« Nous pouvons ouvrir la voie vers une décolonisation qui sera pour le monde un exemple, a déclaré Moetai Brotherson en séance de la 4e commission des Nations Unies ce lundi à New York. Le président du Pays prône un « processus ancré dans l’innovation, la paix, le respect mutuel, mais il est un élément clef qui fait encore défaut : je veux parler de la construction conjointe d’un programme détaillé qui constituerait une feuille de route pour avancer. Ce programme énoncerait les mesures à prendre, les jalons, contiendrait un calendrier d’application du processus de décolonisation. Il devrait figurer très clairement dans le paragraphe du dispositif de la résolution concernant la Polynésie française pour faire en sorte que tant la puissance administrante que l’ONU s’engage à l’élaborer, à le mettre en œuvre. Un tel programme de travail ne pourra pas être élaboré par le gouvernement à lui seul. Nous sommes engagés à travailler avec toutes les forces politiques en Polynésie française, y compris nos frères de l’opposition présents ici aujourd’hui. »
« Nous pouvons ouvrir la voie vers une décolonisation qui sera pour le monde un exemple«
Moetai Brotherson
Évoquant le cas de la Nouvelle-Calédonie, Moetai Brotherson a insisté sur l’importance du dialogue : « Il est clair que le chemin vers la décolonisation doit être pavé de dialogue et de consultations entre toutes les parties prenantes. Les récentes tensions en Kanaky Nouvelle-Calédonie nous rappellent le délicat équilibre qu’exige la paix. Nous ne devrions jamais sous-estimer la détermination de ceux qui aspirent à la souveraineté lorsqu’ils sont confrontés à un cul-de-sac politique. Une solution pacifique est durable n’est possible que par la consultation, lorsque toutes les voix sont entendues, respectées (…). »
Dialogue et accompagnement, des mots que l’exécutif semble partager. En revanche, pas de changement de cap prévu. Comme l’an dernier, la France était représentée par Nicolas De Rivière. Le représentant permanent a félicité les pétitionnaires pour leur forte mobilisation, mais est resté ferme : « L’an dernier, la France a décidé de s’exprimer pour la première fois devant la 4e commission de l’Assemblée générale des Nations Unies au sujet de la Polynésie française. Nous souhaitons poursuivre cette pratique (…) Ce changement de méthode n’apporte pas de changement de ligne. Il n’existe pas de processus entre l’État et le territoire polynésien qui réserve un rôle aux Nations Unies. La République française est désireuse d’accompagner le développement de la Polynésie française. (…) »
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Le représentant de l’Etat a également rappelé que « les transferts financiers de l’État à la Polynésie représentent chaque année près de 2 milliards d’euros, soit 30% du PIB du territoire. Nous rappelons aussi notre disposition à accompagner la Polynésie française dans la poursuite de son intégration au sein de son environnement régional et au-delà. »
Voir aussi : Le replay de la séance de la 4e commission des Nations unies
La France devant la 4e commission ne suffit pas au parti indépendantiste Tavini qui estime que les échanges sont inexistants. « Au mois de mai dernier, j’ai eu le privilège de participer au séminaire du C24 à Caracas en espérant obtenir de la puissance administrante l’amorce d’un début de dialogue qui est pourtant un élément incontournable du processus de décolonisation imposé par les nombreuses résolutions onusiennes et qui aurait pu porter sur des éléments de langage susceptibles d’éclairer, d’informer et de convaincre la population polynésienne sur la nécessité de se préparer à son émancipation, a estimé Antony Géros. De ce dialogue tant attendu, il n’en a rien été car par son déni hégémonique, la France qui a pourtant toujours été qualifiée de grands défenseurs des droits de l’Homme aux yeux de la communauté internationale, n’a pas su prendre de la hauteur et faire preuve d’intelligence pour respecter son engagement vis-à-vis des grands principes de la Charte des Nations Unies. Pourtant, tout récemment, j’ai été très agréablement surpris de l’initiative très pertinente de la France qui, par l’intermédiaire de son ambassadrice dans le Pacifique, a convié pour la première fois depuis notre réinscription, tous les représentants de l’Assemblée de Polynésie à venir pétitionner devant votre commission »
Également favorable à l’indépendance, l’Église protestante maohi était également représentée à l’ONU ce lundi. Pour Philippe Neuffer, président du conseil d’administration de l’enseignement protestant, il s’agit surtout de préserver la culture et les langues polynésiennes. Il déplore un affaiblissement de la « richesse de notre langue ». Il faudrait selon lui, ne « recruter que des enseignants tahitiens, qui parleraient en tahitien et enseigneraient les chansons traditionnelles tahitiennes. (…) l’éducation peut être un outil puissant pour la décolonisation et nous devrions pouvoir décider quelle plante faire pousser dans le cœur de nos enfants. Ils ont le droit d’apprendre toute notre histoire, pas seulement celle qui est centrée sur l’aspect français, pas celle qui parle des essais nucléaire sans même parler de l’histoire de nos vétérans (…) Nos enfants ont le droit de savoir toutes les luttes qui ont été les nôtres (…) »
« La Polynésie française n’est ni opprimée ni exploitée par la France«
Tepuaraurii Teriitahi, représentante du Tapura à l’APF
Ils n’étaient que 4 autonomistes présents : la représentante du Tapura à l’APF Tepuaraurii Teriitahai, le député Moerani Frebault, la tavana de Hao Yseult Butcher-Ferry et le sénateur Teva Rohfritsch. « Nous savons que votre honorable pétition ne se laissera pas convaincre à la seule jauge du nombre de pétitionnaires présents ce jour » a lancé ce dernier.
Tous ont estimé que si le gouvernement actuel est indépendantiste, « la grande majorité de notre peuple rejette toujours et encore l’idée d’une rupture avec la France. (…) La Polynésie française n’est ni opprimée ni exploitée par la France, a déclaré Tepuaraurii Teriitahi rappelant le soutien financier de l’Etat. En réalité, la France investit 2 milliards de dollars par an dans notre territoire peuplé de 280 000 habitants répartis sur 5.5 millions de km2. Cet argent finance nos écoles, où exercent des enseignants très majoritairement polynésiens, notre université, la sécurité de nos citoyens, la protection de notre immense zone exclusive économique et bien d’autres choses encore. Cette contribution financière généreuse garantit à nos enfants un avenir stable avec un accès gratuit à l’éducation et à la santé. Sans cet appui, l’indépendance n’est pas seulement une utopie, elle serait un danger pour notre peuple. L’idée que nous pourrions trouver seuls 2 milliards de dollars par an pour remplacer cette contribution est une illusion qui conduirait à l’appauvrissement et à la perte de notre pays jusqu’ici si prospère. »
Un appel à envoyer une mission des Nations unies
Les autonomistes demandent la venue d’une commission des Nations unies en Polynésie : « Vouloir décoloniser un pays qui s’épanouit dans son autonomie au sein de la France n’a pas de sens. Tout comme maintenir la Polynésie sur la liste des pays à décoloniser. Juger de la situation dans notre pays peut paraitre difficile pour ceux qui ne connaissent pas notre réalité quotidienne. C’est pourquoi nous demandons encore une fois à la 4e commission d’envoyer une mission en Polynésie française. Venez voir et jugez par vous-même. »
Pour le jeune député Moerani Frébault comme pour le sénateur Teva Rohfritsch, en défendant l’autonomie, il ne s’agit pas d’ignorer le passé et les essais nucléaires, mais bien d’avancer. « Le traumatisme de la colonisation que certains continuent d’invoquer n’est qu’un murmure du passé, une ombre qui s’estompe devant la lumière de la Polynésie moderne, forte et résiliente. (…) »
Pour Moerani Frébault, « l’indépendance ne serait qu’une mise en péril. Qui protégera demain notre ZEE ? Ces vastes richesses maritimes qui nourrissent nos peuples dans une région convoitée par des puissances obscures ? (…) L’histoire nous enseigne que l’indépendance n’est pas synonyme de liberté lorsqu’elle se transforme en dépendance envers d’autres puissances plus intrusives. Ceux qui pensent que notre liberté passe par la rupture avec la France méconnaissent les réalités économique, sociale et géopolitique du monde d’aujourd’hui (….) Nous ne cherchons pas à effacer les blessures. Oui, les essais nucléaires ont marqué nos terres, notre chaire et nos âmes et il est de notre devoir de nous battre pour des réparations justes, une reconnaissance véritable de ce que notre peuple a enduré. Nous luttons nous aussi avec force et conviction pour protéger notre terre, nos emplois et notre identité mais sans démolir ce que nous avons bâti ensemble »
Les autonomistes ont également appelé à l’humilité dans le contexte politique actuel : « L’actualité internationale nous appelle à l’humilité et à la compassion face à toutes les communautés menacées pour qui la survie supplante même la question de la souveraineté (….) Venez constater le bon fonctionnement de notre autonomie ».
Les réactions après la séance :
Moetai Brotherson : Le représentant permanent de la France « est complètement à côté de la plaque »
« L’an dernier, il (Nicolas De Rivière, NDLR) n’était resté que pour mon allocution. Cette année, la France a été représentée et a écouté tous les discours qui ont été faits sur la question polynésienne. Donc ça, c’est un petit changement de méthode. Effectivement, sur la ligne, j’ai été un peu estomaqué, finalement, par sa réponse qui consiste à venir à l’ONU, dire que l’ONU n’a rien à faire dans les discussions concernant le processus polynésien. Donc ça, je pense que les membres de la quatrième commission ont apprécié à sa juste valeur cette déclaration du représentant permanent de la France, qui est complètement à côté de la plaque »
Antony Géros : « La France ne devrait pas accepter la mission d’information onusienne »
« La France a évoqué qu’elle refuse le processus et qu’elle maintient le dialogue qu’elle a toujours maintenu jusqu’ici, c’est-à-dire un dialogue institutionnel, mais non pas sur la décolonisation et donc elle ne devrait pas accepter la mission d’information onusienne. Elle se refuse justement ce que l’ONU vient de mettre de son nez dans les affaires intérieures de la France. Et donc, par contre, ce principe, je ne pense pas qu’on devrait avoir la possibilité d’obtenir pour la France une position plus favorable que celle qu’elle n’a jamais eue jusqu’ici. »
Moerani Frébault : « Ce que l’on souhaite, c’est qu’on se tourne vers le futur »
« On a tellement de choses à faire pour développer notre fenua que je pense que c’est une véritable perte de temps que de revenir sur des traumatismes du passé. Personne ne conteste qu’on a eu une histoire coloniale parfois difficile. Personne ne conteste là encore les traumatismes qui nous ont été laissés par la période des essais nucléaires. Ce que l’on souhaite, c’est qu’on se tourne vers le futur et qu’on puisse enfin ensemble faire avancer notre fenua. Je pense que c’est tout ce que les Polynésiens attendent. (…) Avec tous les défis qui attendent notre fenua, que ce soit en matière de réchauffement climatique, de défis concernant l’emploi, de reconversion de notre économie, on a bien d’autres choses à faire que de se pencher sur ces questions institutionnelles. Mais c’était important qu’on soit présent aujourd’hui à l’ONU pour équilibrer un peu les discours et notamment pour inviter justement un comité pour venir se rendre en Polynésie, pour qu’ils puissent se rendre compte sur le terrain des réalités en Polynésie et peut-être de démystifier un peu ce que les indépendantistes ont pu faire passer comme message. On sera prêt à les recevoir et j’espère que ça pourra mettre un point final à ces échanges institutionnels, pour qu’on se concentre enfin sur l’essentiel, sur ce que les Polynésiens attendent réellement. »
Teva Rohfritsch : « Nos frères et soeurs indépendantistes sont venus affirmer pour moi des contre-vérités »
« Nous avons tenu à venir pour faire entendre aussi la voix de la majorité de la population qui ne souhaite pas se séparer de la France, qui est autonomiste et cela a été confirmé aux dernières législatives. Et puis nous avons aussi porté la voix de tous ceux qui considèrent qu’aujourd’hui il faut s’occuper de la vie chère, il faut s’occuper de l’emploi, il faut s’occuper du changement climatique et de ses effets sur nos îles, il faut s’occuper de l’aménagement de notre territoire qu’il faut poursuivre, de nos équipements, de nos besoins en infrastructures, dans un contexte d’ailleurs où le budget de la France est soumis à une récession et nous aurons des tensions budgétaires qui arrivent. Il y a matière à débattre sur tous ces sujets que je viens de citer, mais il nous fallait aussi venir le dire à New York puisque nos frères et soeurs indépendantistes sont venus affirmer pour moi des contre-vérités et affirmer sans preuve d’ailleurs un certain nombre de choses qui sont inexactes sur notre fenua. »