je dirais médiatiquement. Il a d’ailleurs tout changé. Lorsqu’il est arrivé en France en septembre 2019 lors du Grenelle des violences faites aux femmes, ce mot, ce terme, le fait que nous ayons désormais une sémantique pour nommer le meurtre des femmes par les hommes, a tout changé ».
TNTV : Les femmes dans la magistrature sont nombreuses. En revanche, elles ne sont pas fréquemment à la tête de juridictions. En Polynésie, vous êtes la deuxième première présidente de la cour d’appel de Papeete en 30 ans. Comment l’expliquez-vous ?
Gwenola Joly-Coz : « Je crois d’abord qu’il faut dire que les femmes sont rentrées très tard dans la magistrature française : 1946 la première femme. Autant vous dire que pendant des siècles, des siècles et des siècles, la justice n’a été rendue que par des hommes. Et finalement nous avons moins de 100 ans de présence des femmes dans la magistrature française. Alors à partir de ce constat, c’est-à-dire de la réticence en fait de laisser entrer les femmes dans la magistrature, et bien depuis elles sont entrées massivement, notamment au bénéfice de leur réussite exceptionnelle au concours de l’École Nationale de la Magistrature. Et elles ont pris leur place au sein de l’institution judiciaire. D’ailleurs ici à Papeete, vous avez de la chance, puisque le tribunal de première instance est à la fois présidé par une présidente et en dyarchie avec une procureure de la République. Donc finalement vous avez aujourd’hui des femmes à la tête de l’institution judiciaire en Polynésie ».