Une membre de l’entourage de cet infatigable défenseur d’un centre indépendant, actif depuis plus de quarante ans dans la vie politique française, l’assurait pourtant cet automne: Premier ministre, « François est convaincu qu’il ferait le job. Mais il est aussi convaincu, depuis cet été, qu’il ne sera jamais nommé« .
« Jamais« , François Bayrou? Le maire de Pau n’avait pas vraiment mégoté en septembre pour convaincre ses troupes, dont une partie était très réticente, de soutenir Michel Barnier. Lui, le président-fondateur du MoDem, le grand pourfendeur des prétentions hégémoniques de la droite. Parce qu’il savait le Savoyard voué à l’échec? Depuis plus d’un mois en tout cas, en privé, il pronostiquait sa chute.
Depuis 2017 et cette alliance avec Emmanuel Macron, déterminante sur la route vers l’Elysée, aucun Premier ministre n’a vraiment trouvé grâce aux yeux du Béarnais, à l’exception peut-être de Jean Castex. Édouard Philippe? Trop à droite. Élisabeth Borne? Pas taillée pour le rôle dans un tel contexte politique. Gabriel Attal? Trop jeune…
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Et tous sous la coupe d’un chef de l’État qui veut tout diriger, tout contrôler, flanqué de son inamovible secrétaire général Alexis Kohler, qui concentrait fort opportunément les critiques – les deux hommes se sont rencontrés récemment à Pau.
Raison pour laquelle jusqu’à vendredi matin, François Bayrou bien que convaincu d’être l’homme de la situation, doutait encore de sa nomination.
« J’ai toujours pensé que si un jour j’avais cette responsabilité, c’est que ça irait très mal. C’est à peu près les paroles de Clemenceau. Quand ils sont venus le chercher (en novembre 1917), il avait 76 ans et il a sauvé le pays« , expliquait le centriste devant quelques journalistes en 2022.
De Giscard à Macron
Un rôle à la mesure de ce triple candidat à la présidentielle (2002, 2007 et 2012), qui n’a jamais renoncé à ses ambitions nationales.
Celles-ci ont bourgeonné dès les années 1970 quand ce natif de Bordères (Pyrénées-Atlantiques), fils d’agriculteurs – son père est mort d’un accident il y a un demi-siècle -, marié et père de six enfants, a fait ses premières armes en politique. D’abord comme militant pour le compte de Valéry Giscard d’Estaing, avant d’intégrer le cabinet du ministre Pierre Méhaignerie en 1979.
Élu député des Pyrénées-Atlantiques en 1986, il devient ministre de l’Éducation nationale du gouvernement de cohabitation d’Édouard Balladur en 1993 et fut profondément marqué par François Mitterrand.
« Un bègue aussi éloquent, un centriste aussi ferme, un catholique aussi laïque, François Bayrou sera un jour un redoutable candidat à l’élection présidentielle« , avait déclaré le vieux président socialiste au journaliste Alain Duhamel (Libération, 2012).
Malgré son soutien à Édouard Balladur, François Bayrou demeure rue de Grenelle en 1995 après l’élection de Jacques Chirac. Immobilisme? Gestion sans vague avec les syndicats? Son lointain successeur Jean-Michel Blanquer n’a pas de mots assez durs contre la « vanité du personnage »: « le verbe plutôt que l’acte, l’apparence plutôt que la réalité, les joies de Narcisse plutôt que les travaux d’Hercule ».
« Le centre n’est ni de gauche, ni de gauche« , avait également dit François Mitterrand. Maxime que François Bayrou s’acharne depuis à démentir en tentant de donner au centre son indépendance vis-à-vis de la droite.
A Matignon, « prendre des risques »
Au plan partisan, cet agrégé de lettres classiques, auteur d’une biographie d’Henri IV – dont le 13 décembre est l’anniversaire de naissance -, devint en 1994 président du Centre des démocrates sociaux (CDS), composante de l’UDF de Giscard dont il prend le contrôle en 1998.
Son refus d’intégrer l’UMP en 2002 lui valut de premières défections dans la famille centriste. Pendant sa première campagne présidentielle, il gifle un enfant qui tente de lui faire les poches et gagne en notoriété, mais récolte moins de 7%.
Nouveau faux pas en 2007 avec son refus de soutenir Nicolas Sarkozy entre les deux tours, alors qu’il venait de réunir 18,57% des voix au premier. Nouveaux départs. François Bayrou fonde alors le Mouvement démocrate (MoDem), qui débuta son existence par une longue traversée du désert, son soutien « personnel » à François Hollande face à Nicolas Sarkozy entre les deux tours de 2012 ne lui évitant pas la défaite aux législatives à Pau.
Après avoir vu en Emmanuel Macron un digne représentant des « puissances de l’argent« , qu’il pourfend régulièrement, François Bayrou change son fusil d’épaule en 2017 et lui propose une alliance. Pari réussi: voilà le chantre du « en même temps » gauche-droite installé, à 39 ans, à l’Elysée.
Nommé garde des Sceaux, François Bayrou quitte la Place Vendôme au bout de 34 jours, mis en cause dans l’affaire des assistants des députés européens MoDem. Si le parti a été lourdement condamné en février, son fondateur a été relaxé. Mais le parquet a fait appel.
Insuffisant pour lui barrer la route de Matignon aux yeux d’Emmanuel Macron. « Entre-temps, la calomnie et les rumeurs auront fait des dégâts irréparables », dénonçait-il en avril dans une claire allusion à Marielle de Sarnez, première de cordée de son aventure politique, emportée par une leucémie en 2021.
Une perspective insuffisante aux yeux d’Emmanuel Macron pour lui barrer la route de Matignon. Comment compte-t-il à présent réussir là où Michel Barnier a échoué? Un gouvernement de large union, ouvert à plusieurs personnalités de gauche? En mettant en place la proportionnelle à l’Assemblée, qu’il réclamait à Emmanuel Macron depuis des années? Devant la perspective d’une crise de régime, « il faut prendre des risques. Vous ne pouvez pas rester dans l’ordinaire« , expliquait-il récemment à l’AFP.