Prostitution de mineure : l’affaire retournera à l’instruction

Publié le

Les 12 hommes ayant eu recours à une prostituée mineure de 14 ans en 2022 attendront avant d'être jugés. S'ils étaient renvoyés en comparution immédiate ce jeudi devant le tribunal correctionnel de Papeete, ce dernier s'est finalement dessaisi du dossier. Les juges ont estimé, au regard d'une loi de 2021, que les faits sont de nature criminelle, et relèvent donc de la cour d'assises.

Publié le 10/03/2023 à 7:00 - Mise à jour le 10/03/2023 à 8:14

Les 12 hommes ayant eu recours à une prostituée mineure de 14 ans en 2022 attendront avant d'être jugés. S'ils étaient renvoyés en comparution immédiate ce jeudi devant le tribunal correctionnel de Papeete, ce dernier s'est finalement dessaisi du dossier. Les juges ont estimé, au regard d'une loi de 2021, que les faits sont de nature criminelle, et relèvent donc de la cour d'assises.

Coup de théâtre, ce jeudi, au tribunal correctionnel de Papeete, dans l’affaire des 12 hommes accusés d’avoir eu recours, en 2022, à une prostituée mineure. Les prévenus, soupçonnés d’avoir eu des rapports sexuels tarifés avec une jeune fille de 14 ans au moment des faits, étaient renvoyés devant la juridiction après une première audience en décembre, en comparution immédiate à délai différé.

Mais avant même qu’ils ne passent à la barre et que le fond de l’affaire ne soit abordé, le tribunal s’est déclaré incompétent à juger l’affaire, s’appuyant sur une loi du 21 avril 2021 qui considère une relation sexuelle entre un mineur de moins de 15 ans et un adulte comme un viol, dès lors qu’il y a au moins 5 ans d’écart entre l’adulte et l’enfant. Le président du tribunal s’est donc dessaisi du dossier en qualifiant les faits de criminels, et en invitant le ministère public à mieux se pourvoir.

Un désaveu pour le parquet de Papeete, souligné par la sidération de plusieurs avocats de la défense devant ce qu’ils ont appelé un « naufrage procédural » ou une « débâcle« ..

Demandes d’annulation le matin…

C’est justement sur les questions de procédure et les demandes d’annulation que s’est ouverte la journée d’audience, à 9 heures.

Au cours de la présentation de ses quatre moyens de nullité, Me Fayolle, venu de Marseille pour défendre son client, a vivement interpelé le ministère public, dénonçant de multiples violations du code de procédure pénale. Selon lui, le rapport d’examen technique du téléphone ayant servi aux communications entre son client et la jeune fille émane d’un enquêteur qui n’a ni prêté serment, ni signé le document. « Un rapport pas signé, on ne peut pas le rattraper« , a-t-il lancé à la procureure et aux juges.

« Il y a des problèmes sur les écoutes téléphoniques, sur l’interpellation, sur la garde à vue et sur l’expertise qui sont en réalité des examens techniques. Bref, en résumé, il y a des problèmes partout« , déplorait alors Me Fayolle.

Il s’est également insurgé contre la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) choisie par le procureur pour juger les deux seuls proxénètes cités dans le dossier, deux jeunes femmes (une amie et sa cousine) de 16 et 22 ans proches de la victime, qui arrangeaient les rendez-vous. Une procédure qui permet de juger rapidement les auteurs d’infractions, peu adaptée à la gravité des faits selon lui : « Je n’ai jamais vu en bientôt 25 ans d’expérience, que des proxénètes soient mieux traités que des clients de prostitués« , a-t-il assuré. Lui emboîtant le pas, Me Spitz et Me Varrod se sont insurgés contre cette différence de traitement : »Où sont les proxénètes dans ce dossier? Où est la famille de la victime?« , a tancé ce dernier.

De son côté, le ministère public s’est attelé à répondre point par point aux demandes de la défense, et à justifier ses choix dans la procédure et l’interprétation des textes. Il s’est notamment défendu de chercher à savoir si certains des clients n’avaient pas « plus d’appétence » pour des relations sexuelles « régulières » avec des mineurs.

Incompétence l’après-midi

Après la suspension de l’audience et le renvoi d’autres dossiers de comparution immédiate, le président du tribunal reprenait alors en soulevant un point procédural « difficilement contestable » : la loi du 21 avril 2021, requalifiant les faits en crimes, rendant de facto le tribunal correctionnel incompétent pour juger cette affaire.

Une interrogation qui n’a pas décontenancé le ministère public. La procureure s’est prononcée favorablement au maintien de l’affaire dans la juridiction, estimant qu’il n’y avait pas d’obligation à requalifier les faits et qu’il s’agissait avant tout d’une question d’appréciation du tribunal, le délit de « recours à la prostitution de mineur » étant selon elle adapté à l’affaire.

Après une nouvelle suspension, le tribunal a finalement pris la décision de se déclarer « incompétent s’agissant de faits de nature criminelle« , renvoyant le dossier au parquet et demandant à la procureure d’indiquer les mesures de sûreté concernant les mis en cause. Les réquisitions de la procureure, dont 4 placements en détention provisoire, ont fait bondir les conseils de la défense, dont Me Varrod pour qui il s’agissait d’un « pur acte de vengeance » du parquet. Mais là encore, le tribunal s’est déclaré incompétent.

Retour à l’instruction

« Le tribunal vient d’infliger un camouflet retentissant au ministère public, en renvoyant le procureur de la République à mieux se pourvoir« , a indiqué Me Fayolle. Le message est que le travail et les poursuite telles qu’elles ont été décidées et organisées par le procureur de la République sont absolument incohérentes […] Le dossier est purement et simplement anéanti. Il y aura des suites, mais nous serons ravis de nous en expliquer« . 

L’affaire devra donc retourner à l’instruction. Le fond du dossier n’a, lui, toujours pas été évoqué. Parmi les quelques éléments centraux soulevés par les avocats, l’environnement autour de la jeune fille et la connaissance ou non de son âge par les mis en cause.

« Il y a des gens qui l’autorisent à rentrer en boite de nuit, qui l’autorisent à rentrer dans des chambres d’hôtel avec des adultes et qui ne se sont pas aperçus qu’elle était mineure, a déclaré M. Varrod. « Mais alors comment nos clients pouvaient-ils le savoir ? […] On devrait chercher à lutter contre le proxénétisme de mineurs et on fait quoi ? On cherche à taper sur les clients qui eux se sont fait avoir parce qu’ils ont été trompés sur l’âge de cette jeune fille. »

La victime était déjà connue des services sociaux lorsqu’elle se prostituait. Présente lors de la première audience, elle était cette fois ci trop « intimidée » pour assister au procès, selon son avocate Me Kari Lee Armour-Lazzari.

En correctionnelle, les 12 prévenus encourent 10 ans et une inscription au FIJAIS (Fichier Informatisé des Auteurs d’Infractions Sexuelles). Aux assises, les faits, criminalisés en viol, sont passibles de 15 ans de prison.

Dernières news

Activer le son Couper le son