Ce live Facebook, réalisé au matin du 10 janvier dernier, avait été vu plus de 42 000 fois, partagé 602 fois et avait engendré quelque 525 commentaires. Son auteur ? Une femme de 31 ans qui, au cours de la nuit, s’est rendue dans une clinique de Papeete en raison de violentes douleurs à l’abdomen.
La trentenaire a dû patienter avant d’être auscultée par le médecin généraliste de garde, la procédure voulant que la consultation soit payée au préalable. Une fois la formalité remplie, le taote lui a fait une injection pour atténuer ses douleurs et l’a renvoyée chez elle, avec une ordonnance.
Mais les calmants ne l’ont pas soulagée bien longtemps. La trentenaire est donc retournée à la clinique où le même médecin l’a, cette fois, orientée vers les urgences du CHPF. Elle y a finalement été admise en raison de calculs dans la vésicule.
C’est au petit matin, en quittant l’établissement, qu’elle a décidé sous le coup de la “colère” de lancer un live Facebook, en ciblant le médecin de la clinique.
Dans la vidéo, la jeune femme cite le prénom du taote, permettant de l’identifier, puis assène qu’il est “un danger pour les patients”. Elle lance aussi : “face à un siki -noir, ndlr- comme ça, on a envie de le frapper” avant d’inviter ses followers à “partager” en masse sa vidéo.
Et “l’effet recherché a été atteint”, comme l’a constaté l’avocat du médecin, le bâtonnier François Mestre, en reprenant quelques-uns des nombreux commentaires haineux laissés sous la vidéo : “Il va recevoir avec les Tahitiens”. “C’est pas bon les siki”. “Il faut porter plainte contre cet enfoiré de farani”.
Me Mestre a souligné que son client était médecin généraliste, et qu’il avait dirigé la patiente vers le Taaone, à son deuxième passage, car l’hôpital était bien mieux doté en personnels et équipements.
“Un médecin soigne sans considération de race, ou de sexe”
Me Teremoana Hellec, avocat du Conseil de l’ordre.
“Il a exercé dans cette clinique de 2000 à mars 2024 sans jamais aucun problème. Il s’est fait trainer dans la boue et a reçu des réactions violentes (…) En termes de répercussions psychologique, c’est un peu dur. Il l’a vécu comme un traumatisme”, a soufflé l’avocat. D’autant que depuis cette vidéo, la convention liant le médecin à l’établissement privé n’a pas été renouvelée.
Le Conseil de l’ordre s’est également constitué partie civile au dossier, car “particulièrement choqué de voir la déferlante raciste que ça a pu susciter”.
“Quand on attaque quelqu’un de cette manière, on attaque l’ensemble de la profession”, a déploré Me Teremoana Hellec, “il a été livré à la vindicte populaire parce qu’il a une couleur de peau différente. Quand on n’est pas content d’un médecin, on ne va pas sur les réseaux sociaux pour répandre la haine mais on saisit le Conseil de l’ordre”. Et l’avocat de conclure : “Un médecin soigne sans considération de race, ou de sexe”.
Pour la défense, le dossier est plus complexe qu’il n’y parait. Me Betty Hayoun a en effet argué que sa cliente avait été “plus ou moins manipulée” par le praticien qui l’a prise en charge au CHPF de Taaone, un soignant qui n’apprécierait pas son confrère.
“Il lui a dit que ce n’était pas un bon médecin. Je pense qu’elle a servi d’instrument entre les 2 (…) Elle a mal analysé la situation, car elle a eu mal toute la nuit”, a-t-elle plaidé.
Penaude durant tout le procès, la trentenaire a conclu l’audience en s’adressant au plaignant : “Je n’ai pas eu l’occasion de présenter mes excuses au docteur, donc je m’excuse”.
Mais son live Facebook lui coûte cher. Outre les 50 000 francs d’amende avec sursis, elle a aussi été condamnée par le tribunal à verser 100 000 francs de dommages et intérêts au taote, et 50 000 francs au Conseil de l’ordre des médecins. Elle devra aussi prendre à sa charge la totalité de leurs frais d’avocats.